1La réduction des inégalités entre hommes et femmes dans les sphères publique et privée figure au rang des objectifs affichés par les politiques publiques. Toutefois des contradictions sont perceptibles au sein de ces politiques qui légitiment en quelque sorte des comportements inégalitaires au sein du couple dans la répartition des tâches parentales. La mise en lumière de cet état de fait trouve particulièrement à s’illustrer dans l’analyse de la garde postdivorce du jeune enfant.
2Le libéralisme croissant des sentiments entre conjoints et l’amélioration de la position sociale des femmes dans le couple, reconnus au cours de ces dernières années, n’ont pas transformé en profondeur l’économie des rapports domestiques. Une lecture critique des données statistiques disponibles dans ce domaine en atteste. De la même façon, l’action des politiques publiques n’a pas mis fin à l’extrême déséquilibre existant entre les charges ou les prérogatives paternelles et maternelles. Elle en assure peu ou prou une forme de reproduction. L’ensemble des mesures de l’action publique développées pour permettre une meilleure « conciliation entre vie professionnelle et vie familiale », notamment en facilitant l’aide à la garde du jeune enfant, a en effet résolument et explicitement, c’est-à-dire dans le discours officiel politique, consacré une place secondaire aux femmes sur le marché du travail et, consécutivement, leur rôle principal dans l’exercice du travail domestique et parental. Les nouvelles lois supposées favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales après divorce en ont, d’une certaine manière, fait de même. En s’appuyant sur des résultats d’enquêtes de terrain et sur une analyse critique, cet article entend prendre la mesure de la réalité du travail parental à l’aune des représentations sociales et des actions de la sphère publique, si étroitement présentes au cours de ces dernières décennies dans la définition sociale (normative) de la sphère privée et de ses relations internes.
La « mal-mesure » des rapports domestiques et parentaux
3S’intéresser aux différences de sexe dans l’exercice des rôles parentaux et, plus largement, des tâches domestiques peut surprendre tant, au cours de la dernière période, les données sociales disponibles et les commentaires produits, fortement médiatisés, ont pris le parti de mettre en exergue le développement d’une meilleure distribution des rôles au sein des couples. Les conclusions des enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur les emplois du temps des ménages qui vivent en couple (1986 et 1999) en sont un exemple illustratif : si elles montrent que la situation reste encore inégalitaire, elles soulignent principalement que « la part des hommes dans le travail domestique augmente ». Cette formulation est formellement (i. e. d’un point de vue statistique) irréprochable. Signifie-t-elle pour autant que les hommes participent davantage aux tâches domestiques, incluant l’éducation des enfants ? Indique-t-elle une plus grande égalité entre les membres du couple ? Autrement dit, peut-on réellement affirmer « que le travail domestique est devenu moins inégalitaire » (Brousse, 2000, p. 99) ? La réalité est en fait beaucoup plus nuancée et invite à une réflexion plus large sur l’évolution de la place des hommes et des femmes dans la vie de couple avec enfants, où l’on constate que cette part croissante de l’activité des hommes résulte bien davantage de la libération progressive et relative des femmes des tâches domestiques que de l’augmentation réelle de l’investissement de ceux-ci dans ce domaine. Autrement dit, si le temps d’activité domestique des femmes baisse, et donc si leur temps libre total augmente, c’est en réalité essentiellement en raison de facteurs endogènes, propres à l’univers domestique ; il en résulte une redéfinition des tâches, liée aux progrès des nouvelles technologies dans la sphère domestique ainsi qu’à une externalisation marchande de certaines tâches (ménagères et de garde d’enfants).
4De ce point de vue, de grandes différences existent entre les femmes. Tout d’abord, la baisse de l’activité domestique est bien plus nette parmi celles qui vivent seules que parmi celles qui vivent en couple. Les femmes âgées qui vivent seules et qui sont inactives représentent la catégorie la plus touchée par la réduction du temps domestique. Autrement dit, quand on conclut à une meilleure égalité des hommes et des femmes en matière d’activité domestique, on comptabilise souvent l’activité d’hommes et surtout de femmes qui ne vivent plus en couple, qui n’ont plus d’enfants, produisant ainsi un effet d’amalgame en termes de rapports sociaux de sexe. Mais on agrège aussi – y compris quand on raisonne strictement sur des couples – des femmes et des hommes qui n’ont pas la même position dans le cycle de vie.
5De la même façon, la baisse relative de l’activité domestique des femmes mérite d’être confrontée à une analyse nuancée des différences sociales de classe. En effet, la tendance généralement admise, et du reste globalement avérée, est que « dans les couples qui disposent d’un niveau d’études plus élevé, qui ont fait des études supérieures, la répartition des tâches domestiques serait plus équilibrée » (Brousse, 2000, p. 98), les hommes participant davantage. Cette interprétation distingue les ménages populaires, régis par une division des tâches plus traditionnelle, de ceux culturellement plus favorisés, sensibles à un meilleur partage des tâches. En réalité, cette dualité doit être fortement nuancée car les couples culturellement et économiquement les mieux dotés sont globalement ceux pour lesquels la charge domestique est généralement la moins lourde pour les deux sexes, dans la mesure où ils ont recours plus fréquemment à des aides extérieures (services à domicile…).
Les enfants catalyseurs de l’inégale répartition domestique au sein du couple
6Interrogés par sondage [1], hommes et femmes continuent de penser que le rôle maternel doit l’emporter sur le professionnel. Ce résultat atteste que les femmes ont intériorisé que leur rôle consistait avant tout à se consacrer à la famille. L’externalisation de la garde implique une décision et une série de démarches essentiellement endossées par elles, sans doute parce que la poursuite de leur activité professionnelle en dépend.
7Tout ce qui relève de la « gestion mentale » des tâches domestiques liées à l’enfant demeure une responsabilité féminine. Cette gestion mentale du quotidien revêt ceci de particulier qu’elle est, la plupart du temps, invisible, parce qu’elle relève de l’évidence. Il en est ainsi de tous les actes liés au bien-être de l’enfant sur son lieu de garde : assurer l’approvisionnement régulier en lait, en couches ou encore en produits de toilette, veiller à la propreté du « doudou » et aux vêtements de rechange dans le sac de crèche… Y compris lorsque les hommes accompagnent l’enfant le matin : les vêtements portés par celui-ci ont souvent été préparés la veille par les femmes. La gestion mentale du mode de garde révèle la hiérarchie des rôles au sein du couple parental. Quels que soient leur appartenance sociale et leur niveau de diplôme, ce sont les femmes qui président à l’orchestration des relations avec le service de garde.
8Dans cette asymétrie des rôles parentaux, la mère incarne par conséquent la figure principale, et le père, la figure secondaire ou auxiliaire. Alors que l’intervention des mères concerne les actes du quotidien, celle des pères se distingue par son caractère ponctuel. C’est en effet souvent dans des moments clefs que ces derniers interviennent ou sont sollicités par leur conjointe, que ce soit pour officialiser un choix ou encore lorsqu’un différend se produit avec l’institution. Ils viennent alors au « secours » de la mère et prennent la situation en main. Cette attitude se rencontre particulièrement quand la difficulté d’obtenir une place pour son enfant se fait jour. Peu préoccupés jusqu’alors par les démarches d’inscription, ils interviennent pour faire pression sur l’institution. Ces quelques tendances (Blöss et Odena, 2003) illustrent que l’intervention des pères se produit, la plupart du temps, en situation de crise, sur le registre de l’autorité symbolique. Ils ne sont par conséquent pas absents, mais leur investissement prend des formes que l’on qualifiera ici de stratégiques : stratégie, en effet, quand le conjoint intervient ponctuellement dans les relations avec l’institution de garde pour faire acte d’autorité dans le règlement d’un différend ou d’un conflit, le référentiel masculin étant de mise dans ce domaine si l’on veut accroître ses chances de « gagner la bataille ». Une enquête (Barrère-Maurisson et al., 2000) confirme que la vie de couple fait ressortir une forte différenciation sexuée des rôles : les pères se consacrent le plus souvent aux enfants dans les activités de socialisation (les loisirs et la conversation), alors que les mères se chargent plutôt du volet domestique.
9Ces résultats montrent, au bout du compte, que l’évolution de la place des pères dans la société n’est pas facilement réductible au passage d’un état (autoritaire) à un autre (relationnel), et que le référentiel masculin en matière d’autorité domestique n’a pas disparu, même si ses formes d’expression contemporaines sont sans doute moins tranchées que par le passé.
L’héritage sexué des rôles parentaux et sa reproduction dans les politiques publiques
10La gouvernance des rapports domestiques déborde le cadre privé des relations entre conjoints et parents pour concerner l’ensemble des acteurs qui, dans leurs actes prescripteurs, consolident, en quelque sorte, le caractère asymétrique de ces rapports. Une analyse critique qui tente de comprendre les actions des politiques publiques du point de vue du genre et surtout les ressorts ou les représentations sociales qui les sous-tendent permet de montrer que les pratiques institutionnelles hétérogènes (les réformes, les lois, les mesures des politiques sociales de l’emploi et de la famille…) convergent peu ou prou pour consacrer, à travers leurs présupposés sous-jacents, la prédominance des compétences parentales des femmes. Ces présupposés politico-théoriques, qui conduisent les décideurs à prendre telle ou telle mesure, renvoient aux stéréotypes de sexes, i. e. aux places dévolues à chaque sexe en fonction de son appartenance (Jenson et Sineau, 1998).
Comment les institutions de garde se représentent-elles les « identités » parentales ?
11C’est ainsi que les compétences domestiques et parentales sont aussi, lorsque les enfants sont en bas âge et que la mère travaille, au cœur des interactions entre les institutions en charge de garder ces derniers et les parents. Dans ces interactions, le sentiment de culpabilité des mères est à maintes reprises sollicité : les petites maladies, les troubles du sommeil ou de l’appétit du jeune enfant ou encore, plus généralement, son comportement sont autant d’occasions pour les professionnels de la petite enfance de signifier, d’une certaine manière, à la mère son rôle d’interlocuteur privilégié ou de parent principal (Blöss et Odena, 2002). Quand le jeune enfant est malade, la crèche ou l’assistante maternelle décide d’elle-même d’en informer le père ou la mère. Face à ce choix, c’est la mère qui reçoit généralement l’appel téléphonique. En sollicitant quasi systématiquement les mères dans ces circonstances, les professionnelles de la petite enfance ne font rien d’autre que de leur rappeler ce qu’elles considèrent comme devant être leur rôle prioritaire. Dans le même temps, elles signifient implicitement aux pères que leur présence n’est pas nécessaire.
12Par-delà la diversité des institutions d’accueil de la petite enfance, tout se passe comme si une norme culturelle commune prévalait, fondée sur le processus encore tout puissant de construction sociale des identités sexuées. Cet essentialisme biologique se manifeste en différentes occasions. Lorsque le couple est uni, la question de la garde du petit enfant, malade ou non, nous en fournit une bonne illustration : bien qu’au cours de ces dernières décennies, un certain nombre de mesures aient été décidées pour permettre aux parents, quel que soit leur sexe, d’interrompre temporairement leur activité professionnelle afin d’élever leur enfant, dans les faits, les femmes en ont été désignées, autant qu’elles se sont désignées, comme les principales bénéficiaires [2]. Quand le couple est désuni, l’attribution de la garde de l’enfant, avec ses conséquences sur la répartition des devoirs parentaux, révèle tout aussi massivement que peu d’hommes se sentent autant concernés que les femmes [3], mais aussi que peu de femmes sont prêtes à accepter ce partage des responsabilités. La force de cette division des rôles parentaux résulte en grande partie des représentations sexuées fondées sur l’acquisition d’un certain nombre d’obligations et d’aptitudes spécifiques à chaque sexe (Martin, 1997). Cette injonction morale, le plus souvent silencieuse et invisible (Bourdieu, 1998), fonctionne comme un référentiel normatif.
Le divorce comme révélateur du jugement sexué des politiques publiques
13Cet essentialisme biologique imprègne encore l’action des politiques publiques dont les ressorts restent pour le moins ambigus, car situés au cœur d’une tension entre, d’un côté, une logique égalitaire marquée par la volonté de l’État de rendre plus équitable l’exercice des rôles parentaux et, de l’autre, une logique différentialiste (ou de discrimination positive), fondée sur un souci de protection du statut maternel. Cette tension contribue in fine à officialiser la division sexuelle des rôles domestiques. Reconnue en tant que fait social, glorifiée idéologiquement durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle (Knibiehler, 2000), la maternité est devenue un enjeu majeur des politiques publiques (Martin, 1997). L’ordonnance du 2 novembre 1945 instituant la Protection maternelle et infantile (PMI) constitue à cet égard, dans la période contemporaine, le point d’origine d’une politique de santé publique destinée aux femmes et aux enfants. Cette politique a produit les effets attendus en matière de baisse de la mortalité infantile. Elle a également officiellement reconnu le caractère indissociable du couple mère/enfant : le soin porté à ce dernier, la valorisation de son statut propre étant dorénavant consubstantiels de l’attention portée au statut maternel. Plus fondamentalement, l’invention politique du lien mère/enfant, depuis la seconde moitié du XXe siècle – définie par la volonté de l’État de protéger la mère pour mieux assurer la promotion des naissances, et de protéger l’enfant en garantissant la pérennité et la prédominance du lien maternel, en particulier après le divorce –, a contribué à diffuser une idéologie du maternage (Norvez, 1990), c’est-à-dire d’une compétence parentale sexuée.
14Depuis le milieu des années 1960, l’État a manifestement œuvré en faveur d’une plus grande égalité formelle entre les hommes et les femmes, si l’on en juge par les textes de loi sur l’émancipation des femmes dans le cadre du mariage, sur le divorce par libre consentement mutuel, sur l’extension des droits du parent non gardien, sur la reconnaissance des droits du père naturel, sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale dans les familles désunies, etc. (Fulchiron, 1985). Pour autant, son action ne peut se résumer en un mouvement unilatéral de réformes démocratiques. Elle se caractérise également, et de façon contradictoire, par la production d’effets induits ou secondaires qui entérinent, au bout du compte, la spécialisation de sexe marquée des rôles parentaux et perpétuent les rapports de domination masculine toujours en vigueur.
15La question du divorce et des modes de vie familiale qui en résultent montre, par exemple, que le « modèle contractualiste » (Martin, 1997) mis en œuvre dans les lois récentes sur la famille, basé sur le consentement mutuel et sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale, ne s’applique, en définitive, qu’à certaines franges de la population concernée. Il masque l’essentiel des situations de rupture conjugale, où le conflit est si présent qu’il conduit généralement l’État (le juge) à utiliser des mesures de sauvegarde de l’intérêt de l’enfant, par lesquelles – à défaut donc d’accord entre conjoints – la mère est désignée comme dépositaire du lien de filiation. De façon quasi unanime, les transformations dans les politiques familiales ont été interprétées dans le sens d’un plus grand libéralisme, si l’on entend par ce terme la plus grande neutralité (apparente) du « public » à l’égard des modes d’organisation du « privé » (Commaille, 1996) ; autrement dit, la plus grande liberté accordée aux couples qui se séparent de décider contractuellement de l’organisation de leurs responsabilités parentales. Ce pari de la coparentalité postdivorce n’a pas pour autant obéré l’inégal statut des parents que la loi maintient selon leur appartenance de sexe, ni le traitement social différencié qu’elle leur réserve.
16Quelle que soit son audience, le libéralisme juridique a une exigence : que les conjoints qui souhaitent privatiser au mieux leur divorce soient capables d’accéder à un consensus quasi parfait. Il a surtout des limites : avec l’introduction du divorce par consentement mutuel, « l’intérêt de l’enfant » devient le critère exclusif d’organisation de la famille dissociée (Théry, 1998). Dans un contexte où la disparité des rôles paternel et maternel reste forte, les enfants sont très préférentiellement confiés à la mère, en conformité avec les demandes des parents. Fondés, en théorie, sur la recherche de la coresponsabilité parentale, les règlements judiciaires du divorce débouchent, en effet, le plus souvent, sur la reconnaissance d’une différence et d’une hiérarchie sexuée des responsabilités parentales [4].
17Dans une conception juridique nouvelle du divorce, plus conciliatrice, caractérisée par l’abandon de l’idée de faute conjugale au profit de celle de consentement mutuel, il n’est donc plus question de confier l’enfant à l’époux innocent mais, dans l’intérêt de cet enfant, à celui des deux parents qui offre le plus de garanties en matière de stabilité matérielle et affective (Bawin-Legros, 1988).
18Ici encore, la proximité entre une mère et son enfant sert d’alibi à la pérennisation d’un régime juridique sexuellement inégalitaire. Plus même qu’un simple alibi, cette notion d’intérêt de l’enfant [5] entérine et légitime non seulement une image de la famille après divorce mais également un type d’organisation domestique, avec les conséquences que cela va avoir sur le plan de la fréquence du lien paternel (Villeneuve-Gokalp et Léridon, 1998). Elle traduit la permanence des représentations sexuées concernant l’organisation familiale postdivorce (inscrites dans le droit civil) et, plus fondamentalement, les prérogatives et les droits sociaux conférés par les politiques à chacun des parents selon son appartenance de sexe [6]. Plus largement, elle est un indicateur du caractère équivoque ou paradoxal des politiques publiques menées en France au cours de la dernière période, tiraillées entre le souci affiché de lutter contre les discriminations de sexe dans les sphères du travail et de la famille et leur attachement traditionnel aux spécialisations des rôles sociaux entre hommes et femmes.
19L’affectation prioritaire des femmes à la sphère domestique est le résultat d’un certain nombre d’inégalités sociales entre hommes et femmes qui passent encore largement inaperçues, parce que mises sur le compte de différences « naturelles » entre les sexes. La distinction des rôles paternel et maternel fait en effet partie de ces vérités qui sont encore tenues pour évidentes et universelles. La famille, constituant de ce point de vue un domaine où la confusion entre les dimensions naturelle et sociale des appartenances de sexe est la plus forte, représente donc une source de stéréotypes particulièrement difficiles à discerner.
20Encore largement intériorisée par les parents des deux sexes, y compris chez les jeunes générations, la division sexuelle des responsabilités domestiques (incluant le soin et l’éducation des enfants) est également reproduite dans les décisions publiques, les politiques familiales prenant encore fortement appui dans les faits sur la fonction maternelle comme référent principal. Cette institutionnalisation du lien maternel a de multiples facettes qui confirment chaque jour davantage l’intervention pérenne de l’Etat dans la vie intérieure de la famille.
Notes
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[1]
Sondage du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », 2003.
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[2]
À titre d’exemple, l’Allocation parentale d’éducation (APE), créée en 1985 en direction des familles de trois enfants puis étendue à celles de deux enfants, a connu un tel succès qu’en 1997, près d’une famille concernée sur deux en a bénéficié. Comme le souligne Anne-Marie Daune-Richard (2002), cette mesure n’est pas sans rapport avec la baisse sensible d’activité des mères de deux enfants (dont le taux est passé de 70 % en 1994 à 55 % en 1997). Ayant en grande partie profité aux femmes employées et ouvrières sans grande qualification, avec un statut précaire et un revenu modeste, l’interruption d’activité de trois ans qui en résulte pose, en toile de fond, la question des difficultés de reprise d’emploi pour nombre d’entre elles (Fagnani, 1996 ; Simon, 1999).
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[3]
Seuls une minorité d’hommes demandent à continuer à vivre avec leur enfant en cas de divorce. Les seules voix qui ont formulé publiquement cette revendication sont celles d’associations de pères qui ont été présentées, dans un premier temps, comme excessives et dont l’image contestataire véhiculée a longtemps entretenu le caractère anormal ou illégitime de la demande exprimée.
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[4]
La loi du 8 janvier 1993 en est une illustration récente. D’un côté, elle pose le principe de l’exercice commun de l’autorité parentale après divorce (art. 287 du Code civil) et n’oblige plus le juge à fixer la résidence de l’enfant, dès lors que les parents en décident d’un commun accord. De l’autre, et de façon quasi antinomique, l’application du critère juridique de « résidence habituelle » réservée à l’enfant dans son « intérêt » fonctionne comme une force de rappel, dans la mesure où, en obligeant celui-ci à n’avoir qu’un chez-soi chez un de ses parents, il réintroduit paradoxalement la distinction entre un parent principal (féminin) et un parent secondaire (masculin), réactivant la rivalité parentale (Théry, 1998) aussi bien dans les relations au sein du couple dissocié que dans les interventions du juge.
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[5]
Cette notion juridique, érigée, depuis la loi du 11 juillet 1975, en critère unique et exclusif d’attribution de la garde des enfants mineurs après le divorce, a fait l’objet de longs développements critiques (cf. tout particulièrement Théry et al., 1985).
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[6]
Lors de la séparation, le rôle du père est en effet principalement appréhendé en fonction de son obligation de versement d’une pension alimentaire. Cette obligation financière n’est non seulement n’est pas objectivement à la hauteur des besoins nécessaires à la prise en charge réelle des enfants, en raison de son montant souvent insuffisant et hypothétique, mais a surtout pour effet d’accroître les inégalités sociales dans l’exercice des rôles parentaux. On constate, en effet, que les impayés de pensions alimentaires sont plus élevés dans les catégories populaires (Renaudat et Villac, 1991). Les appartenances de sexe dans les modes de vie postdivorce sont ici renforcées par les appartenances de classe.