1Plutôt que de considérer la famille de l’enfant en difficulté avec la justice comme un milieu pathogène « d’où vient le mal » ou comme une structure dont les carences supposées en matière éducative justifient qu’on la sanctionne, l’approche connue sous le nom de « thérapie familiale systémique » s’efforce de requalifier le groupe familial et de l’appréhender comme une ressource avec laquelle le thérapeute doit chercher à s’allier. Une telle démarche contraste évidemment avec les politiques dites de « responsabilisation des parents », qui proposent la mise en place d’un certain nombre de sanctions graduelles à l’encontre des familles, surtout si ces dernières bénéficient par ailleurs d’aides publiques. Elle s’est pourtant développée à partir de 1980, dans une grande discrétion il est vrai mais avec le soutien de la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) du ministère de la Justice et la participation souvent enthousiaste de juges des enfants.
2Dans l’ouvrage qu’il vient de publier, Pierre Segond [*], psychologue clinicien, formateur et chercheur, retrace l’histoire d’une « consultation » – le terme désignant à la fois le lieu et les traitements qui y sont donnés – qui a été la matrice au sein de laquelle l’expérience a mûri. L’image de la PJJ, souvent assimilée aux seules « maisons de correction », apparaît ici singulièrement ouverte à des conceptions éducatives innovantes.
3L’examen de la méthode, de ses fondements théoriques et de ses principes, conduit à partir de cas concrets commentés, amène à des questionnements dont les implications dépassent considérablement la seule valorisation d’une pratique expérimentale. Parmi ces questionnements : la validité d’une thérapie « non déclarée », c’est-à-dire menée dans le cadre d’un travail social qui s’est exercé sous mandat judiciaire, les effets du temps sur le déroulement du travail de prise en charge, l’impact de la dimension familiale dans la délinquance juvénile ou la recherche d’une maîtrise de l’enchevêtrement des relations qui s’établissent au fil du temps et des rencontres entre les différents intervenants (éducateurs, juges, thérapeutes) et les familles.
4Le concept central autour duquel s’articule le dispositif paraît être, aux yeux de P. Segond, celui de parentalité, « tant par son contenu que par le cadre et les limites qu’il permet de fixer à l’intervention éducative », qui semble se situer parfois à l’intersection des champs d’investigation du juge des enfants, du juge de la famille et même du juge des tutelles. La notion, on l’aura compris, prend, dans ce contexte, une signification sensiblement différente de celle qu’elle revêt dans les champs de la sociologie ou de l’ethnographie, pour désigner une relation fonctionnelle entrant en jeu dans le cycle de vie familiale au moment même où le couple s’engage dans le projet de concevoir un enfant.