Vincent Peyre, Françoise Tétard, Des éducateurs dans la rue : histoire de la prévention spécialisée, Paris, La Découverte, 2006
1Cet ouvrage retrace la genèse d’une forme spécifique de travail social : la prévention spécialisée. Les “éducateurs de rue”, occupent une place à part dans le paysage éducatif. Les professionnels comptent aujourd’hui près de 3 000 membres répartis dans environ 350 associations, les auteurs retracent les grandes étapes de la prévention spécialisée : depuis le temps des pionniers jusqu’à la période actuelle, en passant par les différentes étapes de son institutionnalisation.
2Au nombre des pionniers, il y a sans aucun doute Fernand Deligny, instituteur spécialisé dans le nord de la France, formé à la pédagogie Freinet. À partir de 1943, il décide d’intervenir auprès des bandes d’enfants laissés plus ou moins à l’abandon du fait de la guerre. Son projet vise la protection des jeunes livrés à la rue, mais son originalité est de s’appuyer sur “les bandes positives” et d’instaurer une relation de confiance reposant sur les sociabilités adolescentes. Deligny contribue à inventer ce que l’on ne sait encore que nommer un “patronage”. Peu après la fin de la guerre, une jeune éducatrice, Monique Beauté, anime la Boutique à Paris, créant un espace d’accueil des bandes du quartier Mouffetard. En 1948, toujours à Paris, les Équipes d’amitié s’investissent dans un travail social de rue dont l’objectif est la lutte contre le dénuement des années d’après guerre. Ces éducateurs, issus souvent de la petite bourgeoisie, s’adressent à des jeunes de milieu populaire, parfois d’âge scolaire, parfois plus âgés. Ils agissent en ville, dans la rue, mais en relation avec un point fixe repérable, parfois un local. C’est un travail d’équipe qui tente de faire du positif avec du négatif. Enfin, ils interviennent dans une perspective de “sauvetage” afin que les enfants sortent des privations de la guerre et de l’après-guerre.
3Bien que relevant du vaste domaine de la prévention, les acteurs du champ revendiquent une place à part en se situant dans une dimension socio-éducative et c’est l’expression “clubs et équipes de prévention” qui, à partir de 1957, servira d’emblème aux premières associations de cette période. Cependant, malgré des circulaires ministérielles en 1959 et 1963, ce n’est qu’en 1972 que le terme “prévention spécialisée” sera utilisé officiellement dans le cadre de textes réglementaires. Entre-temps, les enfants des décombres de la guerre sont toujours dans la rue mais, changeant de tenue, ils ont endossé successivement le cuir des “blousons noirs” de 1959, puis la peau de mouton retournée des gauchistes de l’après-68.
4Dans le contexte récent du projet de loi sur la prévention sociale, cet ouvrage donne à réfléchir et nous permet de saisir autant l’efficacité du projet éducatif que ses fragilités institutionnelles et politiques.