CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les premiers résultats d’une grande enquête sur le contexte de la sexualité en France mettent notamment en évidence des évolutions sensibles pour les femmes qui osent davantage dire et faire dans ce domaine. Toutefois, hommes et femmes restent, au plan des représentations, convaincus qu’il existe une sexualité différenciée, pour les femmes davantage tournée vers l’affectif, et pour les hommes conduite par le besoin physique. Des stéréotypes résistants.

2Une grande enquête sur le Contexte de la sexualité en France (CSF) a été réalisée en 2006 [1]. Il s’agit de la troisième enquête nationale sur les comportements sexuels dans le pays, après les enquêtes Simon en 1970 (Simon et al., 1972) et ACSF (Analyse des comportements sexuels en France) en 1992. Cette dernière avait été menée auprès de 20 000 personnes, au plus fort de l’épidémie de sida, et avait eu un grand retentissement (Spira, Bajos, et groupe ASF, 1993 ; Bozon, Leridon, 1993 ; Bajos, Bozon et al., 1998).

Préparation et réalisation de l’enquête

3Depuis la dernière enquête, le contexte de la sexualité a beaucoup changé. À partir de 1996, des traitements de l’infection à VIH sont devenus disponibles, ce qui l’a transformée en une maladie chronique. Des infections continuent néanmoins à se produire tous les ans. Mais surtout, l’épidémie s’est banalisée et les représentations des risques liés à la sexualité se sont profondément modifiées. Par ailleurs, la société française a continué à changer dans ses structures familiales, avec l’augmentation de la mobilité conjugale, ainsi que dans la demande de plus en plus forte d’égalité entre les sexes et entre les sexualités, ce dont témoignent la loi sur la parité de 1999, mais aussi l’instauration du PACS, ou encore l’importance sociale et politique qu’a prise la lutte contre les violences faites aux femmes.

4L’enquête CSF a adopté une perspective large sur la sexualité. Elle appréhende à la fois des actes, des relations et des représentations, en lien avec le contexte social, les conditions de vie, les trajectoires personnelles et les formes prises par les rapports entre les femmes et les hommes. L’objet de l’enquête est le lien entre sexualité et santé, aussi bien le VIH et la protection que la contraception, les IVG, les dysfonctions, les violences sexuelles et les infections sexuellement transmissibles (IST).

5L’enquête a demandé deux ans de préparation. Comme pour celle de 1992, il s’agit d’une enquête téléphonique, bien adaptée à un thème comme la sexualité. Elle a été menée auprès d’un échantillon aléatoire de la population âgée de 18 à 69 ans. 12 364 personnes, femmes et hommes, ont été interrogées, pour l’essentiel à travers des numéros de téléphone fixes, mais aussi à partir d’un échantillon complémentaire de portables. Le recueil anonyme des données a duré six mois et le questionnaire de base durait 49 minutes en moyenne. À la fin de l’enquête, une partie de l’échantillon se voyait proposer un test de dépistage à domicile des Chlamydiae, les chlamydioses étant l’IST bactérienne la plus répandue en France (voir plus bas).

Une vie sexuelle plus longue et plus diversifiée pour les femmes

6Il y a cinquante ans, les femmes commençaient leur vie sexuelle à 20,6 ans en moyenne, soit deux ans plus tard que les hommes. Dans les années 1960 et 1970, leur âge au premier rapport a baissé fortement et s’est rapproché de celui des hommes, pour se stabiliser ensuite dans les années 1980 et 1990. Dans les années 2000, une nouvelle baisse s’est amorcée, dont on ne peut pas encore dire si elle se poursuivra. L’écart entre femmes et hommes n’est plus que de quelques mois, 17,6 ans pour elles et 17,2 ans pour eux.

7Les personnes ont été interrogées sur le nombre de partenaires sexuels qu’elles avaient eu. Les femmes déclarent en avoir eu moins que les hommes. Ainsi, alors qu’une femme sur dix seulement dit avoir eu plus de 10 partenaires dans sa vie, c’est le cas d’un homme sur trois. Les femmes déclarent en moyenne 4,4 partenaires dans leur vie, contre 11,6 pour les hommes. Logiquement, les nombres devraient être égaux. D’où vient cette différence? L’explication est que les femmes et les hommes ne comptent pas de la même façon, parce qu’ils définissent différemment les partenaires : les hommes comptent toutes les expériences sexuelles qu’ils ont eues, les femmes sont plus sélectives et ne comptent que les relations qui ont compté affectivement. Ces différences renvoient à des divergences marquées dans les représentations de la sexualité, sur lesquelles on reviendra.

8Cependant, les nombres de partenaires que déclarent les femmes sont plus élevés que dans les enquêtes précédentes, de 1,8 en 1970 à 4,4 aujourd’hui, alors que ceux des hommes ne changent pas. Il est plus facile aujourd’hui pour les femmes de déclarer une vie sexuelle diversifiée.

9Lorsqu’on examine les proportions de personnes qui ont au moins 2 partenaires dans l’année, on voit qu’elles sont élevées chez les jeunes, qui sont en phase de recherche de partenaires. Ces proportions sont supérieures chez les hommes (trois sur dix, contre deux sur dix chez les femmes entre 18 et 24 ans). Aux âges où la plupart des gens sont en couple, ces proportions baissent (entre 6 % et 9 %) et se rapprochent entre hommes et femmes. Parmi les personnes qui vivent en couple, celles qui ont eu au moins 2 partenaires dans l’année ne sont que 3 % parmi les femmes, et 5 % parmi les hommes.

10La fréquence mensuelle des rapports sexuels est de 9 rapports en moyenne parmi les personnes qui ont un partenaire, identique chez les femmes et les hommes : un chiffre similaire à celui qu’enregistrait l’enquête de 1992. L’intensité de l’activité sexuelle diminue avec l’âge, puisqu’on passe de 11 rapports chez les femmes de 18-19 ans (13 chez les hommes), à 5 rapports pour les femmes de plus de 60 ans (6 pour les hommes de cet âge). Mais la durée de la relation compte aussi. La fréquence est de 12 rapports dans les relations de moins de six mois, et de 8 seulement dans celles de plus de cinq ans. Enfin, l’enquête révèle un phénomène peu connu : parmi les personnes en couple depuis plus d’un an, on en compte 15 % qui, dans l’année précédente, n’ont pas eu de rapports sexuels pendant au moins trois mois. Cette proportion augmente avec la durée de la relation, mais est déjà de 10 % chez les personnes en couple depuis deux ou trois ans…

11Un phénomène notable est l’augmentation de l’activité sexuelle des femmes de plus de 50 ans en couple. En 1970, la moitié seulement des femmes mariées de plus de 50 ans avaient encore une activité sexuelle. En 2006, c’est devenu la situation habituelle (9 femmes en couple sur 10). La fréquence des rapports augmente aussi : les femmes de plus de 50 ans en couple avaient, en moyenne, 5 rapports en 1992. Elles en ont 7 aujourd’hui. C’est une forte augmentation, qui traduit un allongement de la vie sexuelle.

Homosexualité : plus pratiquée, plus acceptée

12La proportion de personnes qui déclarent avoir déjà eu un partenaire du même sexe est en augmentation chez les femmes : elles sont 4 % en 2006, alors qu’elles n’étaient que 2,6 % en 1992. Les hommes sont restés à 4,1 %. Très rares sont les personnes qui n’ont eu des rapports sexuels qu’avec des personnes du même sexe : seulement 0,3 %. Enfin, parmi les personnes qui rapportent des pratiques homosexuelles, 13 % n’ont eu ces expériences qu’avant 18 ans.

13Les proportions d’homo-bisexuels varient nettement selon l’âge et le milieu social. Elles sont plus basses chez les plus de 50 ans pour les hommes, et chez les plus de 60 ans pour les femmes. Le milieu géographique compte aussi. Les homo-bisexuels ne sont que 3 % dans les zones rurales, alors qu’ils sont beaucoup plus nombreux dans l’agglomération de Paris. Ils sont 15 % parmi les hommes âgés de 35 à 39 ans vivant dans l’agglomération de Paris et ayant un niveau d’études supérieur (baccalauréat + 2). Et parmi les femmes de 40 à 49 ans, avec les mêmes caractéristiques, on compte 11 % d’homo-bisexuelles. Tout cela montre que les femmes et les hommes homo-bisexuels doivent emprunter des parcours sociaux particuliers pour vivre dans des environnements plus tolérants.

14Enfin, les personnes qui ont eu des rapports avec des partenaires du même sexe dans les douze mois sont moins nombreuses : elles ne représentent que 1 % des femmes et 1,6 % des hommes. Néanmoins, ces chiffres augmentent nettement par rapport à 1992.

15Les personnes ont été interrogées sur leur opinion concernant l’homosexualité. Cette dernière est nettement plus acceptée par les jeunes générations que par les générations anciennes, et davantage chez les femmes que chez les hommes. Parmi les 18 à 24 ans domine l’opinion que “l’homosexualité est une sexualité comme une autre”. En revanche, parmi les hommes de plus de 60 ans, l’idée la plus répandue est que “l’homosexualité est une sexualité contre nature”. Les jeunes sont plus tolérants, mais entre 18 et 24 ans, deux fois plus d’hommes que de femmes ont une attitude intolérante (21 % contre 9 %). Cela révèle la peur qu’ont probablement certains hommes de voir leur identité masculine remise en cause.

Pratiques sexuelles : convergences et divergences entre femmes et hommes

16Toutes les pratiques sexuelles n’ont pas la même légitimité. La pénétration vaginale est relativement universelle, mais d’autres ne font pas partie du répertoire de tous et peuvent être sous-déclarées.

17Fellation et cunnilingus ont été pratiqués au moins une fois dans leur vie par 80 % et 85 % des personnes interrogées, sans différence entre les femmes et les hommes. Cette proportion a fortement augmenté depuis l’enquête de 1970, et même depuis celle de 1992. Il n’existe plus de générations dans lesquelles les pratiques de sexualité orale seraient majoritairement inconnues. Les jeunes hommes apprennent un peu plus tôt que les jeunes femmes, mais entre 25 et 49 ans, les déclarations des femmes et des hommes convergent : près des deux tiers d’entre eux déclarent pratiquer régulièrement la sexualité orale (souvent ou parfois dans les douze mois). Ces deux pratiques se sont fortement banalisées et font désormais partie du répertoire sexuel ordinaire des individus et des couples.

18En ce qui concerne la pénétration anale et la masturbation, en revanche, les déclarations divergent entre femmes et hommes. Alors que neuf hommes sur dix ont pratiqué la masturbation, sans différence entre les générations, ce n’est le cas que de six femmes sur dix, et c’est bien moins dans les générations plus anciennes. Cette proportion chez les femmes a fortement augmenté depuis l’enquête de 1992, où elle n’atteignait que 42 %. Il est probable que cette augmentation est largement due à une plus grande facilité à en parler. La pratique régulière de la masturbation chez les femmes (c’est-à-dire souvent ou parfois) est peu fréquente dans la jeunesse, tandis qu’elle augmente jusqu’à 20 % à l’âge de la vie conjugale. Pour les hommes, elle présente des caractéristiques différentes. Les hommes jeunes, pour qui la masturbation est une sorte de premier contact avec la sexualité, sont les pratiquants les plus assidus. Par la suite, entre 25 et 49 ans, plus de 40 % d’entre eux la pratiquent encore régulièrement, soit deux fois plus que les femmes.

19Enfin, s’agissant de la pénétration anale, elle n’a été expérimentée que par une minorité des personnes, et les femmes la déclarent moins que les hommes (37 % contre 45 %). Le nombre de pratiquants a cependant augmenté de près de 15 points par rapport à 1992. Lorsqu’elle est pratiquée, elle ne l’est que de manière occasionnelle. Entre 20 et 49 ans, moins d’un homme sur cinq dit la pratiquer régulièrement, et environ une femme sur dix. La pénétration anale a beau se diffuser, elle ne se banalise pas, et le fait que les femmes la rapportent moins signale sans doute une réticence spécifique.

Nouveaux et anciens scénarios : Internet, l’échangisme et la prostitution

20Les nouveaux moyens de communication font désormais partie du scénario des rencontres amoureuses et sexuelles. Les sites de rencontre sur Internet ont connu un succès fulgurant, qui a fait oublier les anciens clubs de rencontre, et évidemment le Minitel : 10 % des femmes et 13 % des hommes s’y sont déjà connectés, et près d’un tiers des jeunes entre 18 et 24 ans. Les femmes sont même plus nombreuses que les hommes à cet âge-là : 36 % à 18-19 ans. Le fait que les jeunes femmes se soient emparées d’Internet est un véritable événement. Entre 25 et 39 ans, en revanche, deux fois plus d’hommes que de femmes ont visité des sites de rencontre. L’enquête donne une photographie, en 2006, d’un paysage en pleine transformation, et la diffusion des sites de rencontre va sans doute s’accélérer et atteindre rapidement d’autres groupes d’âge.

21Les sites de rencontre ne sont pas seulement des lieux de discussion ou d’échange virtuel. Des proportions significatives de femmes et d’hommes ont déjà eu des rapports avec des partenaires rencontrés par Internet. Près de 5 % des femmes de 18 à 34 ans sont dans ce cas, et entre 7 et 10 % des hommes entre 18 et 39 ans.

22L’échangisme présente un profil très différent. Il touche moins de 4 % des hommes et moins de 2 % des femmes. La différence entre hommes et femmes rappelle qu’il s’agit d’une pratique d’hommes seuls autant que d’une pratique de couples. Les jeunes sont très peu concernés. Ce sont les hommes de 25 à 49 ans qui fréquentent le plus ces lieux, à près de 5 %. Fréquenter un lieu échangiste signifie plus souvent y avoir des rapports sexuels quand on est un homme que quand on est une femme. Ces dernières ne sont que 0,6 % à y avoir eu des rapports, contre un peu plus de 2 % des hommes. Enfin, la comparaison avec l’enquête de 1992 montre que la pratique de l’échangisme n’a pas augmenté depuis cette époque, malgré l’effet de médiatisation dont il a bénéficié.

23La prostitution n’est pas en voie de recul. Au cours de leur vie, les hommes de plus de 50 ans sont entre un quart et un tiers à y avoir eu recours, ce qui montre la place de cette expérience dans la vie masculine. Un autre indicateur, le fait d’y avoir recouru dans les cinq dernières années, est plus pertinent pour suivre les évolutions. Il mesure la pratique actuelle de la prostitution et ne montre aucune diminution entre 1992 et 2006, puisqu’il se situe aujourd’hui à 3,1 %, contre 3,3 % il y a quinze ans. Comme en 1992, ce sont les hommes jeunes, de 20 à 34 ans, qui ont le plus recours à la prostitution (5 % à ces âges). Dans certains milieux, des proportions encore plus importantes d’hommes y ont recours : ainsi, alors que seulement 4 % des hommes jeunes qui vivent dans des agglomérations de moins de 5 000 habitants l’ont pratiquée, c’est le cas de près de 12 % des hommes de 20 à 34 ans qui vivent dans l’agglomération parisienne.

Dysfonctions sexuelles : pas si souvent un problème

24Femmes et hommes ont été interrogés sur les difficultés qu’ils avaient rencontrées souvent, parfois ou rarement, au cours des douze derniers mois, dans leur sexualité. Les femmes disent, dans 7,4 % des cas, avoir rencontré souvent des problèmes à obtenir un orgasme. Les hommes sont 2,5 % à déclarer avoir souvent des problèmes à obtenir une érection.

25Ces difficultés sont liées à l’âge. Ainsi, ce sont les femmes les plus jeunes et les plus âgées qui déclarent le plus fréquemment rencontrer souvent des difficultés pour atteindre l’orgasme (11,4 % chez les 18-24 ans et 13,9 % chez les 60-69 ans). Le fait d’avoir un problème d’érection augmente chez les hommes après 50 ans, et plus encore après 60 ans (6 % souvent, et 30 % parfois). Les données traduisent des difficultés liées, d’une part, à l’apprentissage, et, d’autre part, tant au vieillissement qu’à une certaine lassitude dans les relations de longue durée.

26Dans la littérature médicale, il est courant de parler des dysfonctions en additionnant ceux qui disent en connaître souvent et parfois. Nous avons demandé aux personnes interrogées si les difficultés qu’elles rapportaient constituaient un problème pour leur sexualité. La majorité de celles et ceux qui rencontrent souvent ces difficultés disent que c’est un problème pour leur vie sexuelle. En revanche, seulement une minorité de celles et ceux qui ont parfois ces difficultés disent que c’est un problème. On voit qu’il est important de ne pas mêler dans une seule catégorie toutes les réponses à la question sur les difficultés dans la vie sexuelle, qui renvoient à des enjeux assez différents, pas forcément médicaux.

Le préservatif : une diffusion large mais encore incomplète

27L’utilisation du préservatif au premier rapport a atteint 90 % chez les jeunes de 18 à 24 ans. Elle a fortement augmenté à partir du moment où ont commencé des campagnes de prévention du VIH, dans la seconde moitié des années 1980. Le niveau d’utilisation atteint est élevé et stable depuis la fin des années 1990. Il convient de noter que, contrairement à une idée répandue, le taux d’utilisation du préservatif est aussi élevé chez les personnes qui commencent tôt leur vie sexuelle, à 15 ans par exemple, que chez celles ou ceux qui la commencent à 18 ans ou à 19 ans. Les seuls qui l’utilisent moins sont les jeunes sans diplôme.

28En matière de prévention, l’utilisation du préservatif au premier rapport n’est évidemment qu’une première étape. Chez les personnes qui commencent une relation avec un nouveau partenaire ou chez celles qui ont eu au moins deux partenaires dans les douze derniers mois, le préservatif est loin d’être systématiquement utilisé. On observe toutefois que les personnes qui ont eu au moins trois partenaires se protègent davantage que celles qui n’en ont que deux, et que les homo-bisexuels se protègent plus que les hétérosexuels. Le nombre de partenaires n’est pas un indicateur suffisant pour rendre compte du risque de transmission du VIH ou d’IST. Cependant il reste vrai, et préoccupant, que beaucoup de personnes ayant des nouveaux partenaires ou plusieurs partenaires n’utilisent jamais de préservatif. Un autre motif de préoccupation est que les femmes, dans toutes ces situations, l’utilisent moins que les hommes. Elles ont des difficultés particulières à négocier son utilisation, notamment lorsqu’elles vivent une sexualité diversifiée, qui reste socialement peu acceptée.

L’infection à Chlamydia trachomatis : une IST sous-dépistée

29L’infection à Chlamydia est la plus courante des infections bactériennes et représente la première cause d’infertilité en France. De plus, elle est très souvent asymptomatique. Un test de cette infection a été proposé à un sous-échantillon de la population interrogée, âgée de 18 à 44 ans. Chez les femmes de 18 à 24 ans, la prévalence est de 3,6 %, contre 2,4 % chez les hommes, et le taux reste élevé (2,6 %) chez les 25-29 ans (femmes et hommes). Au total, la prévalence est de 1,5 % des femmes de moins de 45 ans : ce chiffre est le triple de ce que ces dernières déclarent lorsqu’on leur demande si elles ont eu cette infection dans les cinq ans (0,5 %). Il y a donc un important sous-dépistage. En outre, on observe que 44 % des femmes ayant un test positif ne présentent pas l’un des facteurs classiques de risque de contamination (avoir eu un nouveau partenaire ou plus d’un partenaire dans les douze mois). En l’absence de signes cliniques et de ces facteurs de risque, ces femmes ne seront pas dépistées et risquent d’avoir ultérieurement des complications mettant en jeu leur fertilité.

Des représentations clivées de la sexualité au féminin et au masculin

30Une originalité de l’enquête est de s’être intéressée aux représentations de la sexualité. Les personnes étaient ainsi interrogées sur leur accord avec l’opinion selon laquelle “on peut avoir des rapports sexuels avec quelqu’un sans l’aimer”. L’idée que l’on puisse séparer la sexualité et l’affectivité est plus fréquente chez les hommes des jeunes générations. En revanche, les femmes refusent en majorité cette idée dans toutes les générations. Il en résulte que chez les jeunes, les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes à considérer que l’on peut avoir des rapports sexuels sans aimer.

31Cette divergence est inscrite dans une vision du monde qui voit dans la biologie la cause essentielle des différences femmes/hommes en matière de sexualité. Cette idée emprunte souvent le canal d’une psychologie vulgarisée. Les hommes et surtout les femmes sont ainsi majoritairement d’accord avec l’idée selon laquelle les hommes auraient “par nature plus de besoins sexuels que les femmes”. Les jeunes le pensent un peu moins que les autres générations, mais pas tellement moins.

32Ces représentations rendent compte de la place différente qu’occupe la sexualité dans la vie des individus. C’est aux âges où les personnes sont majoritairement en couple (entre 25 et 49 ans) qu’elles sont le plus d’accord avec la proposition selon laquelle “la sexualité est indispensable à leur équilibre personnel”. Mais à tous les âges de la vie elle paraît plus indispensable aux hommes qu’aux femmes.

33Finalement, on peut dire que malgré certaines évolutions, les représentations de la sexualité continuent à s’organiser selon un clivage opposant une sexualité féminine pensée prioritairement dans le registre de l’affectivité et de la conjugalité, et une sexualité masculine pensée essentiellement dans le registre du besoin physique. Et cette opposition est perçue comme un fait de nature biologique.

Conclusion

34Les premiers résultats de l’enquête de 2006 montrent que les femmes ont et déclarent une vie sexuelle de plus en plus diverse et active, si l’on compare avec les enquêtes précédentes. Les indicateurs concernant les hommes changent moins. Ces changements renvoient aux transformations des trajectoires et des vies familiales, ainsi qu’aux évolutions sociales générales. Dans le même temps, malgré certaines évolutions, par exemple dans les attitudes à l’égard de l’homosexualité, les représentations de la sexualité continuent à rester traditionnelles, et à opposer fortement la sexualité qui convient aux femmes et celle des hommes.

35L’évolution des pratiques ainsi que la faible mobilité des représentations produisent ainsi de nouvelles tensions et des contradictions entre comportements et représentations. Ces tensions ont des conséquences en matière de prévention, en particulier pour les jeunes femmes, surtout celles qui ont un statut social précaire ou dont la vie sexuelle est stigmatisée. Plus généralement, on s’aperçoit que certains profils de personnes restent moins atteints par la prévention : les personnes sans diplôme et celles qui ont plusieurs partenaires.

36Les données présentées sont des premiers résultats. Un livre contenant des analyses plus détaillées doit paraître aux éditions La Découverte, au premier semestre 2008. De nombreuses analyses sont encore en cours, beaucoup de thèmes n’ayant pas été abordés. Il reste à rapporter les comportements aux conditions de vie, aux milieux sociaux, aux trajectoires affectives et sexuelles et aux caractéristiques des partenaires.

Note

  • [*]
    Outre Nathalie Bajos et Michel Bozon, le groupe CSF comprend : Nathalie Beltzer, Armelle Andro, Michèle Ferrand, Véronique Goulet, Anne Laporte, Henri Leridon, Charlotte Le Van, Sharman Levinson, Agnès Prudhomme, Laurent Toulemon, Nicolas Razafindratsima, Josiane Warszawski.
  • [1]
    L’enquête Contexte de la sexualité en France a été menée sous la responsabilité scientifique de Nathalie Bajos (INSERM) et de Michel Bozon (INED), et coordonnée par Nathalie Beltzer (ORS Île-de-France). L’équipe de recherche associe des chercheurs en sociologie, démographie et épidémiologie de l’INSERM, de l’INED, du CNRS, de l’INVS et de l’université. L’enquête est réalisée à l’initiative de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Elle a été financée par l’ANRS, la Fondation de France, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la Santé, et l’INPES. Les premiers résultats ont été présentés lors d’une conférence de presse le 13 mars 2007 ; le dossier de presse contenant les résultats détaillés est téléchargeable sur les sites de l’ANRS, de l’INSERM et de l’INED.
Français

Résumé

La troisième grande enquête sur la sexualité en France, l’enquête CSF 2006, révèle que la vie sexuelle des femmes s’est allongée et diversifiée. De nouveaux scénarios se sont installés, avec les sites de rencontre par Internet, dont les femmes sont partie prenante. Pourtant, une vision assez traditionnelle des places des femmes et des hommes dans la sexualité continue à prévaloir, qui peut entraîner des tensions et des difficultés particulières du point de vue de la prévention.

Bibliographie

  • Nathalie Bajos, Michel Bozon, Alexis Ferrand, Alain Giami et Alfred Spira, La sexualité aux temps du sida, Paris, PUF, coll. “Sociologie d’aujourd’hui”, 1998.
  • Michel Bozon, Henri Leridon (dir.), n° spécial de Population, 5, “Sexualité et sciences sociales”, 1993.
  • Groupe ACSF, Comportements sexuels et sida en France. Données de l’enquête ACSF, Paris, Éditions de l’INSERM, coll. “Questions de santé publique”, 1998.
  • Pierre Simon, Jean Gondonneau, Lucien Mironer et Anne-Marie Dourlen-Rollier, Rapport sur le comportement sexuel des Français, Paris, Julliard et Charron, 1972.
  • Alfred Spira, Nathalie Bajos et le groupe ACSF, Les comportements sexuels en France, Paris, La Documentation française, 1993.
Nathalie Bajos
Socio-démographe, directrice de recherche à l’INSERM, responsable de l’équipe “Santé sexuelle et reproductive”, spécialisée dans les questions de sexualité, de contraception, d’avortement et de prévention des risques liés à la sexualité, en France, en Europe et en Afrique, elle a coordonné l’enquête ACSF de 1992, et est co-responsable de l’enquête CSF 2006.
Michel Bozon
Sociologue, directeur de recherche à l’INED, ses travaux portent sur la sociologie de la sexualité, à partir d’enquêtes menées en France ou dans les pays latino-américains (notamment le Chili, le Brésil et le Mexique), et d’autre part sur l’étude des rapports de genre. Il est co-responsable de l’enquête “Contexte de la sexualité en France”, menée en 2006 par l’INED et l’INSERM. À l’INED, il est rédacteur en chef de la revue bilingue Population, et co-responsable de l’unité de recherche “Démographie, genre et société”. Il a notamment publié La formation du couple (Paris, La Découverte, 2006, avec F. Héran).
L’équipe CSF [*]
  • [*]
    Outre Nathalie Bajos et Michel Bozon, le groupe CSF comprend : Nathalie Beltzer, Armelle Andro, Michèle Ferrand, Véronique Goulet, Anne Laporte, Henri Leridon, Charlotte Le Van, Sharman Levinson, Agnès Prudhomme, Laurent Toulemon, Nicolas Razafindratsima, Josiane Warszawski.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.144.0022
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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