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Louis Hémon, Maria Chapdelaine, Le Livre de poche, n° 685

1En 1916, un écrivain québécois, Louis Hémon, publie un roman dont le succès sera international, et dont l’héroïne, Maria Chapdelaine, deviendra l’incarnation d’une existence étrangère à toutes les facilités que représente une vie dite “civilisée”. Le père de Maria, un pionnier acadien, est habité par une obsession – “faire de la terre” – qui le pousse à monter toujours plus vers le nord pour conquérir sur la forêt des terres cultivables. Il faut couper les arbres, dessoucher, labourer, obtenir des parcelles bien plates que l’on ensemencera, des prairies que les bêtes brouteront à la belle saison et dont le foin les nourrira en hiver. Supporter le froid des hivers, les assauts des mouches noires et des maringouins durant le bref été torride. Ne compter que sur les muscles et l’acharnement pour survivre au sein d’une nature hostile. C’est une passion dévorante qui ne laisse pas de répit. Vivre au cœur de ces parcelles cultivées sur les hauteurs, loin des paroisses, en contrebas au bord du fleuve, c’est accepter l’isolement. Aller quérir le médecin ou le prêtre en cas de maladie peut être affaire de vie ou de mort. Mais la sociabilité garde ses droits. On se rassemble traditionnellement aux veillées. S’y rendre ne va pas de soi, par les pistes verglacées ou par les fondrières. Mais la solidarité s’y fait tangible, on y ravive le souvenir des généalogies, chaque histoire individuelle devient celle des misères que l’on endure, le climat capricieux, la récolte incertaine. On parle français bien sûr, ce français apporté d’outre-Atlantique des siècles auparavant, qui a survécu comme gage d’identité face aux territoires anglophones, à travers les vicissitudes d’un Québec cédé, recédé, ballotté entre la France et l’Angleterre. On s’exprime posément, lentement. Le vocabulaire lui-même est empreint de la retenue d’une race patiente étrangère à l’outrance. On dit “amitié” plutôt qu’amour, “souci” plutôt que douleur. Le talent de Louis Hémon fait de ces conquêtes territoriales une véritable épopée de l’extrême. Non pas grâce à des envolées lyriques, mais par une description minutieuse des outils, des gestes, des efforts musculaires. L’austérité de cette existence pionnière n’est pas que souffrance, loin de là. La mère de Maria dit, en termes mesurés, la beauté des arpents conquis sur la sauvagerie. Durant les mois de glace et de neige, la maison, toute fissure soigneusement colmatée, est un havre de sécurité qui défie le froid inhumain. À l’arrivée du printemps, le dégel libère la chute d’eau toute proche et son fracas réjouit les cœurs, annonce de la renaissance de la vie après le long engourdissement hivernal. Le destin de Maria a valeur symbolique. Elle a aimé un téméraire coureur des bois. Mais François s’est “écarté”, sentence sans appel qui ne laisse aucun espoir et ne suscite aucun commentaire. Un autre garçon lui a offert les lumières des villes des États (les États-Unis) mais, en fin de compte, c’est à un voisin qu’elle dira : “Je vous marierai comme vous me l’avez demandé”. Elle sait ce que sera sa vie. Son choix, c’est une fidélité à une langue, à un pays, à une histoire. Et le roman tout entier constitue un superbe hommage rendu au Québec.

Paule Paillet
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.143.0045
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