1Inspiré sans doute par la question restée fameuse – et sans réponse – du poète latin Juvénal (Qui va garder les gardiens ?), le comité de rédaction de la revue EspacesTemps s’interroge, dans une récente livraison de ses cahiers [*], sur les usages sociaux et politiques de l’évaluation dans la société contemporaine, sous le titre Évaluer l’évaluation. Bien qu’elle soit fréquemment évoquée dans beaucoup de domaines différents, la notion n’est pas claire pour autant : elle désigne en effet, dans le langage commun, des démarches de natures très diverses, qui portent sur des objets eux aussi très différents. Partant du constat que les pratiques d’évaluation envahissent les sociétés contemporaines, EspacesTemps s’est proposé de les identifier et d’en saisir le sens. À partir de disciplines variées (sociologie, histoire, économie, philosophie, sciences politiques) et de perspectives largement ouvertes à plusieurs des idéologies mobilisables sur le sujet, la quinzaine d’auteurs qui ont contribué à ce numéro se sont attachés à mettre l’évaluation en question, à « évaluer l’évaluation » dans les pratiques de la société contemporaine, dans ses discours et dans ses mœurs. Deux prémisses sont avancées. Celle d’abord qui pose l’hypothèse que les activités d’évaluation occupent désormais une place centrale dans les modes de gestion des foules au sein des sociétés de contrôle, c’est-à-dire des sociétés qui ont moins recours à la police pour obtenir les effets voulus qu’à « des processus par lesquels les individus sont progressivement habitués à évaluer leurs activités, ou à les voir évaluées, et habitués encore à s’auto-évaluer ». Ensuite, celle qui met en cause le vocabulaire de l’évaluation, qualifié de « nébuleux », ainsi que le discours qu’il nourrit, soupçonné de « produire de la crédibilité plutôt que de la clarté » et, en tous cas, rarement critique car surtout soucieux de renforcer les assertions sur la perte des repères et des valeurs, et de convaincre qu’en « évaluant, en évaluant mieux, la restauration d’un monde serein serait bientôt en marche ». Malgré son étymologie, soulignent Stanislas d’Ornano et Christian Ruby, l’évaluation ne pose pas d’emblée la question de la valeur mais celle de l’échelle, c’est-à-dire, successivement, « la question d’une situation à organiser, de la détermination des objets à évaluer, de la définition du critère de sélection et de la procédure envisageable, du choix du mode d’énonciation du problème à résoudre, de la définition des rôles spécifiés et du consensus sur la fonction remplie ».
Notes
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[*]
EspacesTemps, Les Cahiers, nos 89-90, octobre 2005, Évaluer l’évaluation. Emprises, déploiements, subversions, http://www.espacestemps.net