1L’école est première dans les obligations des parents et des enfants envers la collectivité. D’où, très tôt, l’établissement d’un principe de sanction en cas de manquement. Le lien avec les prestations familiales trouve sa forme actuelle dans le contrat de responsabilité parentale, qui élargit la problématique du manque d’assiduité scolaire à une carence de l’autorité parentale. Les CAF, parallèlement à une sanction possible, mettent en œuvre le soutien à la parentalité.
2Le lien entre assiduité scolaire et prestations familiales a été institué pour la première fois en 1959, et le premier dispositif de sanction des parents par la suppression des prestations familiales a été créé en 1966. À travers les évolutions (voir infra), on constate combien l’utilisation des prestations familiales face à la problématique de l’assiduité scolaire relève, de la part des pouvoirs publics, d’un choix éminemment politique : au croisement des conceptions du rôle des prestations familiales d’un côté et des institutions et des individus de l’autre, en premier lieu les parents, en charge de l’éducation des enfants.
3Historiquement, les CAF sont, dans ce contexte, amenées à intervenir à deux niveaux. Sur le plan légal, elles mettent en œuvre des sanctions édictées par d’autres autorités, en suspendant ou en supprimant les prestations familiales. Sur le plan social, elles développent, le plus souvent en partenariat, des actions de prévention et de soutien en faveur des enfants et des familles, dans le but de favoriser une meilleure intégration scolaire des enfants. Ces actions d’accompagnement des familles, notamment lorsqu’elles touchent à l’exercice de leur fonction parentale, s’inscrivent pleinement dans la politique d’action sociale familiale portée par les CAF en faveur du soutien à la parentalité.
Les dispositifs en vigueur entre 1959 et 2005
Les principes fondateurs
4Il convient de distinguer l’obligation scolaire et l’obligation d’assiduité. L’obligation scolaire est apparue avec la loi du 28 mars 1882 sur l’organisation de l’enseignement primaire. Elle impose aux personnes responsables d’un enfant âgé entre 6 et 16 ans de l’inscrire dans un établissement d’enseignement public ou privé, ou de déclarer aux autorités compétentes qu’elles lui font donner une instruction dans la famille (article L. 131-5 du Code de l’éducation). Le maire, qui en est le garant, aux termes du décret du 18 février 1966, a le devoir de faire connaître, sans délai, à l’inspecteur d’académie les infractions à l’obligation scolaire.
5L’obligation d’assiduité impose aux personnes responsables de l’enfant qui manque la classe de faire connaître, sans délai, au directeur d’établissement les motifs de cette absence (L. 131-8 du Code de l’éducation). Certains motifs sont réputés légitimes et les autres sont laissés à l’appréciation de l’inspecteur d’académie qui peut demander une enquête sociale. L’obligation d’assiduité s’impose à tous les enfants inscrits dans un établissement scolaire, aux termes de l’article 511-1 du Code de l’éducation, alors que l’obligation scolaire, par application de l’article L. 131-1 du Code de l’éducation, ne s’applique qu’aux enfants âgés de 6 à 16 ans.
Le dispositif de 1959
6L’ordonnance du 6 janvier 1959 subordonne le versement des prestations familiales à l’assiduité des enfants soumis à l’obligation scolaire, attestée par la présentation d’un certificat d’inscription dans un établissement privé ou public. Le décret d’application est intervenu le 18 février 1966.
7L’article L. 552-3 dispose que “les manquements à l’obligation scolaire peuvent entraîner la suspension ou la suppression du versement aux parents des prestations familiales dans des conditions fixées par décret”. Ce décret, datant de 1966, était codifié aux articles D. 552-1 à D. 552-5 du Code de la Sécurité sociale, qui ont à leur tour été abrogés par un décret du 23 juin 2004.
8Deux types de sanctions sont donc instituées : la suspension et la suppression des prestations familiales. Le déclenchement du dispositif n’intervient que si la CAF est saisie par l’inspection académique.
9– La suspension des prestations familiales
10En cas de non-assiduité, le versement des prestations familiales afférentes à l’enfant (ou aux enfants) est suspendu à compter du mois de signalement. Le droit est repris à compter du mois d’effet de la suspension, sur avis de l’inspection académique, sous réserve que l’enfant fréquente à nouveau l’établissement scolaire pendant au moins un mois. Si la famille justifie a posteriori des absences de l’enfant auprès de l’inspection académique, il peut être procédé à un versement rétroactif des prestations pour les mois suspendus.
11– La suppression des prestations familiales
12En cas d’absence, au cours de l’année scolaire, d’au moins quatre demi-journées sur un mois civil pendant trois mois civils consécutifs ou non, les prestations familiales ne sont pas dues pour le ou les mois en cause. En cas d’absence au cours de l’année scolaire de plus de dix jours, soit consécutifs, soit au cours du même mois, les prestations familiales ne sont pas dues pour le mois ou le premier des deux mois en cause.
13Dans ces deux situations, la reprise des droits intervient à compter du mois de la reprise de scolarité sur avis de l’inspection académique ou sur demande du chef d’établissement et, au plus tard, à compter du 1er juillet. Il ne peut pas être effectué de versement rétroactif, contrairement au cas de suspension.
14– Le dispositif de signalement et de sanction
15Le premier acteur est le chef d’établissement, qui signale un manquement à l’obligation scolaire à l’inspecteur d’académie. Celui-ci avertit ensuite les parents et demande éventuellement à la CAF de suspendre ou de supprimer le versement des prestations familiales.
16La procédure permet à l’inspecteur d’académie d’agir directement auprès de la CAF dans tous les cas d’absentéisme aggravé. La suspension qu’elle entraîne est illimitée dans le temps (c’est-à-dire jusqu’au rétablissement de l’assiduité scolaire de l’enfant) et la restitution rétroactive des allocations non versées n’a lieu qu’en cas de justification des absences a posteriori (et non d’un simple retour à la normale).
17Une enquête réalisée par la CNAF sur l’année scolaire 2001-2002 révèle que 6 700 familles et plus de 7 333 enfants ont fait l’objet d’une sanction, soit un enfant sur mille.
La loi du 2 janvier 2004
18L’article 3 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance abrogeait l’article L. 552-3 du Code de la Sécurité sociale et, avec lui, le dispositif de suspension et de suppression des prestations en cas d’inassiduité scolaire.
19Cette loi s’appuie sur une prise en compte du phénomène d’absentéisme scolaire comme relevant de situations complexes et variées (difficulté scolaire, situation particulière de souffrance scolaire liée à l’établissement ou à la classe, situation personnelle ou familiale difficile…) et sur le fait que le basculement de l’absentéisme scolaire dans la délinquance n’est en rien systématique et ne concerne qu’une fraction minime des élèves absents [1].
20En outre, les motifs invoqués pour cette abrogation ont révélé un défaut d’équité et d’efficacité du dispositif antérieur.
21– Un dispositif jugé inéquitable
22Le mécanisme de sanction était appliqué de façon hétérogène sur l’ensemble du territoire selon les pratiques (signalement ou non, demande de sanction ou non…) des chefs d’établissements et des inspecteurs d’académie.
23L’interprétation de la notion d’absentéisme telle que définie dans le Code de la Sécurité sociale n’était de surcroît pas uniforme. Des inspections d’académie pouvaient demander une suppression des prestations familiales alors que la répétition de l’absence scolaire sur trois mois n’était pas forcément constituée au regard des textes.
24Le principe du contradictoire (art. 6 de la convention européenne des droits de l’homme) n’était pas respecté et les familles ne pouvaient pas s’exprimer avant la décision de sanction.
25Ce dispositif ne touchait que les allocataires de prestations familiales. 1,3 million de familles ayant un seul enfant étaient donc exclues.
26La sanction pécuniaire étant proportionnelle au nombre d’enfants, les familles nombreuses étaient les plus fortement pénalisées et le poids de la sanction financière était variable selon le niveau de revenus de la famille.
27Les prestations familiales ont pour objet de compenser une partie du coût de l’enfant, qui reste le même, indépendamment d’un éventuel absentéisme scolaire.
28– Un dispositif jugé inefficace
29Le RMI étant une prestation différentielle, les familles qui le percevaient le voyaient augmenter en proportion de la baisse des prestations familiales.
30L’efficacité du dispositif était liée au bon enchaînement de plusieurs étapes et à l’action de nombreux acteurs (signalement des établissements à l’inspection académique, et de l’inspection académique aux CAF), ce qui constituait un risque réel de défaillance. Le taux de transmission de l’inspecteur d’académie à la CAF ou à la caisse de mutualité sociale agricole rapporté au nombre de signalements était, selon le rapport Machard (2003), d’environ 20 %.
31Enfin, il a été noté un décalage entre la sanction de l’absentéisme et la situation réelle de l’élève. Dans près d’un cas sur deux, la sanction intervenait plus de trois mois après le constat d’absentéisme.
32– Une mobilisation forte des CAF ancrée dans le champ de la prévention
33Le 1er juillet 2003, au regard de ces éléments, le conseil d’administration de la CNAF s’est prononcé favorablement pour les dispositions relatives à la lutte contre l’absentéisme scolaire contenues dans la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance du 2 janvier 2004.
34Aussi, les CAF se sont impliquées, dans la mesure de leurs moyens, dans la lutte contre l’absentéisme scolaire. Elles ont renforcé leurs actions partenariales de proximité avec les établissements scolaires, afin de prévenir au plus tôt l’absentéisme et de soutenir la mobilisation des parents.
35Elles ont participé à la création d’instances départementales de suivi de l’assiduité scolaire et contribué, selon leurs partenariats locaux, à leur animation. Le cadre partenarial de ces commissions devait permettre la coordination et l’impulsion d’actions de sensibilisation et de prévention en faveur des parents, en amont des situations avérées d’absentéisme.
36Elles ont assumé la responsabilité et l’animation de modules de soutien à la responsabilité parentale. Ces modules devaient traiter, de manière générale, du cadre légal de l’obligation scolaire, des responsabilités qui incombent aux parents au titre de cette obligation et, plus globalement, de leur responsabilité éducative. Au-delà de ces rappels essentiels, l’objectif des modules était de soutenir la “remobilisation” des parents sur la question de l’autorité parentale et des relations parents enfants.
La loi du 31 mars 2006 : le contrat de responsabilité parentale
Le dispositif
37La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances prévoit, en son titre III, la création d’un contrat de responsabilité parentale et la faculté de suspendre les prestations familiales afférentes à l’enfant dont les parents font l’objet du contrat.
38Ce contrat peut être proposé aux familles par le président du conseil général dans trois cas : manquement de l’enfant à l’obligation d’assiduité, trouble porté au fonctionnement de l’établissement scolaire, et pour toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale. Ce nouveau dispositif a une portée plus large que celui qu’il remplace puisque il est possible, au-delà de la sphère scolaire, de sanctionner les parents dont l’autorité parentale est manifestement défaillante au regard des actes commis par leurs enfants. Le président du conseil général propose ce contrat de sa propre initiative ou sur saisine du chef d’établissement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de la CAF ou du préfet.
39L’article R. 242-4-2 énumère les mentions qui doivent figurer au contrat quant à son contenu, à sa durée et aux sanctions encourues. Ainsi, doivent apparaître les motifs qui ont conduit le président du conseil général à proposer le contrat, les engagements des parents, les mesures d’accompagnement et les sanctions encourues par les parents. Le contrat a une durée de six mois, renouvelable une fois. Cet article détermine également les obligations qui incombent au président du conseil général quant à la coordination et au suivi des actions engagées dans le cadre du contrat avec les différents partenaires.
40Le décret n° 2006-1104 du 1er septembre 2006 relatif au contrat de responsabilité parentale modifie les articles R. 131-7 et R. 131-8 du Code de l’éducation et supprime les modules de soutien à la responsabilité parentale qui disparaissent de facto des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour prévenir et traiter la question de l’absentéisme scolaire.
Les sanctions
41En cas de non-respect des termes du contrat par les parents (ou le représentant légal) ou en cas de refus de signature de ce contrat, le président du conseil général peut intervenir selon trois modalités : demander au directeur de la CAF la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l’enfant ; saisir l’autorité judiciaire d’une demande tendant à l’application d’une contravention (définie par décret en Conseil d’État) ; saisir le juge des enfants aux fins de mise en place d’une mesure de tutelle aux prestations sociales.
La suspension des prestations familiales
42L’article L. 552-3 du code de la Sécurité sociale réintroduit le principe d’une possible suspension des prestations familiales. Dans ce cadre, le directeur de la CAF suspend, à la demande du président du conseil général, le versement des prestations.
43Le président du conseil général dispose d’un pouvoir discrétionnaire puisque c’est à lui seul qu’appartient dorénavant la décision de suspendre ou non les prestations ; de définir quelles prestations doivent être suspendues, la loi précisant qu’il peut s’agir soit des allocations familiales, soit du complément familial, soit des deux ; et de définir la durée de la mesure de suspension, dans le cadre de la loi, c’est-à-dire dans la limite de trois mois, renouvelables jusqu’à douze mois maximum.
44Enfin, le versement des prestations dues peut être rétabli rétroactivement à la date de la suspension si les parents se conforment au contrat de responsabilité parentale.
Des questions en suspens
45Ce nouveau dispositif laisse ouvertes un certain nombre de questions.
46L’article R. 235-11-1 prévoit la possibilité pour les conseils départementaux de l’Éducation nationale d’instituer une section spécialisée, laquelle pourra être consultée sur les mesures destinées à renforcer l’assiduité scolaire et les aides aux familles que le président du conseil général décide de mettre en œuvre. Lorsque cette section spécialisée est mise en place, l’article précise que deux représentants des caisses d’Allocations familiales et des associations familiales, nommés par le président du conseil général, y sont membres de droit. Toutefois, l’organisation de ces sections spécialisées n’est pas obligatoire. Lorsqu’elles sont créées, la rédaction du décret laisse subsister une incertitude quant à l’obligation ou à la faculté de les consulter sur les mesures destinées à renforcer l’assiduité scolaire.
47L’article R. 222-4-2 prévoit que les CAF peuvent saisir le président du conseil général d’une demande de mise en œuvre pour une famille d’un contrat de responsabilité parentale pour toute difficulté liée à une carence de l’autorité parentale. La rédaction du décret laisse subsister, là encore, une incertitude quant au caractère optionnel ou obligatoire de ladite saisine. En tout état de cause, le décret n’apporte pas de définition sur la notion de difficulté liée à une carence de l’autorité parentale.
48Une évaluation de ce nouveau dispositif sera intéressante à plus d’un titre. Des questions demeurent en effet aujourd’hui sans réponse : quel usage les conseils généraux font-ils de cette nouvelle prérogative qui leur est confiée ? Cet usage est-il homogène sur l’ensemble du territoire ? Ce dispositif permet-il d’apporter une réponse équitable et efficace aux problèmes d’assiduité scolaire, voire de délinquance ?
Note
-
[1]
Rapport Machard sur les manquements à l’obligation scolaire, remis au gouvernement par la délégation interministérielle à la famille, en janvier 2003.