CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans l’antagonisme complémentaire qui définit leurs relations en matière de protection de l’enfance, la justice et l’administration doivent parfois compter avec un troisième partenaire qu’est le secteur sanitaire.

2Maurice Berger est médecin, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne. Il est aussi l’auteur, depuis 1992, de plusieurs ouvrages issus d’une expérience clinique d’un quart de siècle auprès d’enfants maltraités.

3Le dernier de ces livres[1] s’attaque au dispositif français de protection de l’enfance et, en particulier, à son volet judiciaire. Il constitue un véritable réquisitoire à l’encontre sinon de la justice, du moins de certains juges que l’auteur accuse, au nom d’une idéologie du maintien à tout prix des liens de l’enfant avec ses parents, de laisser les mineurs dans des situations de danger parfois mortel.

4La charge est sans merci. L’auteur propose d’emblée de distinguer trois sortes de juges : ceux qu’il appelle les “vrais juges”, les “juges-savonnettes” et les “juges 1960”. Les premiers, contrairement aux autres, auraient “un objectif clair, le bien-être de l’enfant dans sa famille si c’est possible, sinon dans un autre milieu”. Les “juges-savonnettes”, ainsi qualifiés parce qu’ils fondraient au cours de l’audience, se laisseraient guider par une excessive identification aux parents, à la cause desquels ils affecteraient une sorte de priorité, allant, à la lumière d’anecdotes rapportées par le docteur Berger, jusqu’à la connivence. Les “juges 1960”, enfin, sont présentés comme des modèles absolus de rigidité, refusant toute ouverture en dehors de leur interprétation de la loi, qui est fondée sur la conviction de la valeur sacrée et intouchable du lien parent-enfant.

5Les cas d’espèces que l’auteur rapporte, et qu’il affirme tirés de son observation quotidienne, laissent en effet souvent le lecteur dans un sentiment d’indignation et d’incompréhension. On imagine en effet qu’un professionnel, fût-il juge, puisse commettre une erreur d’appréciation ; on accepte moins facilement qu’il puisse persévérer dans cette erreur, mais on devient perplexe lorsqu’on nous apprend que l’atteinte au sens commun peut acquérir le statut de principe.

6À beaucoup des objections qui lui ont déjà été faites – par des “juges 1960”, précise-t-il –, le docteur Berger consacre un chapitre de réponses dont il étaye les arguments avec des références théoriques souvent empruntées à la littérature nord-américaine et avec des cas de figure qu’il a rencontrés lors de ses consultations.

7Le dernier chapitre du livre, qui décline pour la France cinq propositions, semble assez largement inspiré par le modèle québécois, et se veut comme un bémol au “coup de gueule” poussé dans les cent premières pages. Mais cette lecture, au-delà des sentiments variés et multidirectionnels qu’elle suscite, souligne, s’il en était encore besoin, l’extrême complexité des questions qui traversent l’action sociale et rappelle l’inanité des discours qui prétendent leur donner des solutions simples.

Notes

  • [1]
    Maurice Berger, Ces enfants qu’on sacrifie… au nom de la protection de l’enfance, Paris, Dunod, 2005, 167 p., 16 euros.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.140.0009
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