1La dualité des systèmes institutionnels (aide sociale à l’enfance et justice) caractérise la protection de l’enfance. Le financement en revient en presque totalité aux départements, car ceux-ci assument la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, c’est-à-dire 97 % des placements et 93 % des mesures en milieu ouvert ; et ce, bien que les trois quarts des décisions soient prises par la justice. La responsabilité financière comme enjeu entre les deux acteurs.
2Depuis la loi du 22 juillet 1983 sur la décentralisation entrée en application le 1er janvier 1984, deux grandes instances ont autorité en matière de protection de l’enfance : l’Aide sociale à l’enfance (ASE), désormais sous la responsabilité du président du conseil général, et la justice, qui est sous l’autorité de l’État. La catégorisation des enfants protégés en France s’est alors élaborée à partir de trois niveaux de responsabilité impliquant soit le judiciaire, soit l’aide sociale à l’enfance.
Entre le judiciaire et l’aide sociale à l’enfance
3Le premier niveau partage les responsabilités décisionnelles en distinguant les mesures judiciaires des mesures administratives. Le juge des enfants décide ou non de prendre en charge un enfant dont “la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger ou les conditions d’éducation sont gravement compromises” (art. 375 du Code civil) ainsi que les jeunes âgés de 18 à 21 ans nécessitant une “protection jeune majeur” (décret du 18 février 1975). L’aide sociale à l’enfance décide ou non de prendre en charge les enfants “confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre” (art. L. 221-1 CFAS), les 18-21 ans nécessitant un “contrat jeune majeur”, et les pupilles de l’État. Au vu de ces textes, il est très difficile de définir clairement la frontière entre l’administratif et le judiciaire, qui dépend souvent de l’organisation propre à chaque département et du fait que ce dernier développe ou non des actions de prévention. En réalité, la décision d’une mesure administrative diffère de celle d’une mesure judiciaire par l’obtention ou non du consentement des parents. Ainsi, une mesure administrative est un contrat passé entre l’ASE et les parents de l’enfant, alors que le juge des enfants a le pouvoir d’exercer une mesure contraignante même si la loi lui impose de rechercher l’adhésion de la famille. En l’absence de parents, le président du conseil général devient le responsable légal de l’enfant. Depuis la loi du 10 juillet 1989, l’articulation entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative est organisée de la manière suivante : “Lorsqu’un mineur est victime de mauvais traitements, ou qu’il est présumé l’être et qu’il est impossible d’évaluer la situation, ou que la famille refuse manifestement d’accepter l’intervention du service de l’Aide sociale à l’enfance, le président du Conseil général avise sans délai l’autorité judiciaire et lui fait connaître les actions déjà menées” [1].
4Au 31 décembre 2004, l’ensemble des prises en charge physiques (placements) était réparti de la manière suivante : 21 % de mesures administratives et 79 % de mesures judiciaires. Concernant les mesures en milieu ouvert, 25 % relevaient d’une décision administrative et 75 % d’une décision judiciaire [2]. En d’autres termes, la grande majorité des décisions sont prises au niveau de l’autorité judiciaire.
5Le deuxième niveau de responsabilité concerne le suivi éducatif de l’enfant, toujours avec cette grande distinction entre mesures judiciaires et administratives. Tout d’abord, toutes les mesures administratives (décidées par l’ASE) font l’objet d’un suivi ASE, c’est-à-dire que celle-ci doit choisir le lieu du placement ou le service qui prendra en charge la mesure en milieu ouvert, puis suivre la mesure et décider d’un renouvellement ou d’une fin de prise en charge. Par ailleurs, une grande partie des mesures de placement décidées judiciairement sont “confiées” par le juge des enfants à l’aide sociale à l’enfance. Dans ce cas, c’est cette dernière qui choisira le lieu de placement et qui suivra la mesure en en rendant compte régulièrement au juge des enfants qui décidera alors de son renouvellement ou de la fin de prise en charge. Cela représente 79 % des prises en charge physiques décidées par le juge des enfants. Le reste des décisions judiciaires de prise en charge physique concerne des placements directs ; c’est alors le juge des enfants qui trouve un lieu de placement et qui suit la mesure. Ces placements directs peuvent se faire auprès d’un établissement ou d’un service de famille d’accueil mais aussi auprès d’un tiers digne de confiance. Ces enfants placés directement sont alors sous la responsabilité conjointe du président du conseil général et du juge des enfants (art. L. 227-2 CFAS). Au final, sur l’ensemble des mesures administratives et judiciaires, l’aide sociale à l’enfance suit près de 82 % des mesures physiques alors qu’elle n’en décide que pour 21 %.
6En ce qui concerne les prises en charge en milieu ouvert (AEMO – Action éducative en milieu ouvert), c’est le juge des enfants qui choisit le service et qui suit la mesure. La proportion entre décision et suivi de la mesure reste ainsi inchangée (25 % contre 75 %).
7Enfin, le dernier niveau de responsabilité, celui qui est l’objet de tous les enjeux, comme le démontre le début de l’exposé des motifs du projet de loi réformant la protection de l’enfance, est la responsabilité financière de chacune de ces deux autorités : “Depuis les lois de décentralisation, les départements assument la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance. Leur intervention a permis d’améliorer un dispositif de protection de l’enfance auquel ils consacrent chaque année la première part de leur budget, soit plus de 5 milliards d’euros. L’État est pour sa part garant de la cohérence du dispositif […]. Il contribue lui-même à la protection de l’enfance, notamment grâce à son action dans les domaines de la justice, de la santé et de l’éducation nationale” [3].
8Le partage ici s’inverse puisque la majorité des mesures décidées par le juge sont financées par le département en supplément de toutes les mesures administratives. Ainsi, tout le dispositif concernant les enfants dits “confiés” est financé par le département. Par ailleurs, parmi les placements directs, alors que le juge décide, choisit et suit la mesure, si le placement se fait auprès d’un établissement associatif, l’ASE est le financeur. De la même manière, si l’enfant est placé chez un tiers digne de confiance, celui-ci pourra bénéficier d’une allocation financée par l’ASE. Seuls les enfants placés dans des établissements publics (qui relèvent de la Protection judiciaire de la jeunesse – PJJ) dépendront d’un financement par la justice. Enfin, les mesures en milieu ouvert sont pour la plupart financées par l’ASE, bien que décidées et suivies par le juge des enfants. Dans ces derniers cas, l’aide sociale à l’enfance peut alors se sentir “réduite” à un simple rôle de financeur (placements directs et AEMO), de surcroît peu informé sur ces situations. Seules les mesures concernant les jeunes majeurs présentent un partage clair entre la décision, le suivi et le financement, puisque les “protections jeunes majeurs” sont décidées, suivies et financées par la justice et les “contrats jeunes majeurs” par le département.
Bilan…
9En conclusion, le juge des enfants décide de 79 % des placements et de 75 % des mesures en milieu ouvert. Mais l’aide sociale à l’enfance, qui décide pour seulement 21 % des placements et 25 % des mesures en milieu ouvert, finance 97 % des premiers et 93 % des secondes. C’est sur cette construction des catégories que les autorités fondent leurs statistiques.
10Ainsi, la DREES, dans un document annuel intitulé “Les bénéficiaires de l’ASE”, énumère les mesures financées par les départements au 31 décembre, et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse diffuse le nombre de mesures décidées par le juge des enfants à la même date. Ce sont donc plus des trois quarts des mesures qui sont comptabilisées dans les deux systèmes. Notons enfin qu’un même enfant peut bénéficier simultanément d’un placement et d’une prise en charge en milieu ouvert mais la proportion d’enfants bénéficiant d’une double mesure n’est pas connue précisément. C’est pour toutes ces raisons qu’aujourd’hui, il n’est pas possible de connaître exactement le nombre d’enfants pris en charge par la protection de l’enfance en France. Cependant, l’ONED s’attache, depuis sa création, à mettre en cohérence les données chiffrées afin d’estimer un nombre d’enfants pris en charge à une date donnée, et ceci en attendant la mise en place d’un système d’observation longitudinal des enfants protégés plus complet, qui verra le jour dans les années à venir.
Nombre d’enfants placés, en France, au 31 décembre 2004

Nombre d’enfants placés, en France, au 31 décembre 2004
Nombre d’enfants bénéficiant d’une mesure en milieu ouvert, en France, au 31 décembre 2004

Nombre d’enfants bénéficiant d’une mesure en milieu ouvert, en France, au 31 décembre 2004
Notes
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[1]
Article L. 226-4 du CFAS.
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[2]
Les calculs ont été effectués à partir de plusieurs sources de données, puisque aujourd’hui aucune source n’est exhaustive. Pour avoir une vue d’ensemble des prises en charge à la fois ASE et justice, se reporter au deuxième rapport de l’ONED, paru en décembre 2006.
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[3]
Exposé des motifs du projet de loi réformant la protection de l’enfance, en ligne sur le site du ministère de la Santé et de la Famille : http://www.famille.gouv.fr/protec-enfance.