CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Parce qu’il utilise des tournures et des mots qui semblent un peu désuets, le parler des Québécois est quelquefois l’objet de moqueries – amicales et indulgentes, il faut le souligner – de la part des Français de France. Mais les mêmes s’émerveillent aussi de la capacité de cette langue presque exotique à générer des images poétiques dans la vie de tous les jours et à conférer aux propos qu’elle soutient la saveur rare d’un passé dont la nostalgie est en chacun.

2Le touriste revient de la Belle Province avec un petit bagage de termes et d’expressions qu’il tentera d’utiliser plus ou moins adroitement. Le linguiste, lui, s’interrogera sur les origines de cette langue ou sur ses spécificités lexicales et syntaxiques.

3Les spécialistes, dit Henriette Walter[1], ne s’accordent pas sur les origines du français québécois. Il n’est en particulier pas établi si les premiers arrivants, au début du XVIIe siècle, parlaient la même langue ou chacun son patois, le royaume de France étant alors un espace culturellement très disparate. Quelques-uns de ces observateurs, frappés par la fréquence, dans la langue courante, d’expressions propres à la vie en mer, ont formulé l’hypothèse intéressante mais difficile à vérifier que ces primo arrivants partageaient sans doute la connaissance d’un “français maritime” pratiqué dans les ports pour des raisons utilitaires. Si cette proposition ne peut être vérifiée, il est certain, cependant, que la quasi-totalité des immigrants du XVIIe venaient “de l’ouest et du centre du domaine d’Oïl”, c’est-à-dire, en termes actuels, d’Aquitaine et du Poitou-Saintonge.

4La “parlure” québécoise ne se limite pas à la truculence de son accent. Elle est riche de mots liés à l’histoire du pays, et que leur étude raconte. On y trouve par exemple des archaïsmes et des régionalismes issus du français ou de la langue amérindienne et des québécismes, qui sont des mots et des expressions propres au français du Québec (un “char” pour une automobile ; “bûcher” pour couper du bois, etc.). S’y ajoutent des termes empruntés à la langue du puissant voisin américain et assimilés par francisation (“zone de touage” pour toaway zone – zone d’enlèvement des voitures en stationnement interdit) ou des néologismes (“motoneige”).

5Dans une étude qui fait autorité, un professeur de linguistique de Montréal, Claude Poirier, a recensé et classé les formes de ces québécismes dans un tableau à double entrée[2], selon un axe dit historique (archaïsmes, dialectalisme, amérindianisme, anglicisme et innovation) et un axe dit différentiel (lexématique, sémantique, grammatical, phraséologique et statutaire).

6Vis-à-vis de l’américain, le Québec contourne avec ostentation certaines formules que la France a adoptées sans manière, comme parking, week-end ou pull-over (respectivement traduits par “parc de stationnement”, “fin de semaine” et “chandail”), mais adopte des idiomes qu’il importe directement de chez son voisin : “canceller” pour annuler, “matcher” pour assortir ou “céduler” pour programmer, autant de mots dont le locuteur anglais aura reconnu l’origine : to cancel, to match et to schedule.

Notes

  • [1]
    Henriette Walter, Le français d’ici, de là, de là-bas, Paris, Lattès, 1998.
  • [2]
    Cité dans Pierre Rézeau, “Les régionalismes et les dictionnaires de français”, in La lexicographie québécoise. Bilan et perspective, Québec, Presses de l’Université Laval, 1995.
Pierre Grelley
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.143.0007
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