1Préoccupations hygiénistes et morales, compromis fordiste, levier de croissance économique et d’emploi, puis outil de flexibilité au service de la compétitivité des entreprises : les objectifs visés par la réduction du temps de travail en France ont varié depuis le début du XIXe siècle jusqu’à nos jours, tout comme les règles encadrant la régulation du temps travaillé. Les implications que peut avoir cette dernière dans le champ de la production et au-delà en font un enjeu politique de tout premier plan.
2En tant qu’objet susceptible de donner prise à la négociation et à la production de règles, le temps de travail semble cumuler, en France, tous les paradoxes. Premièrement, la technicité parfois redoutable des textes qui régissent ses modes d’usage n’empêche pas que, à intervalles réguliers, les passions s’enflamment littéralement. À preuve, les débats récurrents sur les 35 heures, mesure que les uns ont parée des vertus les plus extraordinaires tandis que les autres continuent de tenir la réduction du temps de travail pour responsable des maux économiques les plus variés. Deuxième paradoxe : alors que, au nom de la souplesse et de la liberté, les réformes qui se sont succédé depuis le début des années 1980 nous ont progressivement fait basculer sur la voie libérale, l’État n’a jamais été aussi présent pour gérer le changement. Depuis le début des années 1990, plus d’une dizaine de lois ont été adoptées afin de réformer le temps de travail. Troisième paradoxe enfin : objet singulier aux contours et aux enjeux a priori étroitement circonscrits, le temps de travail est le support de changements qui affectent l’ensemble des régulations des relations professionnelles françaises.
3Afin de comprendre et d’évaluer l’importance des régulations en la matière, je propose de réfléchir à l’aide de la notion de référentiel telle qu’elle a été révisée récemment par Pierre Muller (2005). Par référentiel du temps de travail, j’entends le cadre cognitif qui, à un moment donné et dans l’espace circonscrit des acteurs qui savent et peuvent infléchir les régulations, délimite les valeurs, les normes et les relations causales qui informent les représentations, les intérêts et les pratiques relatifs au temps de la production. Il s’agit ici de mettre en évidence deux caractéristiques majeures des référentiels du temps en France : leur caractère évolutif d’une part, le rôle déterminant des conjonctures politiques et des stratégies d’acteurs dans leur redéfinition d’autre part.
Les leçons du XIXe siècle
4Comme l’ont montré les rares travaux existants sur le sujet (Fridenson et Reynaud, 2004), la régulation du temps de travail n’est pas la chasse gardée des trois acteurs – syndicats de salariés, organisations d’employeurs, État – qui composent le cœur des systèmes de relations professionnelles. Au XIXe siècle, l’Église, les médecins, les inspecteurs du travail, les réformateurs sociaux, les associations internationales… travaillent aussi, selon des temporalités et des intérêts variés, à l’édiction de normes nouvelles. Au nom du respect des pratiques religieuses, le clergé bataille tôt par exemple pour faire respecter la trêve dominicale. La loi du 22 mars 1841, qui limite à 8 heures par jour, dans les usines mécanisées, la durée de travail des enfants de 8 à 12 ans et à 12 heures celle de leurs aînés de 12 à 16 ans, est le produit pour sa part de la pression d’industriels alsaciens. Dès 1827, ceux-ci s’inquiètent des conditions d’éducation des jeunes français et, surtout, ils militent en faveur d’une réglementation de la concurrence. En pratique, cette loi sera très peu respectée.
5Autre illustration : fruit de longues années de débats et de controverses, la loi de 1892 sur l’interdiction du travail de nuit des femmes est adoptée pour satisfaire les intérêts les plus variés. Tandis que les uns voient dans cette norme la garantie que le « ventre de la France » sera protégé contre les excès de la maltraitance industrielle et qu’il fournira par conséquent des soldats aptes à venger l’humiliation de 1871, d’autres – les ouvriers au premier chef – se félicitent de voir s’évanouir la menace d’une concurrence féminine sur des emplois que la crise économique rend désirables.
6Les enjeux des régulations sont, on le voit, de nature multiple. Il n’en reste pas moins que, au XIXe siècle, une préoccupation l’emporte largement : le souci hygiéniste et sanitaire. Le travail va de pair avec une vie détestable : accidents dans les ateliers, mortalité élevée, famille en loques, propension accrue des ouvriers à l’alcoolisme, etc. À l’instar de celle de Louis-René Villermé (1840), les premières grandes enquêtes sur les ouvriers jettent une lumière crue sur un monde méconnu qui inspire la défiance. Tout en affirmant leur autorité et leur légitimité professionnelles, les médecins se saisissent du problème et agissent concrètement en faveur d’une amélioration des conditions de travail. La classe dominante porte également attention à la fatigue des ouvriers. Mais, si elle cherche aussi à y remédier, ce n’est pas par pure philanthropie. Les employeurs prennent simplement conscience des effets contre-productifs de l’usure au travail. Au XIXe siècle, le mouvement ouvrier est surtout sensible, pour sa part, aux questions de salaire. Bien qu’il n’en ait pas ignoré l’importance, il inscrit le temps de travail sur l’agenda revendicatif seulement au XXe siècle, lors notamment des grandes grèves de 1906, de 1909 ou encore de 1936. En réduisant le temps de présence dans l’atelier, il s’agit encore et toujours d’améliorer les conditions de travail, de rendre supportable la vie quotidienne… mais également de favoriser l’émancipation politique des classes laborieuses.
L’épuisement d’un temps taylorien
7Dans la seconde moitié du XXe siècle, le temps de travail ne disparaît pas du paysage socio-économique mais son évolution dépend désormais de forces et de mécanismes différents. La négociation prend d’abord le pas sur les grandes batailles sociales. L’extension de la durée des congés payés et la réduction de la durée hebdomadaire du travail sont avant tout, ensuite, les produits de la croissance économique. La baisse tendancielle de la durée du travail au cours des décennies 1960 et 1970 peut être comprise plus exactement comme une contrepartie à l’effort demandé aux salariés pour se plier aux exigences tayloriennes. Telle est, en résumé, l’équation principale qui permet de caractériser un référentiel de temps désormais placé sous les auspices de la double exigence productive et consumériste.
8Cela n’empêche pas que, jusqu’à la fin des années 1970, on associe réduction du temps de travail et amélioration des conditions de vie. En mars 1978, le gouvernement Barre incite encore les partenaires sociaux à négocier dans un tel esprit. Dès cette décennie cependant, on peut percevoir les prémices de la fin d’un temps à dominante taylorienne. Une première inflexion est opérée avec la loi du 27 septembre 1973 sur les horaires variables. Prenant la mesure de l’assouplissement, William Grossin (1982) montre que les aménagements que l’on considère alors comme réussis sont ceux qui autorisent les individus à gérer au mieux l’articulation entre temps de travail et autres temps sociaux. Mais, paradoxalement, bien qu’étant largement favorables à l’horaire variable, les salariés qui se soumettent à ce régime temporel préfèrent s’en tenir dans les faits à une régularité des heures de début et de fin de travail. Ainsi, les inflexions de la norme rigide du temps de travail parsèment bien les années 1970, mais sans que des implications majeures ne puissent être encore décelées sur les conditions de vie des salariés.
9Le basculement vers un nouveau référentiel de temps de travail est négocié au début des années 1980. Lorsque la gauche conquiert le pouvoir, le gouvernement Mauroy veut mettre le temps de travail au service de la croissance économique. L’objectif est clair : un passage aux 35 heures, une compensation salariale qui ne sera pas nécessairement intégrale et un accroissement de la souplesse de gestion des entreprises. L’État délègue aux bons soins de la négociation collective la déclinaison concrète du processus. Un protocole sur la durée du travail est signé au niveau interprofessionnel le 17 juillet 1981 (seule la Confédération générale du travail ne le ratifie pas) : il propose la réduction du temps de travail à 39 heures et une cinquième semaine de congés payés, il libère le contingent annuel d’heures supplémentaires de l’autorisation de l’inspection du travail et renvoie enfin les questions d’aménagement du temps de travail, de durée d’utilisation des équipements et de compensation salariale aux négociations de branche. Celles-ci peinent tellement à aboutir que le gouvernement décide d’adopter une ordonnance, le 16 janvier 1982, qui entérine le passage aux 39 heures et la cinquième semaine de congés payés. Peu après, quatre lois, dites Auroux, viennent compléter l’arsenal du changement. L’introduction, au nom de la citoyenneté dans l’entreprise, du droit à l’expression directe et collective est vivement discutée (loi du 4 août 1982). Mais, dans le domaine du temps de travail, c’est surtout la loi du 13 novembre 1982 qui entérine une nouvelle donne. Elle oblige les partenaires sociaux à négocier périodiquement, dans les branches comme dans les entreprises, sur les salaires, l’organisation et la durée du travail.
1982 : réduction du temps de travail et porte ouverte à la flexibilité
10En 1982, la véritable révolution n’est pas tant la réduction du temps de travail que la timide ouverture en direction d’un aménagement flexible de ce temps. Avec la modulation, possibilité est donnée aux entreprises de répartir les charges de travail d’une semaine à l’autre (voire d’un jour à l’autre) sans subir le coût des heures supplémentaires. Il suffit pour ce faire de négocier un accord dérogatoire. L’option n’a rien de mineur sur le plan des régulations, puisqu’elle ouvre la porte à la remise en cause du principe d’ordre public social. Comment expliquer, autrement que par des effets de contexte économique, pareille inflexion ? La sociologie des élites fournit quelques éléments de réponse à une telle question.
11Comme l’a montré Pierre Mathiot (2000), lorsque la gauche investit les lieux du pouvoir au début des années 1980, l’emploi n’est pas considéré par l’appareil politico-administratif comme un thème noble. Au ministère du Travail, la place est donc vacante pour des hommes et des femmes qui ne sont pas nécessairement passés par l’École nationale d’administration. Pour ces acteurs, l’épreuve du pouvoir consiste non seulement à savoir prendre des décisions mais aussi à apprendre à respecter les règles du jeu d’un univers où s’affrontent les représentants d’intérêts multiples (le ministère de l’économie et des finances, les organisations syndicales…). La gestion de court terme, l’extrême attention portée aux effets politiques des décisions, le recours à des calculs de « coin de table », la multiplication des consultations formelles… structurent leur façon de penser et d’agir au quotidien. Pourtant sensibles aux enjeux sociaux de l’emploi, ils accompagnent le tournant de la rigueur et, au nom de la lutte contre le chômage, ils sont les premiers à promouvoir la flexibilité négociée, celle du temps de travail en particulier.
12La brèche de 1982 a-t-elle produit quelques effets ? En réalité, en dépit de l’obligation de négocier qu’instaure la loi Auroux de novembre 1982, les résultats sont décevants. Au cours de la seconde moitié des années 1980, hormis les accords conclus dans les travaux publics (1985) et dans la métallurgie (1986), la négociation de branche est quasiment inexistante. Avec la mise en place de la loi Séguin (22 juin 1987), la négociation retrouve un peu de souffle mais au profit pratiquement exclusif de l’aménagement et non de la réduction du temps de travail. Afin de stimuler une négociation de branche atone et de favoriser un contrôle plus étroit des pratiques de flexibilité du temps de travail, les partenaires sociaux signent un accord interprofessionnel le 29 mars 1989. Une fois encore, les implications ne sont pas à la hauteur des attentes.
13À l’occasion de la victoire de la droite aux élections législatives, l’État reprend la main et, dans le cadre de la loi quinquennale de 1993, il accentue le mouvement antérieur. Il est désormais possible d’annualiser le temps de travail par accord de branche ou d’entreprise, le travail intermittent est transformé en temps partiel annualisé et de nouvelles incitations financières sont imaginées pour favoriser la réduction du temps de travail… En dépit de cette floraison de règles nouvelles, c’est de nouveau l’échec. Le bilan des négociations qui suivent la loi quinquennale est sans appel. Le 1er juin 1995, seules deux branches ont conclu un accord d’annualisation. Pour relancer la mécanique, l’État intervient une fois encore. La loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, institue un système d’aide aux entreprises qui adoptent une réduction du temps de travail pour favoriser l’emploi. Attractif, le dispositif connaît cette fois un certain succès.
35 heures : faire…
14Après avoir servi de levier, au début des années 1980, pour impulser une politique de lutte contre un chômage de plus en plus envahissant, la modulation du temps de travail se transforme, au fil des réformes, en un outil qui doit permettre avant tout aux entreprises d’affronter les fluctuations du marché et de gagner, ce faisant, en compétitivité (Bloch-London et Marchand, 1990). En infléchissant le référentiel en direction d’une forte valorisation de la concurrence, l’État ne fait pas que modifier les enjeux. Il change aussi les règles du jeu. Les années 1990 consacrent le basculement d’un mode tutélaire de réglementation du temps de travail vers un mode négocié, largement décentralisé et dérogatoire aux règles légales (Morin et al., 1998). La forte impulsion étatique en faveur des 35 heures ne change rien à l’affaire, puisqu’une des conséquences des lois Aubry est de doper les négociations d’entreprise tout en offrant la possibilité de développer toujours davantage la flexibilité du temps de travail.
15La première loi (13 juin 1998) fixe la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés, au 1er janvier 2002 pour les autres. Elle institue par ailleurs un dispositif d’aide qui doit inciter les entreprises à négocier la réduction du temps de travail avant la baisse de la durée légale. Cette aide est conditionnée par un engagement de création ou de maintien d’emplois. Pour les entreprises de moins de cinquante salariés, il est possible de bénéficier de l’aide en appliquant directement un accord de réduction du temps de travail signé par la branche. Près de 20 % des entreprises passées aux 35 heures dans la période Aubry I ont eu recours à une telle procédure.
16Après une période marquée par la contre-offensive de certains employeurs (passant par la négociation d’accords de branche et d’entreprise au profit de la flexibilité, aux dépens de la réduction du temps de travail et de la création d’emplois), la seconde loi Aubry (19 janvier 2000) confirme l’abaissement de la durée légale à 35 heures hebdomadaires ou à 1 600 heures annuelles. Elle met en place une aide structurelle qui fusionne avec l’allègement des cotisations sociales sur les bas et moyens salaires. Le bénéfice de cette aide est subordonné à la négociation d’un accord majoritaire d’entreprise ou d’établissement, ou à l’application d’un accord de branche étendu (pour les entreprises de moins de cinquante salariés). En cas de négociation avec un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative [1], ou lorsque les syndicats signataires ne sont pas majoritaires dans l’entreprise, une consultation des salariés doit être organisée. Le texte reprend enfin à son compte le découpage de la catégorie « cadre » adopté dans plusieurs accords négociés suite à la première loi.
… et défaire
17Les lois Aubry ont eu des effets multiples et concrets. En 2001, plus de la moitié des salariés des secteurs concurrentiels et associatifs œuvraient dans des entreprises qui avaient négocié une réduction du temps de travail ; les études menées par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estiment par ailleurs que l’effet net sur l’emploi se chiffre à environ 350 000 ; les conditions de vie des salariés ont également été améliorées, de façon certes inégale selon les profils sociaux (Lallement, 2003), etc. Très rapidement, pourtant, tout a été mis en œuvre par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 pour, maille par maille, défaire et recomposer le cadre juridique du temps de travail, plutôt que, radicalement, mettre à mal la référence légale des 35 heures [2]. Le travail de sape est entamé en octobre 2002, avec un décret qui fait passer le contingent d’heures supplémentaires de 130 à 180 heures par an. La mesure peut paraître anodine. En réalité, elle permet d’enclencher la marche arrière. En effet, « si un salarié aux 35 heures effectue 180 heures supplémentaires dans l’année, il travaille en moyenne… 39 heures par semaine, soit pratiquement la durée hebdomadaire moyenne des salariés à temps plein dans les années 1990 » (Pélisse, 2008, p. 2).
18En décembre 2004, nouvel élargissement : le contingent maximal peut désormais atteindre 220 heures par an et par salarié. La même année, au nom de la solidarité nationale, il est décidé de supprimer un jour férié. Le lundi de Pentecôte, les salariés travailleront sans bénéficier de supplément de revenu et les bénéfices profiteront aux personnes âgées et aux handicapés. Mais les difficultés d’application ont été telles que cette journée peut maintenant être travaillée un autre jour que la Pentecôte, ou par fractions tout au long de l’année. En 2005, la réforme du compte épargne-temps (permettant notamment de monétiser des droits acquis grâce à cet outil, ou pour l’employeur d’imputer sur ce compte des heures effectuées au-delà de la durée collective de travail…) bat encore en brèche la logique de réduction du temps de travail. En 2007, avec la loi du 21 août en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, le gouvernement joue de nouveau la carte de l’incitation à l’allongement de la durée du temps de travail, par le biais d’une exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires.
19Sans davantage contester la durée légale des 35 heures, la loi du 20 août 2008 conforte la prégnance du nouveau référentiel qui s’impose progressivement depuis 2002. La loi « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » favorise plus que jamais la contractualisation et l’individualisation. Les contingents d’heures supplémentaires admissibles sont désormais fixés par la voie de la négociation (au moyen de conventions ou d’accords collectifs de branche, d’entreprise ou d’établissement). La seule limite à ne pas dépasser est celle des 48 heures par semaine. Le régime de temps de travail au forfait peut par ailleurs être étendu à bien d’autres que les cadres, et plus exactement aux salariés qui disposent d’une certaine « autonomie » dans leur travail. Dans certains cas (comme la convention de forfait en jours sur l’année), un salarié peut également, avec l’accord de son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire. La barrière légale maximale de jours travaillés est fixée à 235. En résumé, avec pour conviction que l’usage extensif des horaires des salariés à temps plein permettra de gagner de précieux points de croissance, tout a été fait, depuis 2002, pour édulcorer la norme des 35 heures et, plus encore, pour faciliter la négociation, entreprise par entreprise, salarié par salarié… des règles du temps de travail.
20***
21Depuis le XIXe siècle, la régulation du temps de travail tient un rôle de premier plan dans notre histoire sociale. Dans une société salariale comme la nôtre, cela n’est pas une surprise. Au carrefour d’enjeux multiples, ce temps est l’une des bases à partir desquelles les acteurs s’opposent, négocient, légifèrent… afin d’encadrer les relations de travail (Supiot, 1995). Il permet ainsi de borner l’emprise patronale sur l’action du salarié mais aussi d’évaluer la prestation de ce dernier. Les règles servent également de balises collectives, de repères nécessaires à la vie de travail (horaires d’embauche et de débauche, pauses…) et hors travail (articulation avec les autres temps sociaux). À l’examen des référentiels qui se sont succédé au cours des décennies, il apparaît clairement que, sur ces deux registres, le souci économique et la propension à l’individualisation ont pris le dessus. Dans cette dynamique, le temps de travail s’est en outre imposé au cœur des recompositions qui affectent le rôle et les modalités de l’action publique (Groux, 2001). L’État français n’a pas perdu en puissance de feu, il a simplement inventé de nouvelles procédures de régulation, au profit notamment d’une négociation collective de plus en plus décentralisée. Voilà pourquoi, pour cette raison au moins, le temps de travail demeure un enjeu politique de premier ordre.
Notes
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[1]
Le mandatement (soit la possibilité pour un salarié mandaté par une organisation sociale représentative au plan national de négocier et de signer un accord d’entreprise) est un dispositif qui voit le jour dans l’accord interprofessionnel de 1995. Repris dans la loi de 1996, il est de nouveau introduit dans la première loi Aubry. Avant que la seconde loi Aubry ne soit promulguée, le mandatement a été utilisé dans 70 % des accords de réduction du temps de travail (Fridenson et Reynaud, 2004).
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[2]
La durée légale n’est pas en soi, au demeurant, une norme contraignante. Elle sert avant tout de seuil de référence à partir duquel on décompte les heures supplémentaires. En pesant sur cette norme, les lois Aubry ont néanmoins permis de diminuer de trois heures environ la durée effective du travail, qui atteint 36 heures, fin 2001, dans les entreprises d’au moins dix salariés. Cette durée était plutôt stagnante depuis l’ordonnance de 1982 sur les 39 heures.