CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le placement des enfants abandonnés, déshérités ou maltraités a longtemps été l’action principale de la protection de l’enfance. Dans les deux derniers cas, l’objectif de la séparation était d’éloigner l’enfant de son milieu familial jugé néfaste et défavorable à son évolution et de l’élever dans un milieu de remplacement. Progressivement, grâce aux connaissances développées dans différents champs, on a pris conscience de l’insuffisance de la séparation pour résoudre les difficultés des enfants ainsi que de la nocivité de l’éviction de leurs parents. En 1980, le rapport Bianco-Lamy [1] soulignait que les enfants et leurs parents étaient les grands absents de la protection de l’enfance, se retrouvant “parfois totalement exclus d’échanges ou de projets qui n’existent qu’en leur nom”.

2Les textes réformant le cadre juridique du placement au regard du droit de l’autorité parentale ont opéré un tournant fondamental. Ainsi, la loi du 6 juin 1984 sur les droits des familles dans leurs rapports avec les services de l’aide sociale à l’enfance instaure le recueil de l’accord écrit des parents en cas de mesure d’accueil provisoire et de leur avis en cas de mesure judiciaire, la possibilité qu’ils soient accompagnés par la personne de leur choix dans leurs démarches auprès du service et l’information des familles sur les prestations de l’ASE et sur leurs conséquences : cette loi est la première à inscrire les parents et leurs enfants comme usagers des services sociaux. La loi du 6 janvier 1986, en limitant à deux ans la durée d’une prise en charge en assistance éducative, a mis fin à des pratiques d’accueil sans échéances précises, conduisant à “oublier” des enfants dans les services et à mettre leurs parents à l’écart. La loi du 2 janvier 2002 est venue compléter l’édifice des droits des usagers que doivent respecter les établissements et les services : en plaçant les bénéficiaires au cœur des dispositifs d’accueil, elle incite les institutions de placement à individualiser la prise en charge des situations familiales.

Des pratiques en évolution

3Le placement reste aujourd’hui une pratique importante de l’aide sociale à l’enfance. Alors que le nombre des actions de milieux ouverts s’établit (fin 2004) à 136 670, on décompte environ 139 750 mesures de placement (hors les pupilles de l’État, qui sont dans une réalité différente de celle des enfants placés). 80 % de ces mesures reposent sur une décision judiciaire. 55 % des enfants confiés vivent en famille d’accueil, 38 % dans des établissements publics ou associatifs (maison d’enfants à caractère social, foyer de l’enfance, pouponnières, villages d’enfants), 7 % bénéficiant d’autres modes d’hébergement (adolescents en autonomie, etc.) [2]. En lien avec l’évolution du droit social, les pratiques de prise en charge des enfants et les relations établies par les institutions avec leurs parents se sont transformées.

4À la suite d’auteurs comme Myriam David pour le placement familial et Paul Durning pour l’accueil en internat, ont été menés des travaux centrés sur les processus psychologiques et éducatifs en jeu dans les structures accueillant des enfants séparés de leurs parents. Ceci a permis d’améliorer la prise en compte des besoins des enfants placés et d’amorcer des réflexions en termes d’indications d’accueil en placement familial ou en collectivité. L’expression “suppléance familiale” [3] est fréquemment utilisée pour désigner des pratiques qui laissent une place aux parents. Après les lois des années 1980, les institutions de placement ont veillé au respect de l’autorité parentale, dont les parents restent titulaires, sauf pour ce qui concerne les actes usuels, lorsque leur enfant bénéficie d’une mesure de placement en assistance éducative. Désormais, les parents sont mieux accueillis dans les établissements, peuvent souvent participer au projet pour leur enfant et sont associés aux décisions et aux actions qui le concernent (visites médicales, rencontres avec ses enseignants, etc.). Des droits de visite et/ou d’hébergement sont organisés pour la grande majorité des enfants placés par décision judiciaire ; ce qui peut aller, dans certaines situations de maltraitance ou de carences graves, jusqu’à l’organisation de leurs relations, avec le développement des visites médiatisées.

5Par rapport à ces évolutions, le risque apparaît néanmoins que la place des parents “se résume à un aspect purement formel” [4]. D’autres interrogations portent sur la capacité du dispositif de placement à protéger réellement les enfants en cas de défaillances parentales majeures [5]. Des formules innovantes sont, depuis peu, proposées pour certaines situations, autour de prises en charge associant intervention au domicile familial et accueil résidentiel de l’enfant, ponctuel ou séquentiel. Ces formules, dans une perspective de co-éducation, visent à repérer les difficultés mais aussi les ressources des parents pour les étayer, au moyen d’une intervention intensive des travailleurs sociaux au domicile, ouvrant la possibilité de réflexion et d’évolution concernant les pratiques éducatives. Plus largement, une action globale auprès de la famille vise à renforcer son insertion dans son environnement de vie. Ces nouvelles approches sont en partie reprises dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.

6La question de la séparation et du placement met en permanence en tension la place des enfants et de leurs parents dans le dispositif de protection de l’enfance. Pour éviter l’alternative entre dénonciation et recommandation, il est nécessaire de prendre en compte la diversité des situations familiales, la complexité des pratiques professionnelles de prise en charge des enfants et de leurs parents et le soutien indispensable de ceux qui les mettent en œuvre.

Notes

  • [1]
    J.-L. Bianco, P. Lamy, L’aide à l’enfance demain, contribution à une politique de réduction des inégalités, ministère de la Santé et de la Sécurité sociale, 1980.
  • [2]
    DREES, Études et résultats, n° 428, 2005.
  • [3]
    J.-Y. Barreyre, B. Bouquet (dir.), Nouveau dictionnaire critique du social, Bayard, 2006.
  • [4]
    C. Sellenet, “Droits des parents et déni des droits en matière d’accueil et de soins à leurs enfants”, Empan, n° 49, mars 2003.
  • [5]
    M. Berger, Ces enfants qu’on sacrifie… au nom de la protection de l’enfance, Dunod, 2005.
Anne Oui
Chargée de mission à l’Observatoire national de l’enfance en danger, elle a longtemps suivi les questions de protection de l’enfance (adoption, placement familial, qualité des pratiques) au bureau de l’enfance à la DGAS (ministère chargé des Affaires sociales).
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.140.0032
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