1La consommation de relations sexuelles entre membres d’une même famille est connue sous le nom d’inceste. Cette pratique est fréquemment évoquée comme exemple d’un acte qui serait prohibé partout et de tout temps. Une telle affirmation mérite pour le moins d’être énoncée avec prudence si l’on se réfère aux classiques des sciences humaines.
2Bien que le nom de Freud soit souvent associé à l’idée d’interdit de l’inceste, cette notion n’a pas joué un rôle décisif dans la pensée du père de la psychanalyse. Ce n’est qu’en cherchant des traces de l’état antérieur de notre développement psychique au sein des cultures des peuples primitifs (et sur la seule base de la lecture des anthropologues) qu’il s’y est arrêté.
3La question semble en effet intéresser davantage la structuration de la société que celle de l’économie psychique des individus, même s’il paraît peu discutable que ces deux phénomènes interagissent l’un sur l’autre. C’est donc auprès des anthropologues qu’il faut chercher des éléments de réponse à l’hypothèse de l’universalité du tabou.
4Il convient surtout d’évaluer l’étendue de l’interdit. Les observations rapportées par de savants voyageurs témoignent d’une grande ouverture de son champ, celui-ci se limitant parfois aux seuls consanguins mais pouvant également s’étendre aux parents par alliance voire aux personnes liées par une simple parenté spirituelle. À noter encore que cet interdit peut aussi varier selon que le rapprochement implique deux personnes appartenant ou non à un même clan, ce qui souligne le caractère social et non pas seulement naturel de la prohibition. Le principe serait, selon Françoise Héritier, professeur au Collège de France, “d’éviter l’entrée en contact intime de deux substances identiques sous peine d’effets maléfiques”, cette menace recouvrant probablement les dangers de dégénérescence génétique souvent dénoncés par les médecins.
5Des autres et nombreuses explications qui ont pu être proposées, celle qui suggère que l’interdit favoriserait à la fois l’ordre social, en assignant des rôles dans le processus généalogique, la paix, en créant des alliances entre groupes voisins, et le développement économique, en facilitant les échanges de biens, paraît assez séduisante. Mais comme les autres, elle n’a jamais dépassé le statut d’une hypothèse qui ne convainc que partiellement.
6D’une façon assez inattendue, la notion d’inceste n’apparaît pas dans le Code pénal français, qui ne retient la relation de parenté directe entre l’infracteur et la victime que comme un facteur aggravant dans le cas d’agression sexuelle. C’est là un exemple assez peu courant de plus grande sévérité du jugement moral commun par rapport à la loi.
7Si l’on ajoute, dans le domaine de la culture, cette fois, la relative fréquence d’actes incestueux dans les grands mythes fondateurs ainsi que dans l’histoire, spécialement égyptienne, et la fréquence d’apparition du thème dans la littérature et dans le cinéma, surtout contemporains, on peut évidemment s’interroger sur la nature véritable du tabou qui s’attacherait à l’inceste.