CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Qui doit s’occuper des parents âgés et comment ? Cette question est ici envisagée du point de vue des immigrés (parents et enfants) qui vivent en France. Les opinions se construisent autour de différents critères qui prennent en compte l’âge de l’enquêté, le moment de son arrivée en France, la durée de son séjour, son pays d’origine, sa religion... Au centre de la réponse se trouvent les femmes, les “aidantes”.

2Les solidarités entre générations sont largement façonnées par la culture, mais ce phénomène est difficile à saisir dans son ampleur et dans ses contenus. Les comparaisons interculturelles ne sont pas toujours suffisantes pour l’observer, les différences entre pays ayant tendance à se réduire sous l’effet de la modernité. Parallèlement à une évolution convergente au niveau international, il se produit, au sein des sociétés, une diversification des formes familiales (familles monoparentales, recomposées, homosexuelles, couples pacsés, en concubinage…). Le processus d’individualisation autant que l’hétérogénéité culturelle de la société contribuent à cette pluralité. Dans le même mouvement, les relations entre générations ont été profondément transformées, perdurant sous des formes diversifiées [1]. Le modèle d’“intimité à distance”, caractéristique de cette évolution depuis les années soixante, tend à dominer dans les sociétés de plus en plus individualistes.

3Il subsiste néanmoins des variations importantes entre pays européens. On évoque souvent l’axe Nord/Sud pour différencier les valeurs familiales, les pays du Nord étant plus individualistes et ceux du Sud plus familialistes. Cette division se vérifie particulièrement dans le cadre de la cohabitation des générations. Par ailleurs, dans les pays non européens, notamment au Maghreb ou en Asie, on observe toujours une très forte tendance des personnes âgées à cohabiter avec leurs enfants, signe de piété filiale [2].

4Dans le contexte des migrations internationales, où les différents modèles culturels sont amenés à se confronter, à s’influencer ou à se transformer, comment la responsabilité filiale est-elle perçue par les différents groupes de migrants ? Cette question sera traitée ici à partir des données de l’enquête réalisée en France, en 2003, sur le passage à la retraite et le vieillissement des immigrés (enquête PRI, voir encadré). La France accueille de longue date un nombre considérable d’immigrés venus de différentes régions d’Orient et d’Occident, du Nord et du Sud. Il est un des premiers pays d’Europe à être confronté au vieillissement des immigrés, à une échelle importante. L’enquête PRI permet entre autres de comparer les cultures familiales et les normes à l’égard des parents âgés des migrants, selon leur pays d’origine.

5L’objet de cet article est double. D’une part, mettre en évidence les différences culturelles entre les groupes de migrants concernant le sentiment de responsabilité filiale et l’entraide au sein des familles. D’autre part, examiner l’hypothèse d’une évolution de ces modèles au contact avec la culture française, et notamment avec l’État-providence. Les différences culturelles sont évaluées ici à partir des réponses à des questions d’opinion, comme cela se pratique couramment (à l’instar de l’Eurobaromètre ou bien encore des enquêtes sur les valeurs des Européens [3]). Parmi les variables liées au processus migratoire, nous retiendrons la durée de vie en France couplée à l’âge d’arrivée et à l’acquisition de la nationalité française, qui sont aussi des indicateurs du processus d’intégration à la société française [4].

6Les questions d’opinion portent sur la place et sur le devenir des personnes âgées ne parvenant plus à vivre seules et sur le rôle que doivent jouer les enfants. Ces opinions sont susceptibles de varier selon le sexe du répondant, son pays d’origine ou bien sa croyance religieuse. Mais il est probable qu’à caractéristiques d’origine équivalentes, les immigrés arrivés jeunes en France ou ceux ayant concrétisé leur volonté d’intégration par l’acquisition de la nationalité française se rapprochent de la moyenne des autochtones, affichant un plus grand individualisme qui résulte de leur acculturation à la France (ou à l’Europe). Ils manifesteraient alors une moindre propension à accueillir chez eux un parent dépendant et préféreraient pour eux-mêmes le maintien à domicile plutôt qu’un hébergement par leurs enfants.

Que faire quand son vieux parent a des difficultés à vivre seul ?

7Il existe des écarts d’opinion importants dans les réponses exprimant ce que “devraient faire” les enfants dont le père ou la mère âgé(e) éprouve des difficultés à rester vivre seul(e) à la maison. Selon les pays d’origine, ces écarts vont du simple au triple entre les personnes originaires d’Europe du Nord et continentale [5], dont moins d’une femme sur quatre accepterait l’accueil à domicile d’un parent dépendant, et celles originaires du Maroc, dont trois sur quatre y seraient favorables (voir graphique 1). Quant aux hommes, ils seraient 80 % à opter pour la cohabitation avec le parent parmi les originaires d’Afrique subsaharienne, mais 24 % seulement parmi ceux d’Europe du Nord et continentale.

Graphique 1

Proportion des hommes et des femmes qui estiment qu’un enfant devrait accueillir chez soi un parent dépendant, en fonction des pays d’origine

Graphique 1

Proportion des hommes et des femmes qui estiment qu’un enfant devrait accueillir chez soi un parent dépendant, en fonction des pays d’origine

Source : Enquête PRI, CNAV, INSEE, 2003.

8Parmi les originaires d’un pays d’Europe, l’accueil du parent âgé à domicile ne constitue pas la solution souhaitée majoritairement, à l’exception des originaires du Portugal. Et si les Espagnols et les hommes italiens y sont un peu plus favorables, les femmes italiennes ont à cet égard la même position que les Nordiques.

9Hommes et femmes ne répondent pas de façon identique : les hommes pensent un peu plus souvent qu’il revient aux enfants de prendre en charge leurs parents, surtout les Africains, les Tunisiens, les Asiatiques et les Italiens. L’écart d’opinion entre hommes et femmes tient sans doute au fait que la situation de cohabitation est ressentie de façon plus contraignante par les femmes, qui sont traditionnellement chargées de s’occuper des autres. Cet écart semble traduire aussi les dissensions entre les sexes, qui s’avèrent plus manifestes parmi les originaires d’Afrique, de Tunisie, d’Asie et d’Italie.

10Une question complémentaire demande aux enquêtés quelle solution de logement ils envisageraient “pour eux-mêmes” s’ils ne parvenaient plus à vivre seuls. La cohabitation avec un enfant apparaît alors comme une tendance moins suivie (voir graphique 2). La solution préférée est de rester chez soi et d’y recevoir des aides. Mais être logé par un enfant reste une solution projetée par une forte minorité (presque la moitié) de personnes originaires d’Afrique (du Nord et subsaharienne), du Proche et du Moyen-Orient, ainsi que d’Asie. Les immigrés d’Europe se montrent réticents à cohabiter avec un enfant et optent très majoritairement pour un maintien à domicile avec des aides. L’entrée en maison de retraite est peu retenue (7 % des souhaits en moyenne) et, quand elle est choisie, c’est principalement (sept fois sur dix) par des ressortissants européens.

Graphique 2

Souhaits en matière de lieu de vie pour soi-même en cas de dépendance, des immigrés de 45 à 70 ans selon le pays de naissance.

Graphique 2

Souhaits en matière de lieu de vie pour soi-même en cas de dépendance, des immigrés de 45 à 70 ans selon le pays de naissance.

Source : Enquête PRI, CNAV, INSEE, 2003.

11Si ces résultats confirment le sens des différences entre les cultures d’origine, ils montrent néanmoins une convergence entre elles : dès lors que les sujets sont directement impliqués, ils manifestent une moindre aspiration à la cohabitation des générations, ce qui souligne l’émergence dans tous les groupes de la tendance à préférer l’intimité à distance.

Âge des immigrés et âge à la migration, deux durées significatives

12L’âge intervient de manière significative et module les opinions exprimées. Alors qu’en moyenne, 32 % des enquêtés âgés de 45 à 49 ans souhaitent rejoindre le domicile d’un enfant en cas de situation de dépendance, cette opinion ne recueille plus que 22 % des souhaits des 65-70 ans. Ceci s’explique principalement par un effet de génération et de structure : deux immigrés sur trois de cette tranche d’âge [6] proviennent d’un pays d’Europe, pays moins fréquemment enclins à la cohabitation. Les originaires des trois pays d’Europe du Sud (Italie, Espagne et Portugal) sont plus nombreux à souhaiter être accueillis chez un enfant à 65-70 ans qu’à 45-49 ans. Les proportions passent de 10 à 16 % pour les ressortissants italiens et espagnols, et de 19 % à 23 % pour les Portugais. L’entrée en maison de retraite a également tendance à rallier plus de choix (en particulier parmi les immigrés espagnols, dont les intentions d’entrée en institution passent de 8 % à 15 %). Qu’il s’agisse d’une opinion générale ou de leur propre cas, les immigrés envisagent un peu plus souvent l’accueil chez un enfant en vieillissant, et ce, toutes origines confondues.

13L’âge d’arrivée en France donne des indications sur la durée du séjour dans le pays, et donc sur la durée d’exposition aux valeurs sociales et culturelles de la société d’accueil. Les souhaits des enquêtés en matière de lieu de vie s’ils devenaient un jour dépendants, en fonction de leur âge à la migration (voir graphique 3), soulignent l’existence d’un lien logique entre l’ancienneté de la présence en France et l’adoption de l’opinion dominante concernant la prise en charge d’un parent âgé dépendant. Les immigrés arrivés avant l’âge de 16 ans, qui ont donc effectué au moins une partie de leur parcours scolaire en France, sont ceux qui optent le moins pour vivre avec un enfant en cas de dépendance (12 %). Cette proportion augmente régulièrement, atteignant 29 % de ceux qui ont migré entre 16 et 24 ans, et 34 % entre 25 et 39 ans. Largement corrélées aux pays et aux cultures d’origine, les opinions réagissent au contact de la société française, en tendant progressivement vers les valeurs de l’expression générale. Le système de protection sociale français et la panoplie des mesures d’aide disponibles favorisant le maintien à domicile ont sans nul doute une forte influence, particulièrement sur les personnes venant de pays dépourvus d’État-providence.

Graphique 3

Souhaits en matière de lieu de vie et en cas de dépendance des immigrés de 45 à 70 ans, selon leur âge d’arrivée en France

Graphique 3

Souhaits en matière de lieu de vie et en cas de dépendance des immigrés de 45 à 70 ans, selon leur âge d’arrivée en France

Source : Enquête PRI, CNAV, INSEE, 2003.

14Les souhaits émis par les personnes ayant migré tardivement, après l’âge de 40 ans, diffèrent de ceux des immigrés de longue date. Il faut se pencher sur la structure de ce groupe de migrants pour comprendre ce résultat : ils comptent parmi eux de nombreux ressortissants d’Europe du Nord et continentale (30 %, contre 8 % de l’effectif total en moyenne), c’est-à-dire des personnes qui se prononcent pour l’essentiel en faveur d’un maintien à domicile avec des aides. Ils sont venus en France dans le cadre de leur travail (mutations, migrations d’affaires, possibilités de carrière) ou bien pour y passer leur retraite, en privilégiant un cadre de vie agréable. Les autres migrations tardives proviennent essentiellement du regroupement familial de parents de migrants déjà installés en France.

La force de la religion

15Les musulmans et les bouddhistes sont ceux qui manifestent le plus massivement le choix de prendre leurs parents avec eux à domicile (voir graphique 4), tant la tradition de piété filiale est forte parmi eux. Ce sont surtout les personnes qui se déclarent de religion protestante (64 %) ou juive (62 %), ou encore sans religion (60 %), qui estiment le plus souvent qu’il faut chercher une alternative à la cohabitation avec un parent dépendant.

Graphique 4

Part des personnes qui considèrent qu’il est un devoir pour un enfant d’accueillir un parent âgé dépendant, selon la religion déclarée

Graphique 4

Part des personnes qui considèrent qu’il est un devoir pour un enfant d’accueillir un parent âgé dépendant, selon la religion déclarée

Source : Enquête PRI, CNAV, INSEE, 2003.

16Lorsque l’on pose la question de leur situation personnelle, la hiérarchie des réponses par religion ne change pas. Les musulmans sont toujours les plus favorables à la cohabitation avec un enfant (près de 50 % des cas), les protestants (12 %) et les juifs (16 %) étant les moins disposés à aller vivre chez un enfant.

17Si l’on considère uniquement les musulmans, on constate que le processus d’acculturation (arrivée jeune en France et acquisition de la nationalité française) n’a qu’une faible incidence sur les souhaits en cas de dépendance, le choix de la cohabitation avec un enfant ne diminuant que légèrement. Parmi ceux qui sont arrivés en France avant l’âge de 16 ans, les musulmans sont toujours ceux qui s’expriment le plus volontiers en faveur d’une cohabitation avec un enfant : 30 % disent préférer aller habiter chez un enfant lorsqu’ils ne pourront plus vivre seuls (contre 12 % en moyenne parmi l’ensemble des immigrés arrivés avant 16 ans). Aux âges plus élevés, les écarts se maintiennent : 46 % de ceux qui sont arrivés entre 16 et 24 ans en France et 55 % de ceux qui sont arrivés entre 25 et 39 ans souhaiteraient habiter avec un enfant lorsque leur état de santé ne leur permettra plus de vivre seul (les moyennes pour l’ensemble des immigrés sont respectivement de 29 % et 34 %). Parmi les musulmans qui ont acquis la nationalité française, les prétendants à la cohabitation sont également moins nombreux (32 %, contre 48 % pour l’ensemble des musulmans).

18On trouve ici la confirmation d’une influence forte de la religion qui subsiste après contrôle des variables migratoires, en même temps qu’une légère évolution vers une plus grande individualisation avec la durée de présence en France et l’acquisition de la nationalité française.

Les filles au centre de l’entraide familiale

19La plus grande orientation vers les parents, dont témoigne une partie importante des immigrés, se traduit-elle par une plus grande fréquence des aides effectivement reçues par les personnes âgées ? Pour répondre à cette question nous examinons deux types d’aides reçues par les personnes enquêtées et leurs déterminants : les aides aux papiers administratifs et les aides domestiques à la vie quotidienne.

> Importance des aides administratives

20La proportion d’immigrés recevant une aide pour dé-mêler les questions administratives est élevée : 41,5 % de l’ensemble et 58,5 % de ceux qui éprouvent des difficultés à lire ou à écrire le français (voir tableau 1). Ce sont évidemment ces derniers qui sollicitent le plus souvent l’aide d’un membre de leur entourage (plus particulièrement d’un enfant). Les femmes sont davantage demandeuses d’une aide administrative que les hommes (une femme sur deux est dans ce cas, contre un peu plus d’un homme sur trois). Ce sont aussi elles qui aident plus que les hommes.

Tableau 1

Hommes et femmes immigrés bénéficiant d’une aide administrative

Tableau 1
% Femmes Hommes Ensemble Lit ou écrit mal le français 66,1 51,7 58,5 Tous immigrés 48,0 35,9 41,5 Source : Enquête PRI, CNAV, 2003. Lecture : 66,1 % des femmes qui lisent ou écrivent mal le français bénéficient ou ont bénéficié d’une aide administrative auprès d’un membre de l’entourage.

Hommes et femmes immigrés bénéficiant d’une aide administrative

21La fréquence des aides administratives varie avec l’origine géographique : les natifs de Turquie (60,5 %), du Maroc (55,5 %), d’Algérie (50 %) et, dans une moindre mesure, du Portugal (46,9 %) sont ceux qui sollicitent le plus souvent leur entourage.

> Aides et aidants pour les tâches quotidiennes

22Près d’un quart des migrants déclare recevoir de l’aide pour l’accomplissement des tâches quotidiennes à domicile, de la part de proches, indépendamment de l’état de santé (voir tableau 2). La proportion de personnes aidées est quasiment similaire chez les femmes (24,7 %) et les hommes (24,9 %). Les aides sont sensiblement plus répandues parmi les personnes qui présentent des problèmes de santé, puisqu’elles concernent 45 % de ceux qui déclarent des maladies ou des handicaps, et environ la moitié des migrants qui souffrent d’une santé générale “médiocre” ou “très mauvaise”. Cependant, dès lors que la santé est dégradée, les femmes bénéficient plus fréquemment d’aide que les hommes, quel que soit l’indicateur de santé retenu.

Tableau 2

Les aides en temps dans les tâches quotidiennes

Tableau 2
% Femmes Hommes Ensemble Maladie ou handicap 49,3 41 45 Santé "médiocre" ou "très mauvaise" 51,9 47, 9 49,9 Ensemble 24,7 24,8 Source : enquête PRI, CNAV, 2003. Lecture : 49,3 % des femmes qui déclarent une maladie ou un handicap reçoivent des aides à domicile pour les tâches quotidiennes.

Les aides en temps dans les tâches quotidiennes

23Les “aidants” se recrutent principalement dans la fa-mille proche (voir tableau 3). Les conjoints représentent 57,1 % d’entre eux, et les enfants, 34,6 %. Parmi ces derniers, les filles accordent beaucoup plus fréquemment de l’aide que les garçons, respectivement 25,8 % et 8,8 %. L’aide provient plus rarement des autres membres de la parentèle, parents ou beaux-parents (1,4 %), frères ou sœurs (1,3 %). Au total, 93 % des personnes qui accordent des aides en temps appartiennent à la famille proche. Les personnes hors famille ne repré-sentent que 2,8 % des “aidants”. Signalons enfin que, hormis les conjoints, trois “aidants” sur quatre sont des femmes.

Tableau 3

Identité des "aidants" à domicile pour les tâches qutidiennes*

Tableau 3
% Aidants Conjoints 57,1 Filles et gendres 26,0 Fils et belles-filles 10,4 Frères ou sœurs 1,3 Autres membres de la famille ou amis 3,7 Parents ou beaux-parents 1,4 Total 100,0 Source : enquête PRI, CNAV, 2003. * Les valeurs se rapportent au nombre d’“aidants” indiqué pour chaque type d’aide, sachant qu’un enquêté peut indiquer un ou deux “aidant(s)”.

Identité des "aidants" à domicile pour les tâches qutidiennes*

L’enquête “Passage à la retraite des immigrés”

L’enquête sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés en France (PRI)[1] a été menée, en 2003, sur une population immigrée âgée de 45 à 70 ans, résidant en France, définie par le lieu de naissance (hors de France) et la nationalité de naissance (non française), ce qui n’exclut pas les Français par acquisition de la nationalité mais exclut les Français nés à l’étranger[2]. Elle avait pour objectif l’étude chez les immigrés des processus de passage de la vie active à la retraite, des projets de retraite, des parcours de vie, migratoire, professionnelle et familiale. Elle a été réalisée dans douze régions de la France métropolitaine, regroupant 90 % de la totalité de la population cible. L’échantillon final est constitué de 6 211 personnes vivant en ménage ordinaire. Les personnes immigrées vivant en foyer qui ont fait l’objet d’une enquête qualitative[3] ne font donc pas partie de l’échantillon.
En ce qui concerne l’origine des migrants, seuls les pays les plus représentés pourront faire l’objet d’une étude spécifique. C’est le cas des immigrés originaires des trois pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie et Portugal) et du nord de l’Afrique (Algérie, Maroc et Tunisie). La Turquie peut également être distinguée pour certains traitements globaux. Les autres pays sont regroupés par grandes zones géographiques. Les migrants originaires d’Europe, qui sont encore les plus nombreux dans les tranches d’âge considérées par l’enquête, seront différenciés selon qu’ils sont originaires du Nord ou des autres pays européens (majoritairement ceux de l’Est).
Notes

24C’est le besoin qui détermine le plus fortement les aides dans la vie quotidienne, qu’elles résultent d’un problème de santé ou de difficultés à lire ou à écrire le français. Il reste à savoir si, à caractéristiques personnelles et sociales égales, la culture d’origine joue un rôle dans la fréquence des aides effectivement reçues [7].

25L’état de santé général apparaît comme le principal déterminant de la réception d’aides à domicile. Le fait d’estimer son état de santé général “médiocre” ou “très mauvais” augmente très sensiblement et significativement la probabilité d’obtenir de l’aide de ses proches. La fréquence des aides est corrélée négativement avec le niveau d’éducation et le niveau de revenu. Les migrants qui vivent en couple bénéficient plus fréquemment d’une aide que les autres, ce qui est normal puisque les principaux “aidants” sont précisément les conjoints. Ni l’avancée en âge ni le statut d’activité ne paraissent exercer d’effet particulier sur la probabilité de recevoir une aide. De manière attendue, le fait d’avoir des enfants favorise les aides en temps, tout particulièrement lorsque certains enfants vivent au domicile de leurs parents. La durée de la migration réduit significativement la probabilité de recevoir une aide lorsque la durée de résidence en France excède quinze années. Ce constat peut éventuellement refléter le fait que les migrants qui sont en France depuis un certain nombre d’années sont plus susceptibles d’avoir recours à des aides extérieures (soins infirmiers à domicile, femme de ménage, etc.) que ceux qui sont arrivés plus récemment.

26Enfin, la fréquence des aides dépend de l’origine géographique des migrants, quels que soient les autres paramètres : les émigrants d’Afrique du Nord et d’Orient [8] sont ceux parmi lesquels les aides des proches sont les plus répandues.

Conclusion

27Que l’on se réfère à l’expression des attitudes ou aux aides effectivement reçues, l’entraide familiale apparaît plus marquée parmi les originaires des pays non européens et tout particulièrement ceux d’Orient et d’Afrique du Nord. La société française et son système de protection sociale exercent une influence modérée sur les immigrés eux-mêmes, dans le sens d’une plus grande aspiration à l’autonomie. Celle-ci se manifeste plus encore à l’égard de leurs enfants qu’à celui de leurs parents. On peut supposer que la distance culturelle avec leurs propres enfants y contribue. Ceux-ci, et surtout les filles, montrent cependant une forte solidarité envers leurs parents en leur apportant des aides fréquentes dans les tâches de la vie quotidienne et dans la gestion des questions administratives. Cette forte solidarité, favorisée par la composition de la famille, souvent nombreuse, ne reflète pas moins un héritage culturel valorisant le respect des aînés. ?

Notes

  • [1]
    Voir notamment Coenen-Huther et al., 1994, Attias-Donfut, 1995, Crenner, 1998, et également les travaux menés, dans les années soixante-dix, par Agnès Pitrou et Louis Roussel.
  • [2]
    T. Antonucci et J. Jackson, “Ethnic and Cultural Differences in Intergenerational Support”, in Bengtson and Lowenstein, International Perspectives on Families, Aging and Social Support, Aldine de Gruyter Publishing, 2005.
  • [3]
    Cf. notamment Inglehart, 1993.
  • [4]
    A. Mesrine et S. Thave (INSEE, 1999) et M. Tribalat (INED, 1996) ont déjà utilisé ces indicateurs pour mesurer l’intégration ou l’implantation de différents groupes immigrés en France.
  • [5]
    Dans l’enquête ces pays ont été regroupés sous le terme “UE” désignant les autres pays de l’Union européenne que ceux du Sud.
  • [6]
    Les immigrés d’origine européenne ne constituent que 42 % de la tranche d’âge des 45-49 ans.
  • [7]
    Voir à ce sujet l’article “Vieillissement et santé des migrants”, par C. Attias-Donfut et P. Tessier, Retraite et société, n° 46, 2005, p. 89-129.
  • [8]
    Sous le terme d’Orient sont regroupés les pays du Proche-Orient et la Turquie.
Français

Résumé

À partir de l’enquête sur le “Passage à la retraite des immigrés” (PRI), il s’agit de montrer les différences culturelles entre les groupes de migrants concernant la responsabilité filiale et l’entraide familiale (notamment dans les actes de la vie quotidienne), ainsi que l’impact de la culture française. Sont recueillis les points de vue des enfants accueillants et de leurs parents âgés. L’âge des immigrés, l’âge au moment de l’arrivée en France, la durée du séjour et la religion s’avèrent être les déterminants du recours à l’entraide familiale, les femmes y occupant une position centrale.

Bibliographie

  • C. Attias-Donfut (dir.), Les solidarités entre générations. Famille, vieillesse, État, Nathan, 1995.
  • J. Coenen-Huther, J. Kellerals, M. von Allmen, Les réseaux de solidarité dans la famille, Paris, Réalités sociales, 1994.
  • E. Crenner, “La parenté : un réseau de sociabilité actif mais concentré”, INSEE Première, n° 600, juillet 1998.
  • R. Inglehart, La transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées, Paris, Economica, 1993.
  • A. Pitrou, Vivre sans famille ? Les solidarités familiales dans le monde d’aujourd’hui, Toulouse, Privat, 1978.
  • L. Roussel, O. Bourguignon, “La famille après le mariage des enfants. Étude des relations entre générations”, Travaux et documents, n° 78, Paris, PUF, INED, 1976.
  • A. Mesrine, S. Thave, “Vieillir en France quand on est immigré”, in Les données sociales, la société française, INSEE, 1999, p. 28-35.
Claudine Attias-Donfut
Sociologue, directrice des recherches sur le vieillissement de la CNAV, elle est notamment l’auteur de Sociologie des générations (PUF, 1988), co-auteur de Grands-parents (O. Jacob 1998, avec M. Segalen) et Le nouvel esprit de famille (O. Jacob, 2002, avec N. Lapierre et M. Segalen). Elle a dirigé l’enquête PRI ainsi que le volume de Retraite et société (n? 44, 2005), qui en présente les premiers résultats.
Rémi Gallou
Chargé de recherche auprès de la direction des recherches sur le vieillissement à la CNAV, il a récemment publié “Le vieillissement des immigrés en France : le cas paro-xystique des résidants des foyers”, Politix, vol. 19, n? 72, 2005.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.134.0086
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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