CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’enfant victime d’agressions de nature sexuelle est désormais entendu, enregistré et filmé afin d’éviter la répétition du récit des faits traumatisants. Le dispositif prévu par la loi de 1998 se met en place très lentement. Colette Clément Barthez, vice-procureur de la République au tribunal de Valence, qui a également été à l’origine du lieu d’accueil de Mâcon, dispose du recul nécessaire pour tirer de ces expériences des enseignements concernant les modalités d’écoute.

2Dans une pièce carrée, sur les deux larges marches qui forment estrade dans le coin droit, sont posés un ours en peluche, des petits mannequins de bois articulés neutres et non sexués, des coussins et quelques menus objets. De l’autre côté, une table et quatre chaises. Sur le mur d’en face une glace sans tain, derrière laquelle se trouve une cabine d’enregistrement (audio, vidéo). Cet appartement comporte également une salle d’attente et un cabinet médical. Tout est propre et neuf. Peinture jaune vif sur les murs. Nous sommes dans l’unité d’accueil des mineurs victimes d’abus sexuels et de violences graves : un espace judiciaire dans l’enceinte de l’hôpital de Valence, ouvert en mai 2006.

3Colette Clément Barthez est magistrat du parquet depuis quinze ans, vice-procureur de la République au tribunal de Valence, chargée des mineurs. Les magistrats du parquet sont moins connus du grand public que les juges pour enfants, magistrats du siège. Ils représentent les intérêts de la société. Ils orientent et contrôlent les actions de la police et de la gendarmerie, qui leur rendent compte, en temps réel, de tout ce qui trouble l’ordre public. La fonction du procureur est de prendre des décisions d’orientation judiciaire : “Nous sommes, dit Colette Clément Barthez, le « guichet d’entrée » de la justice, à l’image des urgentistes à l’hôpital”.

4Le procureur saisit le juge des enfants soit au civil pour les mesures d’assistance éducative, soit au pénal pour qu’il rende un jugement concernant un mineur qui a commis des infractions à la loi. “La fonction du parquet des mineurs se décline en termes de protection, de prévention et de répression. À partir du moment où l’infraction est commise sur les mineurs, je dois veiller à la protection de ces enfants, et l’aspect préventif recouvre l’ensemble du travail avec les partenaires de justice du département afin que les situations soient gérées au mieux : en respectant la compétence de chacun, en évitant les rivalités, et avec une bonne coordination.

5Le procureur peut être saisi suite à un signalement effectué par les travailleurs sociaux, par les personnels de l’Éducation nationale, par des médecins ou lors d’une consultation hospitalière. Une enquête est alors ouverte. Quand les parents d’un enfant s’adressent directement à un commissariat ou à une gendarmerie, ceux-ci s’en réfèrent au procureur. Il n’est pas nécessaire qu’une plainte soit déposée, geste toujours délicat, surtout quand il s’agit de violences intrafamiliales. Le procureur n’est pas saisi d’une plainte mais d’une infraction.

L’hôpital comme partenaire

6Les commissariats et les brigades de gendarmeries ne sont guère préparés à recevoir des enfants ni à entendre un récit difficile et intime. Aussi, quand la loi de 1998 a fait obligation d’enregistrer les mineurs victimes (voir encadré 1), Colette Clément Barthez a pensé à situer ce lieu d’accueil à l’hôpital, généralement connu de l’enfant en termes de soins et de prise en charge, sans violence. Ce n’est pas là où l’on envoie les “méchants”. Et c’est important pour des enfants généralement mis en position de culpabilité par leur agresseur. Alors en poste à Mâcon, Colette Clément Barthez a créé une première unité d’accueil à l’hôpital, au service des urgences, là où les professionnels ont l’habitude de travailler avec des policiers et avec des gendarmes. Nommée à Valence, elle a mis en place une seconde unité d’accueil, dans un appartement réservé à cet effet, et situé dans l’enceinte hospitalière.

La protection du mineur victime

Cet espace a été créé dans le prolongement de la loi du 17 juin 1998, qui a prévu un dispositif de protection du mineur victime. L’obligation d’enregistrer sur cassette vidéo le témoignage du mineur victime de violences sexuelles (art. 706-52 CPP) en est l’un des éléments. La circulaire du 2 mai 2005, issue du groupe de travail dit d’Outreau, insiste sur le contexte dans lequel se fait la révélation, sur la nécessité de l’enregistrement et sur la formation des enquêteurs.
La loi prévoit également la possibilité pour l’enfant d’être accompagné d’un administrateur ad hoc désigné par le parquet lorsque ses intérêts ne sont pas suffisamment pris en compte par les parents ; l’allongement du délai de prescription concernant la plainte ; l’obligation pour le parquet d’informer la victime si l’affaire est classée sans suite ; et la gratuité des soins pour l’enfant victime.
Il existe aussi des unités médico-judiciaires sous responsabilité médicale. Elles accueillent les victimes en général, enfants et adultes. Dans les unités d’accueil sous contrôle du parquet, seuls les enfants sont reçus. L’unité d’accueil pour les mineurs victimes du département de la Drôme, située à Valence, relève de la compétence du tribunal de grande instance. Il en existe aujourd’hui une douzaine en France.

L’accueil de l’enfant

7L’enfant est accueilli dans ce lieu judiciaire qu’est l’unité d’accueil (voir encadré 2). Il est accompagné de l’éducateur ou de son parent. À son arrivée, un temps est consacré à la présentation des personnes présentes : psychologue éventuellement, gendarmes, médecin. L’enfant fait le tour des locaux, visite la cabine d’enregistrement, comprend le rôle de chacun. Son accord est nécessaire pour être filmé et enregistré. S’il refuse, la loi prévoit la possibilité de l’enregistrer sans le filmer, dans ce même lieu.

8Interdiction est posée à d’autres personnes de s’introduire dans la cabine à l’insu de l’enfant. “Je justifie cette exigence à l’égard des enquêteurs en expliquant que l’enfant, la plupart du temps, a été abusé, au sens moral (et physique) du terme, par un plus grand que lui, qui lui a demandé le secret en le menaçant. Nous devons fonctionner autrement dans le moment du dévoilement de cette situation : dans la transparence, dans l’explication. C’est un discours qui surprend les adultes, qui ont parfois du mal à concevoir qu’on puisse donner des explications et dire la vérité à l’enfant.

9Sont reçus les enfants de plus de trois ans, en tout cas qui peuvent s’exprimer par le langage. Une psychologue est présente pour l’accueil d’enfants très jeunes ou en difficulté psychique. Elle peut conseiller l’enquêteur sur ce que l’enfant est capable d’appréhender ou non (par exemple, se repérer dans le temps).

Les modalités de l’audition

10Cette audition enregistrée évite à l’enfant de répéter, dans différentes circonstances de l’enquête, des faits traumatisants. En même temps, cet enregistrement libère le gendarme des contraintes liées à la prise de notes. Il peut être avec l’enfant, s’asseoir à côté de lui sur les marches de l’estrade, observer ses gestes, ses mimiques bien davantage qu’autour d’une table et séparé par un ordinateur. L’audition permet aussi de repérer ce qu’induit la formulation de telle question dans la réponse donnée par l’enfant. L’adulte a un pouvoir de suggestion et l’enfant risque de dire ce qu’on attend de lui. Les questions doivent donc être non suggestives.

L’espace d’accueil des mineurs victimes

L’unité d’accueil comprend aussi un pôle ressources, sous la direction du service de pédiatrie. On y reçoit les parents qui se présentent au service de pédiatrie quand ils craignent une situation de violence sexuelle pour leur enfant. Ils rencontrent la psychologue et le médecin pédiatre. Un signalement sera établi par ces professionnels si les violences sont avérées.
Ce pôle ressources organise une permanence téléphonique pour les professionnels isolés (médecins de ville, par exemple). Les associations d’aide aux victimes et de protection de l’enfance sont partie prenante de ce travail partenarial.
Un plan de formation départemental, constitué de neuf modules, a été ouvert à tous les professionnels recevant des mineurs (Éducation nationale, conseil général, assistantes maternelles, bénévoles, magistrats, avocats, administrateurs ad hoc, personnels éducatifs…). On y aborde le signalement, le traitement, l’accompagnement, l’audition, les aspects médicaux, les violences en institutions. C’est entièrement gratuit pour les participants car financé par la Fondation de France et par le conseil général. Plus de 900 personnes en ont bénéficié.

11Il faut garder à l’esprit qu’une audition n’est pas un interrogatoire. Les enquêteurs pratiquent aussi l’interrogatoire du mineur auteur. Une position tout à fait autre dont ils doivent prendre conscience, comme le souligne Colette Clément Barthez : “Un enquêteur me dit un jour : « La mineure Untel m’a avoué son viol. » Attention, la victime n’avoue pas, c’est l’auteur qui avoue. Ce sont des glissements sémantiques qu’on ne peut pas laisser passer.” Il faut aussi apprendre à supporter les silences, et à ne pas bombarder l’enfant de questions. Le laisser réfléchir.

12Mieux l’audition est préparée, plus elle est courte et de qualité : de cinq minutes pour un enfant très jeune à une demi-heure pour un adolescent. Préparer l’audition suppose que l’enquêteur ait lu et bien compris le dossier préparatoire : il sait ce qu’ont dit les témoins et ceux qui ont reçu les premières confidences.

13Bien que la loi prévoie que toute personne mandatée par le juge des enfants, parent, administrateur ad hoc, médecin ou psychologue, puisse assister à l’entretien, cette disposition n’est pas obligatoire et Colette Clément Barthez tient à ce que les enquêteurs soient seuls avec l’enfant, sauf si celui-ci est très jeune et qu’il refuse de se séparer de sa mère (qui sera alors placée derrière lui). Car des expressions de visage de l’accompagnant peuvent guider son témoignage. Il faut éviter de créer des conditions qui viendraient, même si elles ne sont pas volontaires, influer sur la parole de l’enfant.

14Pourquoi faut-il qu’il soit seul ? Souvent, l’enfant ménage l’adulte avec lequel il a des liens affectifs, il ne dira pas les faits aussi brutalement qu’il a pu les vivre. Ou bien il aura le souci de retrouver la teneur et la forme de ses premières confidences. S’il est seul avec l’enquêteur, il sent (grâce à l’accueil et à la présentation) qu’il s’agit d’un professionnel, disponible pour l’écouter, sans lien affectif avec lui. Alors, il trouve la liberté de lui parler. À la sortie de l’audition, il pourra raconter à son accompagnant ce qui s’est passé, mais il dira ce qu’il veut bien en dire, ce qui est très différent.

15Les enfants utilisent leurs propres mots ou ceux qui ont été employés devant eux. Quand un enfant de cinq ans affirme : “J’ai été violé”, c’est à l’enquêteur de lui demander ce que cela signifie pour lui. L’adulte (ou un autre enfant plus âgé) qui a recueilli les premières confidences a pu utiliser ce mot, l’enfant le répète car il s’aperçoit qu’il monopolise ainsi l’attention. Aussi l’enquêteur ne doit-il pas s’enfermer derrière les termes utilisés, son objectif est différent de celui de l’enfant : “Les gendarmes recherchent des qualifications juridiques, ce qui n’est pas l’approche de l’enfant ni de sa famille. Ils doivent aller au plus près des faits. Ensuite, ils peuvent demander à l’enfant ce qu’il en pense. Il y a là deux registres qui ne doivent pas être confondus.

16Il ne faut pas omettre, à la fin de l’audition, de remercier l’enfant de son témoignage, et de lui préciser qu’il peut le compléter ou le modifier.

Vérité et mensonge

17L’enfant dit-il toujours la vérité ? Le procès d’Outreau a apporté un démenti à cette sacralisation selon laquelle “la vérité sort toujours de la bouche des enfants”, qui succédait elle-même à une absence de prise en compte d’une parole jugée si longtemps immature et irresponsable. La parole peut être à la fois un élément de preuve du fait objectif et l’expression d’une personnalité enfantine. Comment savoir ? Le recours aux experts pour s’assurer de la crédibilité de l’enfant a induit une dérive de la part des magistrats pendant de nombreuses années et jusqu’à 2005, date de la circulaire qui synthétise les résultats du groupe de travail après l’affaire d’Outreau, placé sous la direction du procureur général Vioud. Celle-ci a mis hors la loi “l’expertise de crédibilité” concernant les victimes. Les magistrats incluaient dans le libellé de la mission de l’expert la question suivante : l’enfant est-il crédible ou non ? C’était poser d’entrée une suspicion sur le témoignage. En cas de réponse négative, le magistrat pouvait stopper l’action de la justice. Or, précise Colette Clément Barthez, “c’est faire du témoignage de l’enfant le pivot de l’enquête, alors que ce témoignage est un des éléments de l’enquête parmi d’autres. Il faut distinguer les faits de la manière dont l’enfant a vécu, ressenti et dit les choses. L’impact traumatique chez l’enfant n’a rien à voir avec la qualification juridique et la gravité des actes”.

18L’audition n’est qu’un moment dans la procédure qui comporte également un examen médical, des actes d’enquête, des vérifications, des perquisitions, un transport sur les lieux, les recueils d’éléments de preuve et l’interrogatoire de l’auteur. Dans les faits, cet enregistrement est encore relativement peu utilisé. C’est une pièce de procédure où l’enfant témoigne de sa réalité complexe. Celui-ci peut être, par exemple, tenté d’adopter la position de victime pour monopoliser l’attention des adultes et parce qu’il a besoin d’attention à ce moment-là. Alors, une mesure éducative pourra l’aider à rétablir des liens qu’il ne vivait pas comme suffisamment sécurisants.

La parole des mineurs auteurs

19Les mineurs auteurs, s’ils sont placés en garde à vue, sont entendus obligatoirement (ce n’est pas un choix pour eux) avec un système d’enregistrement Webcam sur ordinateur et CD-ROM. L’image obtenue est réduite, très différente de la mise en situation précédemment évoquée. L’objectif de cet enregistrement est de vérifier l’interaction de l’enquêteur et de l’enfant, de contrôler si les questions n’orientent pas les réponses.

20Dans le cadre de l’ordonnance de 1945, une enquête de personnalité est demandée, accompagnée de mesures du juge des enfants et du juge d’instruction afin de recueillir le maximum d’éléments sur l’enfant et le milieu familial. “Nous ne devons jamais perdre de vue qu’un mineur auteur peut être aussi victime de faits similaires. C’est parfois parce qu’il est interrogé en tant qu’auteur qu’il va révéler ce qui lui est arrivé auparavant.

21L’enfant est-il responsable de sa parole ? C’est-à-dire, jusqu’où doit-il assumer ce qu’il affirme ? Existe-t-il des sanctions ? En effet, sa responsabilité peut être engagée devant la justice, à condition qu’il ait un certain âge, une certaine maturité qui le suppose capable de discernement. Il arrive que des adolescents racontent délibérément des choses fausses. S’il est avéré que tout cela est inventé et mal intentionné avec volonté de nuire, alors l’enfant est convoqué devant le juge des enfants qui prendra les mesures adéquates : on commet une infraction en cas de déclarations mensongères à la justice. Quand une personne a été mise en cause à tort, elle peut se retourner contre le mineur en dénonciation calomnieuse si celui-ci a plus de treize ans.

Rendre visibles les règles éthiques

22Le cadre et les pratiques exposés tendent à montrer que le traitement des violences sexuelles doit être mis en œuvre selon une éthique particulière par rapport à l’enfant. “J’essaie, conclut Colette Clément Barthez, de déterminer et de rendre visibles des règles éthiques qui doivent être de mise. La loi est un cadre susceptible de limiter les risques de traumatisme supplémentaire pour l’enfant. À partir du moment où ce dernier est bien accueilli, bien examiné, bien écouté, il peut restaurer des relations de confiance avec l’adulte. Il aura peut-être moins de séquelles par la suite. Je suis très attachée à ce qu’on puisse faire un usage thérapeutique de la loi.

Français

Résumé

Après un rappel des fonctions du parquet et de la manière dont est saisi le procureur d’infractions commises sur des mineurs, le dispositif d’accueil et d’enregistrement de l’enfant victime de violences est présenté. La parole de l’enfant se situe entre la vérité des faits et l’expression de sa personnalité. La qualité de l’accueil et de l’écoute est primordiale. Les règles éthiques devront être scrupuleusement intégrées et respectées par les professionnels chargés de recueillir cette parole.

Lise Mingasson
Journaliste
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.140.0104
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