CAIRN.INFO : Matières à réflexion

G. Pineau, J.-L. Legrand, Les histoires de vie, Paris, PUF, coll. “Que sais-je ?”, 2007

1Tout le monde a une vie mais peu de gens ont une histoire de vie. En effet, accéder à la biographie est un privilège rare que connaissent seulement quelques personnages illustres. Pourtant, raconter sa vie par le biais d’une autobiographie éditée à compte d’auteur est une pratique désormais plus courante, parallèle parfois à des recherches généalogiques. Si l’on passe du texte à d’autres pratiques sociales, les occasions de faire le point sur sa vie ou sur celle des autres ne manquent pas : récits de mémoires familiales, discussions entre pairs (en réponse à la question : “Alors qu’est-ce que tu deviens ?”), anniversaires, commémorations, arrivées ou départs à la retraite, curriculums vitæ et entretiens d’embauche, etc.

2Pourtant, au-delà d’usages privatifs ou institutionnels, c’est dans les sciences humaines que la question biographique se pose désormais. Sous les termes “histoire de vie”, des chercheurs ont progressivement mis en forme une démarche visant à produire de la connaissance à partir d’un récit biographique et de son analyse. Il s’agit donc d’une histoire à la première personne, permettant de ressaisir les grandes étapes et les parcours des individus qui acceptent de se plier à l’exercice.

3Plusieurs raisons peuvent expliquer le développement de l’usage des histoires de vie dans la recherche en sciences humaines. D’abord, les parcours des individus semblent beaucoup moins bien assurés aujourd’hui qu’à l’époque des Trente Glorieuses, notamment dans les registres de la famille et du travail. Ensuite, les âges et les fonctions de la vie apparaissent désarticulés, et les itinéraires, loin d’être linéaires, comprennent des faux départs, des retours, et surtout de nombreux imprévus dominés par la précarité ambiante. Enfin, entendre les voix des individus qui se racontent ouvre des perspectives que les traitements statistiques ne permettaient pas toujours d’envisager.

4L’intérêt majeur de l’histoire de vie est de donner l’occasion à un sujet de faire le point, de recomposer le sens de son itinéraire, même s’il a été malmené par l’Histoire. À partir de la mise en mots des ruptures et des accidents de son histoire, il peut bâtir, a posteriori, des cohérences qui n’apparaissaient pas, surtout de l’extérieur. L’histoire de vie est susceptible, en ce cas, d’avoir des vertus émancipatrices, puisqu’elle aide le sujet à devenir maître de son récit.

5Cependant, les auteurs n’éludent pas les risques de l’illusion biographique, autrefois dénoncée par P. Bourdieu. Ils insistent sur le cadre social de production des récits de soi qui peuvent être imposés par des procédures contraignantes, plus ou moins visibles, et rappellent l’articulation qui existe toujours entre les savoirs et les pouvoirs.

6On voit que l’histoire de vie, loin d’être un simple exercice narcissique, est une pratique qui s’efforce de créer une plus-value sociale par la narration de soi.

Alain Vulbeau
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/04/2008
https://doi.org/10.3917/inso.145.0095
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