1Après avoir été longtemps presque ignorée, voire rejetée par la sociologie, la notion d’individu occupe désormais – au moins chez certains de ses tenants – une place majeure dans la discipline.

2Les traditions fonctionnaliste et marxiste ont accrédité la conception d’un individu qui n’était qu’un objet déterminé par le système social, la connaissance de ce dernier se suffisant des notions de classe, de rôle ou d’habitus.

3Vincent Caradec, professeur de sociologie à Lille, et Danilo Martucelli, chargé de recherche au CNRS, se sont attachés, dans un ouvrage dont ils ont assuré conjointement la coordination [1], à retracer le cheminement au terme duquel la prise de conscience d’un écart entre les individus et le système s’est d’abord révélée puis affirmée, la nouvelle épure du personnage social s’exprimant à travers les notions de “distance au rôle”, d’“expérience”, de “subjectivité” ou de “construction identitaire”.

4Deux étapes ont marqué l’histoire de cette rencontre. La première est repérable dès les années 1960-1970 aux États-Unis, et est caractérisée par la mise en question de l’harmonie établie par le modèle du personnage social. La seconde, qui a plutôt eu l’Europe pour cadre, une vingtaine d’années plus tard, est associée au thème de l’individualisation.

5L’état de la question qui est proposé dans cet ouvrage s’organise autour de trois grandes problématiques : celle des “supports” (les manières effectives par lesquelles les individus parviennent à se tenir face au monde) permettant à l’individu de faire face à l’injonction d’autonomie, celle des ressorts collectifs au fondement des représentations de l’individu contemporain, et celle des pistes analytiques nouvelles auxquelles celui-ci confronte désormais la sociologie. Chacune de ces pistes est ouverte par une présentation théorique qui la définit et la situe par rapport à l’histoire de la sociologie ; elle est ensuite illustrée par des études souvent empiriques qui visitent des thèmes d’actualité et des “objets” sur lesquels les auteurs ont eu l’occasion de travailler : le vieillissement, la précarité, l’ethnicité, les politiques sociales, la maladie… Dans l’une d’entre elles, Maryse Bresson (qui contribue également à ce dossier d’Informations sociales) analyse comment les trois grandes institutions de l’intervention sociale, à savoir la Sécurité sociale, l’aide sociale et l’action sociale, ont développé, au fil de leur histoire et de leurs pratiques, une conception très spécifique et évolutive de l’individu, dont la dernière figure (en date), si elle est toujours définie dans le cadre de la relation avec la société, met l’accent sur l’idée de responsabilité vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de ses efforts d’intégration à la société.