CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il fut de bon ton et souvent d’un réel apport, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, d’aller voir au Québec comment se portait l’action sociale et d’en revenir avec de multiples exemples d’organisation territoriale, de nouvelles formes de travail social, communautaires ou collectives, avec les usagers et les habitants. Le développement des pratiques évaluatives qui mettaient en avant l’intégration des équipements et des services dans les milieux de vie, l’invention de concepts qui tentaient de rendre compte de la capacité des usagers à se saisir de leur avenir, tout cela méritait bien une traversée de l’Atlantique, et puis l’accent québécois était à soi seul un véritable dépaysement.

2Puis, la réduction des budgets de déplacement, le développement de la construction européenne, et peut-être aussi notre capacité d’étonnement s’essoufflant un peu, le Québec nous apparu moins novateur, et nos pas se tournèrent vers le Danemark et vers les pays nordiques, qui nous soufflèrent des idées qui ne relevaient plus de l’action sociale mais plutôt des politiques sociales. L’intérêt de l’article de Pierre-Joseph Ulysse est de nous rappeler que pendant que nous regardions vers Copenhague ou Stockholm, le Québec se rapprochait de nous.

3Le rapprochement est d’abord dans la similitude des tensions économiques. Si le chômage est en baisse pour atteindre le taux de 7,7 % en 2007, il était encore de plus de 9 % en 2005. Le taux de croissance du PIB, en 2006, était de 1,6 [1] et le taux de pauvreté mesuré en utilisant les indicateurs de Laeken, ce qui rend possible les comparaisons avec l’Europe, était de 16 % en 2003. Cette situation a conduit le Québec à mettre en place un ensemble de politiques de lutte contre la pauvreté. En novembre 2000, à la suite d’une pétition à l’initiative du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, l’Assemblée nationale québécoise votait une résolution d’engagement, suivie, en décembre 2002, par une loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette loi prévoyait l’adoption d’un plan d’action. Ce fut fait en avril 2004, sous une forme s’organisant autour d’une double logique : faciliter l’accès à l’emploi pour les personnes aptes au travail, mieux protéger celles pour qui ce n’était pas le cas.

4Prévu pour cinq années, ce plan comprenait à la fois des aides financières et la création d’un programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi. Il se caractérisait également par des aides au logement, par le subventionnement des différents réseaux associatifs ainsi que par le développement des projets dans le domaine de l’aide alimentaire. S’agissant de la prévention, le plan prévoyait le renforcement des aides financières aux familles ayant des enfants de moins d’un an, ainsi que le développement des actions en direction de la jeunesse, par exemple un programme d’aide pour favoriser le retour en formation des 16-24 ans. Il faudrait encore ajouter le soutien aux initiatives des milieux défavorisés dans le cadre du Fonds québécois d’initiatives sociales et le projet d’implantation d’un centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion sociale.

5Ce programme n’est pas sans rappeler la situation française avec la mobilisation des associations lors de la présidentielle de 1995, suivie par une proposition de loi de cohésion sociale, reprise par la majorité de gauche en 1998 sous le nom de loi de Lutte contre les exclusions (LCE), puis par l’adoption d’une nouvelle loi dite de cohésion sociale, en 2005. Cette émergence de législations concernant la lutte contre la pauvreté n’est pas propre à la France ou au Québec mais concerne la plupart des pays européens. Dans le cadre de la stratégie dite de Lisbonne, chaque pays de l’Union s’est engagé dans une démarche, plus ou moins apparente, plus ou moins structurante, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en adoptant des Plans nationaux pour l’inclusion (PNAI).

6La comparaison entre les législations québécoise et française est intéressante car elle témoigne d’un même paradigme particulièrement développé en France depuis la présidentielle de 2002. Dans les périodes de reprise économique, la baisse de la population qui bénéficie des mesures d’aide sociale reste modérée voire faible. De nombreuses mesures prises tant en France que dans la plupart des autres pays de l’Union mais aussi au Québec cherchent à remédier à ces difficultés. Valorisant le retour au travail des personnes bénéficiant des mesures d’aide sociale, ces politiques visent à rendre moins généreuses les prestations d’aides sociale, voire à accentuer les contraintes sur les bénéficiaires. Ainsi, le Québec propose une moindre indexation des aides sociales, la France met en œuvre des mesures similaires, sans aller jusqu’à les inscrire dans un texte de loi. Dans le même souci d’élargir l’écart entre les revenus du travail et les prestations sociales, la France adopte une prime pour l’emploi, alors que le Québec développe une prime au travail. Cette logique dite d’activation des dépenses d’action et d’aide sociale se retrouve à l’œuvre dans les deux pays avec ce que cette politique comporte de potentialités – on pense à la réforme des services de l’emploi –, mais aussi de contraintes, voire de culpabilisation des personnes déjà les plus en difficulté sur le marché du travail.

7Ces politiques, enfin, se heurtent, en France comme au Québec, aux transformations du marché du travail qui tend à privilégier la flexibilité, ce qui se traduit pour les populations les moins qualifiées par l’accroissement de la précarité. Dans les deux pays, mais plus généralement en Europe de l’Ouest, l’analyse de la population pauvre montre que des personnes au travail peuvent néanmoins vivre dans un ménage pauvre. La question des travailleurs pauvres trouve ici toute sa force interrogative des politiques sociales actuelles.

8L’article de Pierre-Joseph Ulysse développe une analyse critique de ces politiques. On retrouve en France des approches voisines dans des travaux de Serge Paugam [2] ou, plus critiques encore, dans les publications de l’Observatoire des inégalités [3]. Il est certain toutefois que ces approches critiques sont davantage relayées par la classe politique québécoise, comme en témoignent les difficultés du gouvernement actuel québécois à faire adopter son dernier budget. Au-delà des similitudes, s’il fallait pointer une différence importante entre la France et le Québec, ce serait sans doute dans l’usage du local. Alors que les politiques de lutte contre la pauvreté restent, en France, fortement nationales en dépit d’une décentralisation engagée depuis plus de vingt ans, le Québec met l’accent sur l’implication forte des communautés de base et des autorités locales pour faire avancer ses politiques. On retrouve sans doute là la trace de ce qui faisait notre intérêt pour la Belle Province voici plus de vingt ans.

Notes

  • [1]
    Ces données proviennent de l’Institut de la statistique du Québec, juin 2007.
  • [2]
    S. Paugam, Le salarié de la précarité, Paris, PUF, 2000. En ligne
  • [3]
    Observatoire des inégalités, www.inegalites.fr.
Français

Résumé

L’auteur pointe plusieurs rapprochements entre le Québec et la France concernant les politiques de lutte contre la pauvreté, liées aux conséquences des transformations du marché du travail. Au Québec, un plan d’action contre le chômage vise à faciliter l’accès à l’emploi pour les personnes aptes au travail, ainsi qu’à aider et à protéger les autres. Des mesures plus larges (proches du plan de cohésion sociale en France) englobent le logement social, l’aide alimentaire et le soutien et la prévention à l’égard des plus jeunes. L’effort mené par les communautés locales reste spécifique au Québec.

Michel Legros
ENSP-ONPES
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.143.0060
Pour citer cet article
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