1Depuis la publication de Homo urbanus, en 1990, le philosophe Thierry Paquot a construit une œuvre cohérente et originale autour d’une vingtaine d’ouvrages au fil desquels il développe une réflexion transdisciplinaire sur les dimensions les plus secrètes de l’urbain.
2Dans le dernier en date, intitulé Des corps urbains. Sensibilités entre béton et bitume [1], il montre comment l’espace de la ville, si intimement lié au développement de la civilisation urbaine et de la démocratie, joue sur le corps du citadin, tant dans ses gestes et dans ses postures que dans la stimulation de ses sens. L’auteur sait observer : quand il est “en ville”, il est un flâneur et non pas un badaud, c’est-à-dire, pour reprendre une distinction qu’il propose lui-même, qu’il assume, de tous ses sens, l’environnement urbain. Il sait aussi restituer les fruits de cette observation dans une langue élégante, façonnée par une longue fréquentation des auteurs, illustres ou non, qui se sont intéressés, sur différents registres (le roman, y compris policier, la poésie, la science…), au rapport de l’homme à la cité.
3C’est à une réhabilitation du corps que s’essayent avec un bonheur certain les cinq chapitres qui composent l’ouvrage, en abordant successivement des situations citadines banales en apparence mais révélatrices, pour ceux qui savent les étudier, d’étonnantes “correspondances” baudelairiennes entre les corps et le monde extérieur.
4Ce livre, à la fois érudit et familier, visite et interroge les immeubles, les ruelles, les terrains vagues, les signalétiques urbaines, autant de signes, d’“espèces d’espaces”, de contraintes et de rêveries qui font de la ville un espace oulipien où le corps, sous contraintes réelles et virtuelles, trouve les moyens de vivre et d’inventer. Où le corps constate aussi, parfois, la difficulté du vivre ensemble, les déflagrations et “émeutes urbaines”, ces figures d’élaboration et de contestation du politique… Malgré tout, le corps du citadin entretient avec le corps urbain une gamme incroyable de complicités, de tensions, de rejets et de plaisirs que l’on ne saurait ignorer.