CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’argument est bien connu à défaut d’être convaincant : l’absence de femmes au sommet de la hiérarchie de certaines activités constituerait “la preuve” de leur moindre compétence dans ces domaines. Si l’on exclut les tâches pour lesquelles une force physique certaine est requise, il n’y a en réalité aujourd’hui que très peu de carrières dans lesquelles les femmes n’excellent pas au même titre que les hommes, pour peu qu’on leur permette d’y accéder. Et ces carrières ne sont pas limitées aux soins et à l’éducation des enfants, comme en témoigne, entre autres nombreux exemples, la proportion de 80 % de femmes dans la dernière promotion des élèves de l’École nationale de la magistrature, dont le concours d’entrée est réputé très sélectif.

2Dans le domaine artistique, où les qualités requises semblent a priori indépendantes du sexe de leur titulaire, la parité est plus satisfaisante. Elle connaît cependant des aléas si l’on pense, par exemple, à l’architecture ou à la direction d’orchestre, matières pour lesquelles peu de noms de femmes viennent à l’esprit. Sociologue au laboratoire Georges Friedmann (Paris-I-CNRS), Marie Buscatto consacre, depuis plusieurs années, ses recherches à la place des femmes dans les mondes de l’art [1]. S’arrêtant sur le cas du jazz, elle observe que les femmes y sont fréquemment chanteuses (avec un succès parfois exceptionnel) mais presque jamais instrumentistes. Un processus de double ségrégation rendrait compte de cette situation. Ségrégation horizontale d’abord, aux termes de laquelle certains métiers seraient considérés comme des “métiers de femmes” et d’autres non ; mais ségrégation verticale aussi, connue sous l’expression de “plafond de verre”, désignant la barrière invisible à laquelle se heurte la progression de la carrière des femmes.

3Le constat de cette double ségrégation est d’autant plus surprenant que le monde du jazz est réputé atypique et porté par un esprit de liberté laissant peu d’espace aux discriminations et aux stéréotypes. Mais entrer, et surtout demeurer, dans ce monde, passer du statut d’amateur à celui de professionnel requiert de la persévérance. Une dizaine d’années en moyenne sépare le temps des premières apparitions publiques de celui la reconnaissance. Rares sont les femmes qui parviennent jusque-là. En France, souligne M. Buscatto, elles sont – plus encore peut-être que les hommes – sujettes à la critique, et il faut chercher les exceptions. Comme l’avoue un musicien, « elles ont intérêt à être sur-compétentes ».

4Ces carrières se heurtent donc finalement aux obstacles qui sont présents dans d’autres métiers. Même si des pratiques différentes existent dans certains clubs innovants, on rencontre, le plus souvent, « des femmes incitées à se comporter de manière féminine » et qui se voient dénigrées professionnellement de ce fait, ou bien incitées à se comporter de manière « masculine » et qui se voient alors « dévalorisées pour leur manque de féminité ». Le monde de la musique est encore bien sexiste !

Notes

  • [1]
    Marie Buscatto, 2007, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalisations, préface de Howard S. Becker, Paris, éditions du CNRS, 225 p., 25 euros.En ligne
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2008
https://doi.org/10.3917/inso.148.0099
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