1Pionnier du travail social, éducateur spécialisé bien avant que la profession ne soit institutionnalisée en France, Fernand Deligny reste, dans la mémoire du monde de la pédagogie spécialisée, le « défenseur des enfants sans défenses ».
2Né en 1913 dans la banlieue de Lille, il est, du fait de la guerre, orphelin à l’âge de quatre ans. Pupille de la Nation, il devient, en 1937, instituteur en région parisienne, après avoir mené auparavant, pendant cinq ans, une expérience de travail d’assistance auprès des pensionnaires de l’asile d’Armentières, « le pire hôpital psychiatrique de France », dira-t-il. À Paris, il rencontre Henri Wallon, spécialiste de la psychologie de l’enfant, qui semble avoir déterminé ses premiers engagements pédagogiques, déjà caractérisés par davantage de pragmatisme que de rigueur théorique.
3Après la guerre, il dirige, à Lille, un centre « d’observation et de triage », où les méthodes pédagogiques du temps sont bousculées : il embauche des éducateurs parmi les populations ouvrières du quartier, ouvre des ateliers où les jeunes sont rémunérés. Il publie, en 1945, Graine de crapule, une mince plaquette d’aphorismes au sous-titre éloquent : Conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver.
4En 1948, il crée un réseau d’hébergement de jeunes délinquants ou caractériels qui s’appuie sur les auberges de jeunesse. De 1950 à 1953, il reprend la tâche d’instituteur, détaché au laboratoire de psychologie de l’enfant que dirige Henri Wallon. Mais dès 1953, il choisit de vivre à l’écart, loin des villes, en compagnie d’enfants affectés de troubles profonds. Durant une petite quinzaine d’années, il met à l’épreuve quelques principes dont il a éprouvé très tôt l’intuition : la nécessité de faire tomber les murs clos de l’asile, la vanité des thérapeutiques « psy » devant nombre de troubles sévères relevant officiellement de la psychiatrie, la valeur du travail communautaire. Il publie l’un de ses « livres-témoins », selon ses propres termes, Le croire et le craindre, et un curieux roman, Adrien Lomme.
5Après un bref passage dans la communauté de la Borde (où d’autres cliniciens dissidents, regroupés sous la bannière de l’antipsychiatrie, menaient une expérience dont le ferment sera invoqué par les théoriciens des barricades, en 1968), F. Deligny s’installe, en 1967, dans les Cévennes pour y créer un lieu de vie dévolu aux enfants autistes, où il vivra jusqu’à son dernier jour.
6Bien qu’ayant toujours manifesté une certaine réserve vis-à-vis de ce qui institutionnalise, à commencer par les mots eux-mêmes, il est l’auteur de nombreux écrits dont trop peu ont connu le sort d’être publiés. Il faut donc saluer à sa juste valeur l’initiative qui a conduit à l’édition de ce volume [*], remarquable à la fois par son contenu et par sa forme de « beau livre », réalisation portée par un enthousiasme que ses auteurs se sont attachés, sous la direction de Sandra Alvarez de Toledo, à communiquer au lecteur.
Note
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[*]
Fernand Deligny, Œuvres, édition établie et présentée par Sandra Alvarez de Toledo, Paris, L’Arachnéen, 2007.