1En France, le débat relatif au contenu et à la nature du travail social a été ouvert en 1972, par un numéro demeuré célèbre de la revue Esprit. Il n’a cessé, depuis, de rebondir et de se diversifier, mobilisant, au fil des années, la quasi-totalité des approches disciplinaires et théoriques qui présentent quelque pertinence pour traiter de la question. Qu’il soit abordé par l’étude de ses fonctions, des politiques publiques qui le sous-tendent, de sa place dans l’activité économique, des spécificités de ses destinataires ou des agents qui le mettent en œuvre, ou encore par l’analyse des diverses pratiques globales ou ponctuelles qui le concrétisent, l’objet se révèle être, à travers l’abondante littérature qui en traite et la multitude de colloques qui lui ont été consacrés, une notion complexe, polymorphe et polysémique dont il n’est pas même possible de déterminer précisément la finalité. Il est ainsi outil de contrôle pour les uns, instrument de reproduction des rapports sociaux pour les autres, nécessaire béquille que la société est obligée de fournir aux victimes de ses dysfonctionnements pour d’autres encore...
2Faut-il alors renoncer à toute tentative de définition ? En posant la question, Saül Karsz [*], sociologue, philosophe et intervenant social, n’entend pas se dérober devant l’exercice. Convaincu que « définir aide à ne pas se tromper de cible, à identifier les problèmes qu’il s’agit de résoudre et à ne pas demander au travail social ce que de toute façon il ne peut faire », il propose plutôt de s’y livrer par une voie originale, qui se distingue à la fois des approches purement théoriques, qu’elles soient libérales, marxistes ou poststructuralistes, et des démarches descriptives jusqu’à l’anecdotique, conduisant à des formules tautologiques selon lesquelles le travail social serait « ce que font les travailleurs sociaux ».
3Se démarquant de toutes ces approches, il se prononce pour une théorisation des pratiques et propose une modélisation de l’action sociale qui repose sur la distinction des trois figures qu’elle a prises historiquement et qui coexistent de nos jours : la charité, qui cherche à combler le fossé entre ce que les hommes sont et ce qu’ils devraient être selon un idéal immanent ; la prise en charge, qui se réfère au socle éthique de la dignité et de la reconnaissance minimales dont tout être humain doit pouvoir bénéficier (droit à un logement, à un revenu, à la scolarisation, aux soins) ; et enfin la prise en compte, qui considère ce dont l’autre est déjà porteur et reconnaît la légitimité de la place qu’il occupe. On n’est plus ici, nous dit l’auteur, dans le « faire pour » mais dans le « faire avec », et les trois approches qu’il développe, inspirées de sa propre pratique d’intervenant, à savoir l’intervention de réseaux, la compétence des familles et l’empowerment (la réappropriation de leur pouvoir par les sujets), semblent en effet en cohérence avec un tel projet.
Note
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[*]
Saül Karsz, Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique, Paris, Dunod, 2004.