Domesticité hôtelière
Maria-Bernardete FERREIRA de MACÊDO, Emmanuelle LADA, Daniele KERGOAT, Précarisation de la santé au travail et trajectoires professionnelles. Le cas des femmes de chambre et des veilleurs de nuit, Genre, Travail et Mobilités, CNRS, Universités Paris X – Nanterre, Paris VIII, IRESCO, 59 rue Pouchet, 75017 Paris, janvier 2007, 271 p.
1Se plier en deux pour enlever les draps, se relever, se pencher à nouveau jusque sous le lit pour ôter les poussières, se relever, se courber pour la table de nuit, se baisser pour la poubelle, s’agenouiller pour la baignoire, et cela dans chacune des chambres et le plus rapidement possible. Après, il faudra passer le balai dans les couloirs. Le métier de femme de chambre dans un hôtel est éreintant au sens premier du terme. Le rôle de veilleur de nuit dans les hôtels n’est guère plus aisé, surtout dans les hôtels qui ne sont pas des palaces. D’une polyvalence complète, il est le guetteur des incidents de la nuit, l’agent de sécurité, le pharmacien, le porteur de valise ou le donneur de renseignements impossibles. Veilleur de nuit et femme de chambre et non pas veilleuse de nuit et homme de chambre car dans ces tâches de service aux frontières de la domesticité, la division sexuée des rôles est fortement présente, aux hommes, la fonction de sécurité, aux femmes, les soins du linge et du ménage. Cette division des rôles entre hommes et femmes a déjà été bien analysée, alors nos trois auteures vont au-delà. Elles tentent de montrer que dans ces métiers de services subalternes trois rapports sociaux s’articulent. Le premier est celui de genre, le second est lié à la couleur de la peau, le dernier porte sur l’origine sociale, où plutôt sur les trajectoires sociales des personnes qui exercent ces activités. On comprendra alors que cette recherche, lorsqu’elle aborde les questions de santé, parce que les métiers décrits ici font mal à ceux qui les exercent, ne le fait pas à la manière des épidémiologistes pour lesquels l’état de santé est une variable. Ici l’état de santé est un construit social qui trouve son origine dans ces rapports sociaux qui autant que la pénibilité de l’activité génèrent de la souffrance. 1416
Handicaps en prison, double peine ?
Jean-Yves BARREYRE, Clotilde BOUQUET, Carole PEINTRE, Les situations de handicap en milieu carcéral, délégation ANCREAI Ile-de-France, CEDIAS, 5, rue Las Cases, 75007 PARIS, décembre 2005, 75 p.
2Comment peut-on garantir l’égalité des droits et des chances dans un univers carcéral dont l’une des caractéristiques essentielles est de réduire fortement, voire de supprimer, toute possibilité de participation sociale et de citoyenneté ? Cette question sert de point de départ à une analyse secondaire d’une enquête nationale de l’INSEE sur les personnes handicapées et dépendantes. Cette enquête connue sous le nom de HID comprend plusieurs volets selon le lieu de passation des questionnaires, on parle ainsi de HID-Institutions ou de HID-Domicile. S’agissant des prisons, 1284 personnes ont pu répondre au questionnaire. Si l’on peut admettre que la prison est par nature une situation handicapante, les résultats de cette étude sont particulièrement impressionnants car ils tendent à montrer que si près de 60 % des personnes incarcérées, bien que déclarant très fréquemment des comportements handicapants, peuvent vivre leur incarcération de façon autonome, les autres, c’est-à-dire 40 %, souffrent de handicap, de déficiences ou d’incapacités. L’analyse typologique des données d’enquête indique que 11 % des détenus ont des difficultés de langage ayant des répercussions sur leurs possibilités de communiquer, 29 % sont plutôt des détenus vieillissants dont les difficultés et les déficiences sont liées à des dysfonctionnements moteurs ou visuels ou des problèmes corporels. Au-delà des problèmes de méthode d’une enquête davantage pensée pour la population à domicile que pour des situations limites comme le milieu carcéral ou d’autres institutions, les résultats confirment bien que se retrouvent en prison des personnes pour lesquelles les situations de handicap sont bien plus fréquentes qu’en milieu ordinaire. 1417
Risques comparés.
Jean-Pierre GALLAND, Elisabeth CAMPAGNAC, Nathalie MONTEL, Prise en compte des risques professionnels et des risques technologiques. Comparaison France/Grande-Bretagne, Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, Ecole nationale des ponts et chaussées, Université de Marne-la-Vallée, Université Paris XII, 8 avenue Blaise-Pascal, Cité Descartes, 77455 Marne-la-Vallée, juillet 2006, 193 p.
3Dès le milieu du 19e siècle, la construction de l’État-providence s’est opérée sur deux piliers, les politiques d’action sociale, d’une part, et la régulation du travail, d’autre part. Si les instances majeures de cet État-providence, comme les caisses de Sécurité sociale, ont vu au fil des années s’affaiblir le rôle du paritarisme dans la gouvernance des politiques sociales, n’oublions pas que notre système social a reposé, et repose encore partiellement, sur un compromis entre syndicats ouvriers et organisations patronales. Le rapport du centre de recherche de l’École nationale des ponts et chaussées revisite cette construction en analysant la place de l’inspection du travail, symétrique de l’inspection des affaires sanitaires et sociales. Le rapport entrecroise en fait trois réflexions. La première porte sur les relations entre l’inspection du travail et une autre inspection, moins connue, celle des établissements classés pour lesquels le risque technologique est toujours présent ; on retrouve des noms comme Feyzin, Seveso et surtout AZF Toulouse. La seconde réflexion porte sur l’articulation des corps professionnels de l’administration dont on sait bien qu’elle est fortement l’expression de vigoureux mécanismes de défense et de promotion. Enfin, cette recherche montre comment deux pays proches, la France et l’Angleterre, confrontés, à peu près dans le même temps à des questions semblables, optent rationnellement pour des réponses opposées. 1418
France/Italie, gardes d’enfants comparées
Laurent FRAISSE, Danièle TRANCART, Stefania SABATINELLI, Ornella BOGGI, Déterminants du recours aux modes de garde : une comparaison France/Italie, CRIDA, 2 passage Flourens, 75017 Paris, juin 2006, 73 p.
4La comparaison des modes de garde des enfants de moins de 3 ans en France et en Italie tourne incontestablement à l’avantage des grands-parents italiens. Dans ces deux pays, en effet, la prise en charge familiale des jeunes enfants reste la norme dominante, un peu moins en France, un peu plus en Italie où 85 % des enfants sont gardés dans leur famille contre seulement 69 % en France. La différence structurelle réside dans le fait que près de 20 % des enfants italiens sont gardés principalement par leurs grands parents en Italie alors que ce taux n’est que de 4 % en France. Cela ne signifie pas que les grands-parents français ne s’occupent pas de leurs petits-enfants, mais leurs apports sont davantage ponctuels et leurs présences se manifestent surtout pendant les vacances scolaires, le week-end ou le soir. La seconde différence forte entre la France et l’Italie réside dans le taux d’activité des femmes. Alors que 63,8 % des femmes françaises ont une activité professionnelle ce taux n’est que de 40 % en Italie. La différence entre les deux pays est aussi fortement structurée par l’offre de services. Alors que la garde individuelle est très développée en France, elle est quasi inexistante en Italie. Les prix des services et les revenus des familles ont aussi un rôle déterminant. Si les tarifs des crèches respectent en France un barème national quasi proportionnel au revenu des familles, le recours à une assistante maternelle ou une aide à domicile tend à devenir inabordable pour les familles à revenus modestes qui ne peuvent bénéficier des aides fiscales. Utilisant des données françaises et italiennes ainsi que des extraits de la thèse de Stefania Sabatinelli, ce rapport aurait mérité quelques développements plus amples de l’analyse qualitative comparée. Il nous faudra aller lire la thèse de Stéfania Sabatinelli pour vous parler de cette partie. 1419
L’oncogériatrie, une médecine sociale ?
Valérie BUTHION, Patrick CASTIEL, Modalité de recours aux dispositifs gériatriques lors de la prise en charge des personnes atteintes de cancer, Groupe de recherche Économie de la santé et réseaux de soins en cancérologie, centre Léon- Bérard, 28 rue Laënnec, 69373 Lyon cedex 08, octobre 2006, 117 p.
5Le cancer est une maladie de personnes âgées. Première cause de mortalité entre 65 et 79 ans, l’âge moyen de découverte d’un cancer en France est de 66,3 ans pour un homme et de 64 ans pour une femme. Paradoxalement, qu’il s’agisse de l’efficacité des traitements, de l’effet des pathologies associées et de l’évolution des cancers au-delà de 65 ou de 70 ans, les recherches n’ont guère avancé. L’oncogériatrie n’est pas encore une spécialisation médicale même si les professionnels spécialisés dans la cancérologie et les gériatres, non sans difficultés, tentent de rapprochent leurs efforts. Par ailleurs, la prise en charge d’une personne âgée atteinte d’un cancer n’est pas seulement une question médicale, les facteurs sociaux tiennent une grande place dans la vie de ces patients. Le rôle de la famille avec laquelle doivent être partagées les décisions thérapeutiques majeures et la gestion au jour le jour du traitement est à la fois une contrainte et un apport pour les soignants. La durée de l’hospitalisation constitue également un enjeu de débat pour des soignants qui perçoivent les risques d’une prolongation tout en déplorant la difficulté à trouver les bonnes réponses à domicile. 1420
Stratégies parentales
Gérard NEYRAND, Nathalie FRAIOLI, Vie et socialisation des jeunes enfants au regard des modalités de leur accueil, Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et de recherches en sciences sociales, 175 rue Fernando-Canobio, 13320 Bouc Bel Air. Septembre 2006,144 p. "mailto:cimerss@wanadoo.fr" cimerss@wanadoo.fr
6Si dans leur majorité les familles ayant de jeunes enfants se déclarent plutôt contentes de la façon dont leurs enfants sont pris en charge, cette satisfaction n’est que rarement exprimée parce qu’ils ont trouvé la solution qui correspond le mieux à leur idéal mais surtout, parce que dans une offre toujours limitée, ils ont su adapter leurs aspirations à l’existence des services offerts. Cette situation de compromis accepté ne concerne toutefois pas les familles avec plusieurs enfants ou les familles monoparentales. Cette dernière situation accroît fortement les difficultés de garde des enfants. Combinant des entretiens auprès des parents et l’exploitation secondaire de l’enquête de la DREES sur les « Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants », Gérard Neyrand et Nathalie Fraioli montrent que plusieurs modèles existent simultanément permettant aux familles de ranger leurs compromis dans une stratégie socialement acceptable et acceptée. Pour certains couples la meilleure socialisation demeure le maintien de la mère au foyer avec un usage circonstancié de lieux d’accueil centrés sur l’éveil de l’enfant. D’autres couples optent pour une stratégie d’arrêt momentané du travail de la mère utilisant là encore des structures d’accueil dans un but de socialisation. La stratégie d’un travail maternel maintenu mais allégé aidé d’un recours à des modes de garde maternant, assistante maternelle ou crèche familiale, s’accompagne parfois de l’utilisation de crèches collectives pour favoriser la rencontre de l’enfant avec d’autres enfants. Enfin, les couples qui optent pour un maintien à temps complet de leurs activités utilisent les modes d’accueil de façon totalement complémentaire à la socialisation familiale. 1421
Inégalités et responsabilités
Romina BOARINI, Geert DEMUIJNCK, Christine LE CLAINCHE, Jérôme WITTWER, Déterminant des inégalités sociales et interventions publiques : une analyse des intuitions morales des individus, ENS de Cachan, antenne de Bretagne, avenue Robert-Schuman, campus de Ker Lann, 35170 Bruz, janvier 2006, 212 p.
7Pour mettre chacun et chacune d’entre nous sur le même pied de départ, dans la perspective d’une société fondée sur l’égalité des chances, quelles inégalités les politiques publiques doivent-elles compenser ? Autrement dit, dans la succession des malheurs qui nous accablent – ou des bonheurs qui nous réjouissent, mais ce second point ne renvoie pas aux politiques publiques – comment s’opère la ligne de partage entre ce qui relève de notre propre responsabilité, de nos choix, et ce qui appartient à des circonstances qui échappent à notre maîtrise ? La réflexion théorique sur cette thématique est peu développée en France même si le débat pragmatique sur la question de la responsabilité individuelle est omniprésent dans les campagnes électorales passées et sans doute à venir. C’est le grand mérite de Christine Le Clainche et de ses collègues de se confronter à ce problème. Dans une recherche aux frontières de l’économie, de la philosophie mais aussi de la psychologie, les auteurs de ce rapport rappellent d’abord les grands principes des théories contemporaines de la justice, on y retrouve le principe de l’égalité des chances, celui de la non-discrimination ou de l’égalité des opportunités. On se régalera à la lecture de la définition du principe de responsabilité qui veut que “des résultats inégaux soient justes s’ils découlent des facteurs dont les individus peuvent être clairement tenus responsables, autrement ils sont injustes”. Les auteurs utilisent ces principes pour interroger la possibilité de développer des politiques publiques sociales de compensation dans les domaines de la santé, de la famille et de la socialisation, mais aussi des situations liées à l’origine ethnique. Un rapport à lire de toute urgence, en sachant toutefois que les concepts abordés et les démonstrations sont souvent complexes, lorsque l’on s’intéresse à la mise en œuvre de politiques sociales fondées sur la notion d’égalité des chances. 1422
La garde des enfants en ville et en campagne
Catherine BOUVE, Muriel LETRAIT, Eric PLAISANCE, Alexandra PAWLOWSKA, Déterminants et processus conduisant les parents à recourir à tel ou tel mode d’accueil des enfants de moins de 3 ans, Centre de recherche sur les liens sociaux, UMR 8070, Université RenéDescartes, Paris V, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, octobre 2006, 355 p.
8Les parents peuvent-ils choisir le mode de garde de leur enfant, ou de leurs enfants, de moins de3 ans ? Alors qu’une idéologie du libre choix traverse les politiques publiques, les auteurs de cette recherche réalisée là encore en utilisant les données de l’enquête “Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants”, complétées par des investigations de terrain auprès des familles, montrent que le choix des parents est fortement conditionné par l’offre locale. Si l’accueil en crèche collective est souvent valorisé pour ce qu’il ressemble à un véritable service public, sur le modèle de l’école, l’absence de ce type d’équipement en milieu rural et le manque de places disponibles en milieu urbain font que les familles ne peuvent dans la majorité des cas voir aboutir ce choix. Il ne reste plus alors aux parents qu’à valoriser le mode de garde qu’ils ont pu trouver, même quand ce mode de garde a été adopté “faute de mieux” ce qui est souvent le cas des familles de milieux modestes ou plus démunis pour lesquelles le repli sur le foyer et l’arrêt du travail constituent des solutions plus contraintes que choisies. 1423
La pauvreté, un risque nouveau
Elisabeth BOUCHAUD-BERNARD, De l’influence de la pauvreté sur la Sécurité sociale en France, Thèse pour l’obtention du doctorat de l’Université de Nantes, droit social, École doctorale : droit et sciences sociales, Faculté de droit et des sciences politiques, Université de Nantes, Chemin de la Censive-du-Tertre - BP 81307 - 44313 Nantes cedex 3, Juin 2006, 339 p.
9L’impertinence n’est pas qu’une qualité exclusive des sociologues, les juristes savent aussi en user avec adresse. S’il en fallait une preuve supplémentaire, la lecture de la thèse d’ Elisabeth Bouchaud Bernard conviendrait fort bien. Dans un épais mais toujours passionnant document, l’auteure de cette thèse procède à une relecture du projet originel de la Sécurité sociale lorsque cette institution se trouva confrontée à l’émergence de la pauvreté comme un risque nouveau et imprévisible au début des années 1980. Si la dimension universaliste du projet fondateur avait déjà été sérieusement écornée par les particularismes professionnels, les politiques de lutte contre la pauvreté en suscitant des prestations non contributives, prestations dont le RMI est sans doute le meilleur exemple, font retourner le projet dans la sphère assistancielle, là où l’assurance devait l’emporter. Le projet de Beveridge trouverait alors, de manière paradoxale, dans les prestations d’assistance le meilleur garant de sa réalisation. Cette direction doit cependant être nuancée par l’apparition de nouvelles prestations comme la CMU qui en viennent à créer des catégories juridiquement incertaines comme celle “d’assisté-assuré”, cela en attendant peut-être la construction de services totalement différents comme la sécurité professionnelle qui feraient, cette fois-ci, de la pauvreté un cinquième voire un sixième risque, si l’on compte le risque dépendance. 1424