1De plans grossiers, lacunaires et approximatifs lors des premiers essais de représentation du monde, qui datent sans doute du temps des Phéniciens, les cartes géographiques sont devenues, de nos jours, le produit de la science et des arts d’expression. Elles relèvent des mathématiques et des technologies de pointe pour leur établissement et des techniques graphiques et de diffusion de la pensée pour leur représentation. Si leur usage a longtemps été limité à des objectifs militaires ou marchands, il s’est, depuis, étendu à bien d’autres finalités sociales, parmi lesquelles la culture et le tourisme tiennent un rang éminent.
2Le principe qui a guidé les cartographes a toujours été la recherche de la plus grande exactitude, cette notion s’appliquant à la fois aux données relevées et à la façon dont elles sont traduites. Aux multiples problèmes à résoudre, par exemple celui de la traduction du relief (le monde à trois dimensions se laissant difficilement ramener à deux) et des distances, la cartographie a apporté des solutions satisfaisantes. Mais pour répondre à l’évolution des besoins, ses vieilles recettes qui reposaient sur le principe des échelles proportionnelles ont été revues. Ont ainsi fait récemment leur apparition des cartes qui ne sont pas fondées sur un rapport analogique de la distance topographique « euclidienne » entre deux points mais, par exemple, sur le temps nécessaire pour se rendre de l’un à l’autre, en fonction non seulement de leur éloignement, mais aussi de l’existence ou non de moyens de transport performants pour franchir la distance. On aura déjà compris la grande relativité de ces mesures, l’ouverture d’une ligne de train à grande vitesse ou d’une portion d’autoroute venant modifier profondément des données jusque-là considérées comme intangibles puisque « naturelles ».
3L’idée a été exploitée par la SNCF, à l’occasion de la mise en service du TGV-Est, en juin 2007. La carte alors distribuée aux usagers portait ostensiblement la mention « Carte non fidèle à la géographie » et offrait une image en effet peu traditionnelle du quart Nord-Est de la France, caractérisée par un écrasement des distances séparant de Paris les villes desservies (Reims, Metz, Nancy, Strasbourg…) par rapport à celles qui ne figuraient pas sur la ligne. L’allure générale du document était celle d’un papier froissé et les classiques cercles concentriques symbolisant les seuils kilométriques étaient remplacés par des disques aux circonférences ondoyantes.
4C’est une carte dont la métrique, c’est-à-dire la façon de figurer la distance, est conçue sur la base de distances-temps, ici des temps de parcours. D’autres critères, par exemple la notion de distance-coût, pourraient naturellement fonder de telles cartes mais on imagine aussi des ratios combinant des données objectives et des données subjectives (« distance-agrément », « coût-intérêt culturel », etc.), qu’un peu d’imagination et l’aide de logiciels de cartographie permettraient d’employer. Et, ne s’arrêtant pas en si bon chemin, la cartographie du (presque) tout subjectif est en voie d’apparition, grâce à la technique du mind-mapping (en français « carte heuristique »), qui permet d’organiser les concepts sur un espace à deux dimensions en fonction de leurs relations logiques ou sémantiques. Le temps de la « carte muette » des salles de classe est bien révolu.
5J. Lévy, P. Poncet et E. Tricoire, La carte, enjeu contemporain, Paris, La Documentation française, coll. « La Documentation photographique », n° 8036, 2004.