1Deux siècles avant la révolution contraceptive et quelque cent ans avant les autres pays d’Europe, la limitation des naissances s’est répandue, en France, à partir de la fin du XVIIIe siècle. Le souci d’éviter les naissances non désirées semble avoir existé de tout temps et dans toutes les populations ou presque, explique le chercheur américain Etienne van de Walle [1]. L’ouvrage Maladies de femmes est un traité gynécologique du deuxième siècle de notre ère, dans lequel Soranos d’Ephèse expose les dernières connaissances en matière de prévention des naissances – à réserver aux cas où l’épouse est trop jeune et à ceux où la grossesse mettrait en danger la vie d’une femme inapte à procréer. Sceptique vis-à-vis de la magie et des amulettes, le rationnel Soranos préconise une série de méthodes contraceptives – si possible à combiner pour plus de sécurité. Afin d’empêcher la semence masculine de pénétrer dans la matrice de la femme, l’auteur recommande l’utilisation de différents produits astringents introduits par suppositoires vaginaux pour resserrer le col de l’utérus, ainsi que le retrait partiel pendant l’acte et de vigoureux mouvements tout de suite après (éternuer, se lever, marcher). Malheureusement Soranos imaginait que les femmes n’étaient plus fécondes au milieu du cycle menstruel. Il recommandait donc d’appliquer ses conseils lors de rapports sexuels survenant immédiatement après les règles, ce qui avait toutes les chances de conduire les femmes à l’échec.
2Étape suivante, donc : évacuer la semence qui a commencé à se développer, dès le mois suivant la fécondation. Sauts, mouvements brusques, secousses de chariot sont là aussi au programme, ainsi que des bains de siège ramollissants ou l’introduction de morceaux de charpie (ou pessaires) imbibés de produit ”mollifiant”, afin de relâcher les tissus pour que l’embryon puisse sortir facilement. À mi-chemin du contraceptif et de l’abortif, des médicaments sont, eux, destinés à faire revenir les règles. Néanmoins, la principale technique d’avortement précoce est la saignée. Ultime recours, enfin : en cas d’insuccès, on essaiera d’éliminer le fœtus par des suppositoires ou des potions – mais pas par l’utilisation d’objets pointus visant à le tuer en perçant la barrière amniotique.
3Les diverses prescriptions de Soranos ne pouvaient avoir qu’une efficacité limitée. Cependant, à part les premières concernées, il n’y avait pas forcément grand monde pour le regretter : la médecine grecque était plutôt soucieuse d’encourager la fécondité que de prévenir les naissances, commente Etienne van de Walle. Il est donc illusoire de croire que les Anciens avaient les moyens de maîtriser savamment leur reproduction, conclut-il : ils pratiquaient certainement davantage l’infanticide ou l’exposition d’enfants, comme en témoigne le roman grec Daphnis et Chloé, qui est à peu près contemporain du traité de Soranos.
Notes
-
[1]
”Comment prévenait-on les naissances avant la contraception moderne ?”, INED, Population et sociétés, n° 418, décembre 2005.