CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le temps, celui qui passe ou celui qui reste et non celui « qu’il fait », constitue sans aucun doute l’expérience philosophique la plus communément partagée par les humains. Au-delà de sa mesure objective en unités décimales ou duodécimales graduées, chacun a conscience des différences qui affectent la perception de son rythme, de sa vitesse et de son abondance ou de sa rareté, en fonction des situations. Si les facteurs psychologiques propres au temps sont bien connus – la même minute est plus longue si l’on attend une récompense qu’une sanction –, les mécanismes de son appréhension collective le sont en revanche beaucoup moins.

2C’est cette question des déterminations culturelles et sociales du temps que Simonetta Tabboni, professeur à l’Université Paris-VII-Denis-Diderot, s’attache à éclairer dans un ouvrage [*] qui synthétise les savoirs que la sociologie et l’anthropologie ont apportés à la connaissance des temps sociaux, en analysant leurs relativités historique et géographique.

3D’intéressantes observations sont rapportées en fin d’ouvrage sur les variations dans les représentations et les pratiques liées au temps dans d’autres contextes culturels que le nôtre. Mais le monde occidental constitue toutefois le centre d’intérêt principal de cette réflexion.

4Si l’on peut supposer que l’homme préhistorique et ses premiers descendants n’ont guère été obsédés par le problème, leur activité essentielle ayant consisté à chercher de la nourriture sans préoccupation particulière pour l’heure des repas, il est en revanche manifeste que le temps s’est imposé comme une donnée importante pour les groupes humains dès l’apparition des premières formes d’organisation sociale. D’abord simple convention destinée à faciliter les relations sociales dans un système de valeurs dont il exprime la logique, le temps, écrit S. Tabboni, a progressivement été construit par les communautés qui ont découvert son importance et, d’une certaine façon, son autonomie par rapport au seul cours des planètes.

5Sont ainsi apparus successivement, en Europe, plusieurs temps dits dominants : d’abord le temps sacré des sociétés humaines stables, avec une vision cyclique de l’histoire et une forte dépendance envers l’environnement physique, puis le temps religieux, qui devient dominant avec les représentations monothéistes et, après le XIIIe siècle, le temps marchand, relativement autonome par rapport au pouvoir religieux. En Occident, c’est surtout l’avènement du mode de production capitaliste et celui, corrélatif, de la division du travail destinée à optimiser les activités de production, qui a concrétisé la domestication politique d’une force considérée, jusque-là, comme purement naturelle et immanente. L’homme devant nécessairement vendre sa force de travail pour vivre en société, son activité peut alors être grossièrement répartie en deux types : le temps contraint et le temps libéré. Cette dichotomie connaît naturellement, d’un auteur à l’autre, de sensibles variations dans les sous-divisions qui lui sont données, les classements de telle ou telle activité d’un côté ou de l’autre de l’axe travail / loisirs pouvant prêter à polémique ; mais peu contestent la justesse de son fondement principal.

Notes

  • [*]
    Simonetta Tabboni, Les temps sociaux, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus / sociologie », 2006.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/07/2009
https://doi.org/10.3917/inso.153.0065
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