1Un sombre univers de jalousies et de haines rentrées est peut-être l’envers de la photo qui expose, sur le papier glacé d’un magazine, l’image de deux femmes, la mère et la fille, affichant dans un même sourire leur ressemblance et leur complicité radieuses.
2Sujet longtemps occulté par les psychologues et rarement abordé par les romanciers, du moins jusqu’à récemment, les uns privilégiant l’étude des rapports entre les mères et leurs fils, les autres l’évocation de sentiments d’amour sans partage façon marquise de Sévigné, la spécificité des rapports entre les mères et leurs filles n’a fait son apparition qu’à partir de 1998.
3Quatre noms, ceux d’Aldo Naouri, pédiatre, de Caroline Eliacheff et Marie-Magdeleine Lessana, psychanalystes, et de Maryse Vaillant, psychologue clinicienne, illustrent l’histoire de ce dévoilement. Les ouvrages [1] qu’ils ont publiés, fruits de leurs recherches, de leur expérience professionnelle ou de leur vécu personnel, convergent au moins sur un point : la description d’une relation passionnelle et souvent violente caractérisée par une incompréhension mutuelle et apparemment irréductible. D’abord rivales vis-à-vis d’un homme, père et mari, dont il s’agit d’accaparer l’amour, mère et fille découvrent vite qu’elles sont aussi solidaires en tant que femmes dans un monde où leur place est encore subalterne, et qu’elles partagent le devoir d’enfanter pour assurer la reproduction de l’espèce.
4Si l’un des auteurs parle à leur propos de “ravage”, les rapports mères/filles ne se caractérisent cependant pas par un état de guerre permanent. Aldo Naouri souligne la grande ambivalence qu’il a observée dans ces relations quand elles sont évoquées successivement par l’une et par l’autre. La très grande variété des figures négatives de la mère (mère jalouse, confidente, autoritaire, surprotectrice, immature, etc.) s’exprime alternativement en combinaison avec des séquences qui traduisent, à l’inverse, des moments de confiance et d’amour à propos desquels le pédiatre note qu’ils peuvent aussi devenir “un enfer”, situation que traduit le titre du livre de Maryse Vaillant, pour qui il ne s’agit plus de vivre ensemble mais “avec”.
5Ce lien apparaît comme indissoluble car plus qu’aucun autre il est constructeur d’une identité à laquelle il semble impossible d’échapper. Les observations et les témoignages rassemblés dans les ouvrages cités soulignent même qu’il se renforcerait à l’occasion des tentatives mises en œuvre pour s’en échapper. L’enfer serait-il “l’autre” ?
Notes
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[1]
Aldo Naouri, Les filles et leurs mères, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich, Mères-filles, une relation à trois, Paris, Albin Michel, 2002 ; Marie-Magdeleine Lessana, Entre mère et fille : un ravage, Paris, Hachette, 2002 ; Maryse Vaillant et Judith Leroy, Vivre avec elle, Paris, La Martinière, 2004.