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Luc Forlivesi, Georges-François Pottier, Sylvie Chassat, Éduquer et punir, Presses universitaires de Rennes, 2005

11839, ouverture de la colonie agricole et pénitentiaire de Mettray. 1945, création de la fonction de juge pour enfants. En un siècle, le problème de la délinquance juvénile n’a cessé de perturber la société qui cherchera le moyen de contrôler des énergies potentiellement génératrices de troubles et de délits. Sous l’Ancien Régime, les riches ont recours à des maisons de correction dispendieuses. Les enfants des déshérités, eux, ont droit à l’enfer des hôpitaux généraux et des dépôts de mendicité. Sous le règne de Louis-Philippe, c’est la montée de la bourgeoisie, une classe soucieuse de prévenir toute turbulence. On peut considérer que Mettray s’enracine dans cette perspective. Initiative privée gérée par un conseil d’administration, “la société paternelle” rassemble des notables, magistrats, industriels, banquiers, quelques ecclésiastiques, des militaires et des médecins (peu nombreux), tous membres d’une couche sociale conservatrice. Les convictions éducatives sont fermes : à l’opposé de la Petite Roquette, un univers auguste, non ceint de murs, où l’éducatif l’emportera sur le carcéral. Les adversaires soulignent le paradoxe qu’il y a à envoyer des petits citadins se régénérer autour d’une place centrale avec les bâtiments de l’administration et la chapelle “clef de voûte” de la colonie. Chaque “maison” abrite une “famille”, cellule de base de la société. Pas de matons, les “frères aînés” et les contremaîtres participent à chaque moment de la vie des colons. “Dieu vous voit” est inscrit sur les murs, ce qui représente l’intériorisation d’une contrainte permanente. Les jeunes colons travaillent beaucoup aux champs. L’éducation scolaire est le parent pauvre : deux heures par jour pour des enfants déjà harassés. Le souci de formation professionnelle est cependant réel. Une école de contremaîtres est créée, qui représente la première école d’éducateurs en France.

2Mettray, au départ, représente un modèle humaniste largement admiré. Mais à partir de 1880, l’image se dégrade : soupçons de sévices corporels, difficulté de recrutement des cadres, d’application de la loi Ferry de 1882. Une étude menée sur l’établissement, en 1926 (date précisément où Jean Genet y arrive), est consternante : automutilations, tentatives de suicide par absorption de poison ou de verre pilé, évasions multiples (189 en un an sur 438 colons). Le suicide d’un adolescent suscite une virulente campagne de presse et accélère le naufrage. Mettray survivra péniblement jusqu’en 1937, mais c’en est fini de son prestige.

3À 16 ans, Jean Genet fut interné trente mois à Mettray. De ce séjour, il offre dans son œuvre une image fascinante. Un univers où règnent les “beaux voyous” et leurs gitons, l’homosexualité, où l’on piétine les faibles. Si émulation il y a, c’est vers le pire. L’apothéose, c’est la mort sur l’échafaud. Aucun accent moralisateur chez Genet. Mais si Mettray peut représenter l’utopie de la cité rédemptrice, Le miracle de la rose inflige le plus cinglant démenti à sa validité et à son efficacité.

4Le débat entre éducatif et carcéral répressif, devenu résolument politique, est plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

Paule Paillet
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.140.0093
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