1De réforme en réforme, le système français de protection de l’enfance représente une construction sans cesse en mouvement. Les évolutions concernent, depuis plusieurs décennies, tant les structures, les objectifs et les formes d’intervention de l’État que les représentations sociales de l’enfant, de la famille et de l’éducation. Au centre de la problématique, une question : enfant à protéger ou enfant à punir ?
2Les questions de base “Protéger l’enfant, par qui ? De quoi ? Et comment ?” n’ont pas toujours reçu la même réponse. Selon les périodes, il s’agit de protéger ce dernier de la misère, du vice, du handicap, de la marginalité sociale ou de la délinquance. Depuis le XIXe siècle, les enfances à problème se sont ainsi succédé, jusqu’à nos jours : enfance inadaptée, enfance vagabonde, enfance délinquante, enfance en danger, enfance maltraitée. À chaque période son enfance et à chaque enfance un objectif pour la société : rééduquer, punir, soigner, protéger.
3La période moderne est celle qui affirme la responsabilité de l’État comme acteur de la protection de l’enfance et traduit politiquement cette responsabilité par la mise en place d’un dispositif d’action. D’entrée, ce dernier est empreint d’une certaine complexité en ce qu’il cumule plusieurs objectifs et articule différents niveaux d’intervention [1]. Il s’agit d’un dispositif dual qui s’appuie sur deux leviers : celui de l’action sociale et celui de la décision de justice. Deux acteurs institutionnels, deux champs de responsabilité, a priori distincts et complémentaires. L’objectif consiste, dans un cas, à protéger l’enfant des effets d’un contexte social dont les défaillances nuiront à son développement, et dans l’autre, à le prémunir contre des carences d’éducation qui auront sur lui d’autres effets destructeurs.
La notion de danger
4En 1958, l’étanchéité entre, d’une part, une justice pénale qui s’occupe exclusivement des jeunes délinquants en revendiquant pleinement une dimension d’éducation comme réponse à cette délinquance et, d’autre part, une protection sociale exercée par l’administration en direction des enfants et des adolescents en difficulté va être profondément remise en cause. L’assistance éducative [2] introduit l’autorité judiciaire aux côtés de l’autorité administrative, sur la base de la prise en compte par le législateur de la notion de danger pour l’enfant. La justice s’intéressait à l’enfant non pas en danger de délinquance mais en danger d’installation dans la délinquance ; elle a une visée clairement salvatrice. L’objectif est de sortir l’enfant ou l’adolescent de la trajectoire délinquante. À partir de 1958, la justice étend sa compétence à toutes les situations de danger qui peuvent découler du déficit d’éducation, cette dernière étant entendue comme le devoir pour les parents de garantir à leurs enfants un cadre de vie sûr et protecteur qui guidera leur évolution vers leur devenir d’adulte. Cette notion de danger, a priori vaste et complexe à appréhender, sera définie dans l’ordonnance du 23 décembre 1958 par une formulation assez précise : “Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge.” La loi établit ainsi une distinction entre difficultés et danger.
5Ce qui relève de problèmes liés à la vie sociale et familiale quotidienne trouve réponse du côté de la protection sociale administrative. Les différents services sociaux (protection maternelle et infantile, aide sociale à l’enfance et assistants polyvalents de secteur) interviendront pour apporter aux familles en difficulté un soutien matériel et moral afin de mieux faire face à des problèmes qui tiennent davantage aux conditions de vie qu’à une incapacité avérée de remplir leur fonction parentale. Dans ce dernier cas, l’enfant est considéré comme en danger et la démarche d’aide sociale s’avère insuffisante, voire inopérante. Le problème est d’étayer la fonction parentale défaillante ou même de substituer à la famille d’autres intervenants en charge de la responsabilité de protection et d’éducation.
6On passe d’une relation d’aide contractualisée à une relation d’aide imposée que seule l’autorité judiciaire a légitimité à déclencher. La notion juridique de danger définit ainsi une situation où l’enfant, le mineur, se trouve sous la menace d’une atteinte à son intégrité physique ou morale. Cette menace peut être directe, par exemple la maltraitance, ou plus complexe, déterminée par une série de carences parentales liées, en particulier, à un déficit dans l’éducation. C’est ce danger physique et/ou moral qui marque les limites de la protection administrative et justifie une intervention pouvant porter atteinte à l’autorité parentale, en imposant à la famille originelle des décisions concernant son enfant. Seule la justice dispose de ce pouvoir dont l’utilisation n’est légitimée que par la protection de l’enfant, y compris le cas échéant contre ses propres parents ou, plus exactement, contre leurs carences.
7Paradoxalement, l’entrée en scène de la justice comme acteur de contrainte vis-à-vis de la famille défaillante va en même temps développer une conception de la protection de l’enfant où le rôle de la famille se trouve singulièrement affirmé et renforcé. L’assistance éducative apparaît en effet dans le Code civil dans un mouvement plus général de redéfinition du rôle de la famille à travers une nouvelle conception de l’autorité parentale. L’ordonnance du 23 décembre 1958 réorganise en fait un certain nombre de lois préexistantes en fonction d’une vision plus cohérente et moderne de l’autorité parentale [3]. Elle sera complétée douze ans plus tard par la loi du 4 juin 1970. Celle-ci consacre, dans l’article 375 du Code civil, l’assistance éducative comme modalité de contrôle et de limitation de l’autorité des parents, dans le même temps où elle transforme l’ancienne “puissance paternelle” en “autorité parentale”. Cette dernière est exercée conjointement par le père et par la mère qui ont le devoir de “protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité” [4]. La nouvelle loi définit les droits et les devoirs qui relèvent de l’autorité parentale, à savoir la garde et la surveillance d’une part et, d’autre part, l’éducation dans sa dimension de protection de l’enfant.
8La protection de l’enfant se trouve donc raffermie par la mise en place de ce double dispositif qui permet le recours à la protection administrative avec, en particulier, l’aide sociale à l’enfance, et à la protection judiciaire avec le tribunal pour enfant et les services éducatifs de la justice. Mais cette importance accrue qui lui est accordée se fait dans un mouvement qui renforce également la place de la famille comme responsable premier de cette protection, et cela dans les nouvelles configurations de la structure familiale en France.
Premiers bouleversements
9Cette première évolution qui refonde, dans les années 1960, tant le droit que l’action sociale est marquée par le passage de l’enfant “à part” (aux marges de la société via le handicap ou la délinquance, “l’enfant inadapté”) à l’enfant dans sa famille. Là où la société s’assignait le devoir de s’occuper de l’enfant en lieu et place de la famille, elle va se donner la tâche de s’occuper de l’entité enfant-famille, le premier devant être protégé par le renforcement (via la justice ou l’aide sociale) des capacités de sa famille à assurer au mieux son développement jusqu’à l’âge adulte.
10La période suivante sera marquée par un ensemble de mutations qui vont bouleverser la société française, donner corps à de nouvelles représentations sociales de l’enfance et de la famille et conduire à des modifications significatives du système de protection de l’enfance. Elle verra se confirmer les modifications de la structure familiale, se développer de nouvelles marginalités sociales à travers la précarité et l’exclusion, et se mettre en place la révolution de la décentralisation qui redistribue complètement les cartes de l’intervention de l’État.
11En premier lieu, la famille poursuit sa métamorphose. On assiste à une plus grande exigence d’égalité entre les générations et entre les sexes. Les principaux changements concernent la redistribution des places et des rôles des différents membres de la famille : conditions de vie, rapport au travail et à la consommation, relations entre les hommes et les femmes (notamment par l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail), et entre les adultes et les enfants. La définition juridique de la famille évolue et l’on en voit l’un des premiers grands signes dans la loi sur l’autorité parentale conjointe de 1970, après laquelle la notion de chef de famille n’est plus réservée au père. Les modes de vie se transforment et la famille devient, dans le dernier quart de siècle, un objet éminemment pluriel, avec comme conséquence une montée des familles monoparentales au statut précarisé.
12Les acteurs de la protection de l’enfance ont alors à faire face à une situation bien plus complexe où leurs champs d’intervention traditionnels (le médico-social et la protection judiciaire) doivent s’adapter à une nouvelle entité dans laquelle l’intérêt de l’enfant s’articule à la pluralité des environnements familiaux, ce qui va conduire à conjuguer protection de l’enfant et étayage de la parentalité [5].
13Le second grand bouleversement va concerner le cadre d’organisation de la protection de l’enfance à travers les conséquences, directes et indirectes, des lois de décentralisation du début des années 1980. Ces lois changent radicalement la donne en créant une nouvelle relation entre les “producteurs” de protection sociale et les bénéficiaires de cette protection. Cette relation ne lie plus une administration unique et démesurée à des publics qu’elle connaît mal, mais des acteurs divers dont le terrain d’action est celui-là même où vivent ceux à qui cette action est destinée. Les nouveaux maîtres mots sont proximité et territoires. L’échelon où se diagnostiquent les problèmes à traiter n’est plus éloigné de celui où les solutions sont avancées. Au traitement central d’une catégorie de publics donnée se substitue l’action sur les territoires où vivent ces publics. L’action de l’État se diversifie ; à l’aide individuelle s’ajoutent des politiques publiques (précarité, insertion sociale, urbanisme, prévention de la délinquance…) localisées.
14Mais ce mouvement de décentralisation, s’il rapproche incontestablement les acteurs publics des usagers, va également se solder par un enchevêtrement des compétences. Les différents “échelons” vont être parfois amenés à intervenir sur les mêmes publics sans pour autant se coordonner. Entre les départements et les communes, les collectivités territoriales et l’État, la répartition des tâches est loin d’être clarifiée. Dans le champ de la protection de l’enfance, cette situation va produire des effets extrêmement négatifs, la complexité des dispositifs venant contredire la prise en compte de l’objectif de l’intérêt de l’enfant.
La protection de l’enfance entre plusieurs feux
15En 2000, un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) jette un pavé dans la mare [6]. À travers une analyse des modalités qui aboutissent à la décision de placer des enfants en institution, il met en évidence les aberrations de fonctionnements bureaucratisés et la légèreté de certaines pratiques professionnelles qui conduisent, via les signalements et les décisions de placement qui les concluent, à séparer des enfants de leurs familles alors que cette séparation aurait pu être évitée. Au cœur de ce réquisitoire, il y a la place de la famille dans le dispositif de protection de l’enfance et cette place est singulièrement peu reconnue. Mais au-delà du réquisitoire, il y a la mise en évidence d’un système à niveaux d’intervention multiples dont la coordination n’est pas assurée. Le rapport constate l’existence d’un dispositif de fait qui se compose de quantité d’instances suivant pour la plupart leur propre chemin avec leurs propres objectifs, leurs propres logiques et leurs propres outils. La richesse de ce dispositif est réelle, la perte en ligne ne l’est pas moins. Alors que nombre d’acteurs concourent à cette intervention auprès des mineurs et des familles, avec les moyens de leurs institutions et avec un degré d’engagement relevé par les deux inspecteurs, le rapport tire le constat d’une action chaotique, d’un désarroi des professionnels et d’une souffrance des familles qui restent avant tout l’objet des différentes interventions sociales. Le dispositif est insuffisamment piloté et évalué et les pratiques professionnelles restent en deçà des besoins des familles et des enfants concernés par le placement. Le diagnostic est sévère : alternatives “trop simples”, méthodes “trop stéréotypées” et professionnels qui “ne s’autorisent pas à faire preuve d’imagination”. Le dispositif de protection de l’enfance est, malgré et en partie à cause de la décentralisation, un système dont la lourdeur interne freine aujourd’hui l’initiative de terrain.
16Les conséquences pour les destinataires de cette protection ne sont pas insignifiantes. Les familles apparaissent davantage comme un objet de l’action que comme partie à cette action et, surtout, l’enfant est victime d’une intervention segmentée, parcellaire ou au contraire surabondante. Le système censé le protéger peut dès lors aboutir à l’effet totalement inverse et constituer un facteur supplémentaire de déstructuration dans sa vie.
17Ce diagnostic ouvre une phase de remise en cause tant des organisations que des pratiques. L’effort des institutions comme des professionnels va se reporter sur un nouveau défi : que les ressources existantes, et elles peuvent être importantes, soient mobilisées avec une plus grande cohérence pour, d’une part, ne pas écarteler l’enfant entre les différentes institutions et les différents types de mesure et, d’autre part, ne pas le soumettre à la brutalité de certaines décisions, comme le retrait de la famille, par déficit d’analyse de sa situation ou par défaut d’alternatives plus pertinentes. La protection de l’enfance va ainsi avancer dans deux directions : la recherche d’une plus grande souplesse d’intervention avec des solutions nouvelles qui sortent de l’alternative par trop archaïque entre le milieu ou le placement et la définition d’un réel niveau de pilotage des intervenants. Cette avancée se fait autour de la plus grande attention accordée à la notion de dispositif d’action, qui répond à l’objectif de construire un parcours institutionnel de l’enfant introduisant un minimum de ruptures dans son propre parcours de vie. De même, l’objectif du pilotage du système va constituer un fil rouge des changements institutionnels et des réformes menées jusqu’à aujourd’hui, avec une responsabilité plus affirmée du département dans le rôle du pilote de l’action sociale.
18Cette mobilisation sur de nouveaux objectifs ne s’est pas faite sans difficultés pour les acteurs de la protection de l’enfance, en lien avec la poursuite des phénomènes de précarisation qui frappent les familles les plus fragiles. La modification de la structure parentale brouille les repères et les places. À la solitude d’être parent, souvent réservée à la mère, s’ajoutent des difficultés à se repérer dans la relation à l’enfant – trop près ou trop loin. La précarité économique et la marginalisation sociale se conjuguent avec le développement de ce que l’on va appeler “la souffrance psychique” des différents membres de la famille, ce qui imposera aux intervenants de terrain de penser une nouvelle dimension de leur intervention où doivent s’articuler l’aide sociale, l’action éducative et la santé mentale.
Les principaux et récents rapports sur l’enfance 2005-2006
> L’amélioration de la prise en charge des mineurs protégés, rapport sous la présidence de Louis de Broissia, président du conseil général de la Côte-d’Or et vice-président de l’Assemblée des départements de France, avril 2005. www.ladocumentation francaise.fr/rapportspublics
> Marie-Thérèse Hermange, La sécurité des mineurs, La Documentation française, 2005. www.ladocumentation francaise.fr/rapportspublics
> Les rapports annuels de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), septembre 2005 et décembre 2006. www.oned.gouv.fr
> Le rapport de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant, par les députés Patrick Bloche et Valérie Pécresse, Assemblée nationale, 25 janvier 2006.
www.assemblee-nationale.fr
> L’enfant au cœur des nouvelles parentalités, rapport thématique de la défenseure des enfants, novembre 2006. www.justice.gouv.fr/actualites/defenseurs-enfants
> La famille, espace de solidarité entre générations, rapport de la conférence de la famille, 2006. www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics
> ainsi que deux rapports de l’Inspection générale des affaires sociales, parus en 2005 :
- Jean Blocquaux, Anne Burstin, Dominique France Giorgi, Mission d’analyse et de proposition sur les conditions d’accueil des mineurs étrangers isolés en France ;
- Danièle Larger, Les mesures d’investigation dans le service public de la Protection judiciaire de la jeunesse.
19Ces fragilités de la famille et les objectifs qu’elles imposent aux responsables des politiques de solidarité vont entraîner un véritable malaise dans les professions de la protection de l’enfance du fait du conflit grandissant entre la nécessité de faire de la famille un acteur de cette protection et l’impératif fondamental de protéger l’enfant. L’importance prise par la problématique de la maltraitance va constituer le symbole le plus parlant des impacts de ce conflit sur les positions institutionnelles et les pratiques professionnelles. Les intervenants sociaux vont en effet avoir à gérer le devoir de signalement, dans un contexte de pression sociale qui ne s’est jamais atténué, et l’obligation de maintenir l’unité première de l’entité familiale. Alors que le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ les interpellait sur un trop grand mépris de la famille comme acteur de la prise en charge, une autre interpellation leur est lancée sur une insuffisante prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Cette interprétation, plus diffuse et moins relayée politiquement, n’en est pas moins forte et va pour certains jusqu’à tirer un bilan de faillite de la protection de l’enfance. C’est ce que développe le pédopsychiatre Maurice Berger, pour qui le système français s’avère plus destructeur que protecteur en ce qu’il repose sur une véritable idéologie du lien familial à maintenir envers et contre tout, y compris lorsque l’enfant devient le jouet et la victime d’une famille profondément pathogène. Il en tire la conclusion de la nécessité d’une réforme radicale du système à partir d’un recentrage sur l’enfant lui-même [7]. On le voit, la protection de l’enfance, au fur et à mesure qu’elle a consolidé ses cadres et ses modalités d’intervention, s’est heurtée à l’évolution des représentations sociales concernant l’enfance et la famille, représentations marquées par une profonde ambivalence de la relation des adultes à leurs enfants et par des attentes parfois contradictoires sur ce que la sphère publique doit produire comme aide.
20Avec des hauts et des bas, des remises en cause pénibles et des rebonds positifs, les acteurs de la protection de l’enfance tiennent les deux bouts de la contradiction. Les années récentes sont faites d’une plus grande rigueur dans les pratiques du signalement, d’un développement d’expériences nouvelles pour éviter les ruptures induites par les prises en charge sur les enfants mais aussi d’un souci plus affirmé de respecter les familles, dans une démarche fondée davantage sur l’étayage parental que sur la substitution de l’institution à la famille. C’est malgré tout un progrès qui est à l’œuvre et que la récente loi du 2 janvier 2002 “rénovant l’action sociale et médico-sociale” a confirmé en consacrant clairement la problématique du droit des usagers dans la sphère de l’action sociale.
L’adolescent : un nouvel enjeu
21Pour conclure, la protection de l’enfance représente un système qui, dans ses avancées comme dans ses failles, évolue sous l’impact des transformations internes à la société française, transformations profondes et qui se sont produites sur une durée brève. À chaque nouvelle phase, les décideurs comme les acteurs ont été dans l’obligation de repenser une action dont le cadre s’est avéré perpétuellement changeant. Ce mouvement est loin d’être aujourd’hui achevé, comme en témoigne une actualité qui, sur le terrain de la protection de l’enfance, est principalement législative.
22Ces dernières années ont vu se succéder travaux parlementaires, eux-mêmes accompagnés d’études importantes, et lois ou projets de loi portant sur l’enfance et sur la famille. La réflexion des responsables témoigne des représentations qui sont au cœur de la société française, oscillant en permanence entre une survalorisation de l’image de l’enfant et la crainte qu’il peut inspirer lorsqu’il ne correspond plus à cette image, tout particulièrement lorsqu’il sort de l’enfance pour gagner cette zone grise entre deux états que l’on appelle adolescence. Il n’est pas anodin de voir comment, aujourd’hui, cette question de l’enfance est posée politiquement à travers deux lois. L’une l’aborde par le biais de la prévention de la délinquance avec un objectif de durcissement répressif revendiqué, et l’autre par le biais du renforcement des dispositifs de protection. Les deux lois produisent un curieux effet de miroir inversé, symptôme de la difficulté des pouvoirs publics à penser la question de la jeunesse. Enfant à protéger, enfant à punir. La problématique n’est pas nouvelle, sinon qu’elle tend à se poser aujourd’hui, avec la place prise par la délinquance des mineurs dans la question de l’insécurité en France, d’une manière plus inquiétante. Ce débat sur la délinquance se répète et se déplace à la fois. L’objectif de punition devenant de plus en plus central, il ne s’agit plus aujourd’hui de poursuivre un durcissement de la loi pénale pour les mineurs mais bien de remettre en cause, à terme, le statut même de mineur, c’est-à-dire de dissoudre, par le traitement de la délinquance, la différence entre l’adulte et l’enfant. En clair, pour punir l’enfant, il faut qu’il cesse plus vite d’être un enfant ; du coup, c’est l’adolescent qui fait aujourd’hui problème. C’est ainsi que bien au-delà du débat relatif à la délinquance juvénile dans un pays qui, nous l’avons vu, a su conjuguer l’action de l’administration et celle de la justice au bénéfice de politiques de protection sociale, il est très possible que le prochain enjeu de la protection de l’enfance se joue sur les questions du statut de l’adolescence et du devenir des adolescents.
Notes
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[1]
Philippe Chaillou, Guide du droit de la famille et de l’enfant, Dunod, 2003, et Jean-Pierre Rosenczveig, Le dispositif français de protection de l’enfance, Éditions Jeunesse et droit, 1998.
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[2]
L’“assistance éducative” est définie pour la première fois dans l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui réforme le système de protection de la jeunesse en élargissant la compétence du juge des enfants en matière civile à tous les cas de mineurs nécessitant une protection parce que se trouvant dans une situation de danger.
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[3]
La loi du 24 juillet 1889 sur la déchéance paternelle, celle du 11 avril 1908 sur la protection des mineurs prostitués, le décret-loi du 30 octobre 1935 relatif à la protection des mineurs fugueurs et vagabonds, et l’ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle.
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[4]
Article 371-2.
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[5]
Voir les travaux du professeur Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Érès, 1999.
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[6]
Bruno Cathala et Pierre Naves, “Accueils provisoires et placements d’enfants et d’adolescents : des décisions qui mettent à l’épreuve le système français de protection de l’enfance et de la famille”, juin 2000.
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[7]
Maurice Berger, L’échec de la protection de l’enfance, Dunod, 2003.