1Les analyses de Max Weber, juriste et économiste de formation, brillent d’un éclat singulier. Qu’il s’agisse du capitalisme, des religions, de la bureaucratie ou des valeurs dans le monde moderne, la clarté et l’encyclopédisme de Weber en font toujours un contemporain dont les travaux ne cessent d’informer la pensée politique. Sociologue allemand, compté avec quelques autres comme fondateur de la discipline, il s’est intéressé aux faits et à l’action qui n’existent pas en dehors du sens que les individus leur donnent. L’objet premier de ses investigations et théorisations est l’action individuelle – toujours ancrée dans un contexte historique – qui ne devient sociale que dans la mesure où elle se rapporte aux comportements d’autrui. Appelant à comprendre, à interpréter et, au final, à expliquer, la démarche weberienne demande d’abord une “neutralité axiologique”, c’est-à-dire une neutralité de l’observateur face aux valeurs.
2Au-delà des méthodes, et de leurs querelles, Weber s’est d’abord intéressé à une spécificité occidentale : un processus général de rationalisation des actions parallèle à un désenchantement du monde débouchant sur une nouvelle éthique économique puisant ses sources dans la religion protestante. Féru d’idéaux types (ou de types idéaux) – on lui doit le succès des deux mots –, il distingue des formes typiques de rationalité ou de domination. Ces distinctions ne sont pas de petits exercices intellectuels inutiles, mais des schémas permettant de mieux comprendre – pour chacun – la vie quotidienne. Nos actions (traverser la rue, aller à la messe, participer politiquement, manger proprement, etc.) peuvent être mues par une rationalité instrumentale pure (ce sont les finalités qui nous guident), une rationalité traditionnelle (avec nos us et coutumes), une rationalité en valeur (nous voulons tous donner du sens à nos actions) ou bien encore une rationalité affective (nous pouvons agir par émotion). Parmi les premiers donc à tant s’intéresser au don du sens (ce dont on parle tant aujourd’hui…), il s’est plus spécifiquement penché sur la domination (dont les formes se retrouvent dans la famille, dans l’entreprise ou dans le métro). Cette domination peut être d’ordre charismatique (on suit la personnalité du chef), traditionnelle (on obéit à des injonctions habituelles), ou bien encore traditionnelle-légale (en bons bureaucrates nous suivons tous des ordres hiérarchiques impersonnels).
3Impossible à résumer trop abruptement – au risque de l’hérésie –, la pensée de Weber irrigue bien des fleuves intellectuels. Ses développements comme ses notations sont d’une richesse hors du commun. Il en est par exemple ainsi pour tout ce qui relève de la professionnalisation des activités. Les problèmes sociaux, et les familles, voient avec le désenchantement et la rationalisation modernes l’émergence de corps professionnels spécialisés qui interviennent là où auparavant des régulations traditionnelles n’appelaient pas de droit ni de rémunération. Il s’ensuit un mouvement continu de spécialisation et de délimitation avec des personnels, qui restent toujours des acteurs sociaux, travaillant sur une éthique de la responsabilité et/ou de la conviction. On peut, à bien des égards, tout trouver critiquable ou beaucoup critiquer chez Weber. Il n’en reste pas moins un pilier extrêmement solide pour penser, évaluer et agir dans les universités certes, mais également dans la vie de tous les jours.