CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1À la lecture de l’article de Nathalie Saint-Amour, plusieurs images communes aux politiques de conciliation françaises et québécoises se dessinent.

2La première est celle d’une mosaïque complexe de dispositifs de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Les deux pays conjuguent plusieurs formes de prise en charge des jeunes enfants. Celles-ci peuvent être collectives (établissement d’accueil du jeune enfant, crèche en France, service de garde au Québec), individuelles (service de garde en milieu familial au Québec, assistante maternelle en France), ou encore parentales (le plus souvent la mère). Dans les deux pays également, ces différentes formes de prise en charge composent des cadres d’action complexes, dans lesquels la variété des acteurs et des partenariats peut surprendre. Au Québec, comme dans le système français, la collaboration entre différents acteurs est un atout potentiel qui privilégie la prise de décision dans le sens de la proximité pour les familles. Mais elle implique aussi un risque, dans la mesure où elle suppose un équilibre délicat entre les autorités. Les débats concernant les enjeux du financement et du développement des services de garde au Québec, tout en respectant les objectifs affichés d’équité ou de professionnalisation des éducatrices, témoignent des difficultés à “gouverner” ensemble, et montrent combien la négociation et la discussion entre les diverses parties prenantes sont importantes pour concilier les politiques nationales avec les besoins des familles. Pour autant, il est intéressant de noter que les sujets de tension ne se cristallisent pas toujours sur les mêmes objets. Ainsi, alors que la participation du secteur privé dans l’offre d’accueil de la petite enfance semble intégrée au système québécois, cette même participation soulève, en France, de nombreuses questions en termes de légitimité d’action.

3La deuxième image est celle d’un modelage composite. Dans les deux pays, les politiques de conciliation peuvent être considérées comme des politiques “intermédiaires”. En France, le modèle de la conciliation entre emploi et famille est guidé par des principes de socialisation collective des jeunes enfants ainsi que par une logique démographique. Il se situe à la croisée du modèle des pays nordiques (guidés par des principes de citoyenneté, d’égalité des sexes et de droits de l’enfant) et de modèles d’autres pays d’Europe peu ou non interventionnistes, dans lesquels il revient quasi exclusivement à la mère avec sa famille (pays méditerranéens) ou avec les employeurs (Royaume-Uni) de prendre en charge la garde des enfants. Au Québec, la variété des objectifs assignés à la conciliation ainsi que la diversité des mesures de soutien aux familles (financement des services de garde, régime flexible d’assurance parentale, actions impliquant des acteurs de milieux de vie et de travail) s’inscrivent aussi dans un modèle hybride regroupant des éléments propres à un régime social-démocrate (pays nordiques d’Europe) mais également à un régime de type libéral (États-Unis), où la conciliation renvoie davantage à des objectifs d’activation par le travail.

4Ces deux modèles hybrides s’inscrivent dans le cadre de politiques familiales explicites et fortement institutionnalisées, et au-delà du champ de la politique familiale stricto sensu : relance de l’emploi au Québec, dispositifs d’aide aux parents qui travaillent en France. Ce lien fort entre politique d’emploi et politique familiale semble avoir des effets directs sur la facilité d’accès des mères à l’emploi, comme en témoignent leurs forts taux d’activité professionnelle. Néanmoins, la diversification des objectifs que suscite cette double inscription politique aboutit, dans les deux pays, à un certain nombre de contradictions, comme celle de répondre à la double acception de la notion de conciliation. En France comme au Québec, concilier vie familiale et vie professionnelle s’insère dans une problématique de choix : celui de mener de front activités professionnelles et familiales, ou celui d’interrompre son travail temporairement pour élever son enfant. En France, de nombreux travaux ont montré que les pratiques effectives d’accueil sont loin de représenter un optimum pour les parents. Ce choix devient contraint pour un certain nombre de femmes peu qualifiées ou aux faibles revenus. En outre, en incitant (de fait) les mères à interrompre ou à réduire leur activité professionnelle, la politique familiale renforce le positionnement des femmes dans leur rôle domestique [1], accentue l’asymétrie des trajectoires professionnelles au sein du couple et contredit ses propres objectifs de “conciliation vie familiale/vie professionnelle”. En France, la mise en place d’une prestation mieux rémunérée et plus courte vise à réduire cet effet. Au Québec, le programme développé pour l’assurance parentale semble avoir aussi pris en compte ce type de contradiction en permettant de s’absenter pour un court laps de temps avec une plus grande rémunération et en encourageant les pères à prendre une partie de ce congé.

5Enfin, dans les deux pays, la question du droit de l’enfant à un mode d’accueil n’apparaît pas explicitement posée. Aucun texte d’aucune sorte ne fait obligation à qui que ce soit, en aucune circonstance, d’installer un lieu d’accueil pour les enfants… Si les enjeux démographiques et d’emploi des politiques de conciliation semblent bien compris, ceux relatifs au droit pour tous les enfants d’accéder à un mode d’accueil reste un problème public ayant tous les attributs d’un thème mineur. Mettre l’enfant au cœur des politiques de conciliation au même titre que ses parents nous apparaît pour les deux pays un champ majeur à investir.

Note

  • [1]
    Avec la création de l’Allocation parentale d’éducation (APE) en 1985, puis la prestation d’accueil du jeune enfant – Complément libre choix d’activité (PAJE CLCA) et Complément optionnel de libre choix d’activité (PAJE COLCA) en 2004 –, la politique familiale française a mis en place des prestations financières pour les parents qui réduisent ou arrêtent leur activité professionnelle afin d’élever leur(s) jeune(s) enfant(s), jusqu’aux 3 ans du dernier enfant.
Français

Résumé

La prise en charge des enfants en France et au Québec relève d’acteurs et de partenariats variés. Concernant le sens et la portée de la politique de conciliation entre emploi et famille, les deux pays offrent une variété d’objectifs qui empruntent à différents modèles (d’Europe et des États-Unis). La question du choix des femmes, véritable ou contraint, souligne les contradictions des systèmes. Sont évoqués également la place de l’enfant, son droit à être admis dans une structure d’accueil.

Danielle Boyer
Conseiller technique, CNAF
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.143.0048
Pour citer cet article
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