1En amont des questions soulevées dans ce nouveau dossier d’Informations sociales qui s’articulent autour de l’actualité de la relation entre familles et professionnels, on trouve la notion de ”parentalité”. Celle-ci souligne la responsabilité des parents et appelle à la mobilisation des professionnels à travers des dispositifs de soutien variés. En aval, et quelle que soit l’entrée (élèves, résidents, patients...), c’est toujours de la citoyenneté des personnes qu’il s’agit.
2En abordant le thème des relations entre les familles et les professionnels, Informations sociales ouvre un vaste champ qui concerne aussi bien les enfants, le père, la mère, le couple et ses recompositions que les parents âgés. Ce domaine conduit vers les institutions, vers l’école, vers la justice, vers les associations. Il inclut ce qui relève de l’éducation au sens large, mais également des aspects sanitaires et de prévention. Les métiers concernés sont très nombreux.
3Traiter de ce thème dans le cadre de la revue impliquait de repérer des problématiques transversales que l’on peut décliner selon différentes approches : le cadre général des lois, des institutions et de leurs missions ; celui des familles ; celui des équipes ou des services ; ou encore celui plus étroit mais si déterminant des individus et de leurs projets de vie. Ceci tout en tenant compte de l’interdépendance de l’ensemble des partenaires et des institutions.
4Dans ce champ de responsabilités, des termes nouveaux apparaissent comme la “parentalité”, générant de nouveaux métiers, des dispositifs d’accompagnement et de soutien des parents dans le cadre de réseaux où sont présents les acteurs institutionnels. Cette “invention lexicale” [1] découle des nouvelles configurations de la famille, et de la volonté que cette dernière puisse exercer à plein ses “responsabilités” et son “autorité”. Rappelons que ce terme a pour origine une double préoccupation née des mutations de la famille : d’une part, l’appel à la responsabilité des parents vis-à-vis de leurs enfants, même en cas de rupture du couple, et d’autre part, la volonté de répondre, à travers les dispositifs publics, à la crainte des “débordements” des jeunes mineurs.
5Le tandem familles et professionnels est complexe et paradoxal. Il se situe à l’articulation du public et du privé, du collectif et de l’individuel, du partageable et de l’intime, au cœur aussi de la subjectivité de chacun. Les fluctuations de frontières brouillent tout effort de repérage et tout essai de normativité qui se voudraient entièrement fondés sur des caractères objectifs et rationnels.
6Tentons alors d’appréhender ce qui est en jeu [2]. On assiste, depuis plus d’une vingtaine d’années, à une montée de la prise en compte des familles, à la volonté de leur donner une place dans le paysage institutionnel. En témoignent les textes législatifs qui mettent au premier plan les usagers, qui reconnaissent le sujet “citoyen” et qui exigent de considérer la famille comme un partenaire.
7Ici, nous partons du principe que la parentalité constitue également une élaboration collective permettant l’inscription active des parents dans leur environnement qui ne se réduit pas à l’espace intime du foyer. Il s’agirait de trouver des passerelles entre la vie familiale et celle du quartier, de l’école, du village, etc. Ce qui implique d’associer les parents à la construction des projets sans faire à leur place, notamment à travers les projets de crèches, de haltes-garderies, d’espaces verts, d’aires de jeu, etc.
8Bien sûr, cela n’exclut pas de prendre en compte les inquiétudes des parents concernant le parcours de vie et l’avenir de leurs enfants. À partir de l’échange de paroles, les groupes de parents acquièrent une autonomie qui se traduit en actes : tel parent devient un interlocuteur de l’enfant de l’autre parent ; tel autre est en mesure d’accompagner son voisin pour un rendez-vous avec l’instituteur. Le groupe de paroles des parents devient force de propositions pour diverses activités, rompant ainsi l’isolement de ces derniers et faisant contrepoids à leur sentiment d’impuissance. En fait, il ne s’agit pas de se focaliser sur le face-à-face parents/enfants dans une tension improductive, mais d’ouvrir cette construction collective à la recherche d’un équilibre entre l’éducation donnée aux enfants par les parents et l’implication des professionnels qui s’occupent eux aussi de ces enfants. La question est de savoir comment mettre en œuvre la responsabilité partagée entre parents et professionnels (qui ne va pas de soi) et la réciprocité dans la prise d’initiative. Quelles sont les conditions de la rencontre ? Comment chacun trouve-t-il sa place ? Changer le regard suppose de prendre conscience des images et des représentations négatives ou suspicieuses que les uns portent sur les autres ; d’identifier les stratégies des uns et des autres ; d’apprendre à gérer cette relation dissymétrique où l’un est supposé détenir le savoir et le pouvoir face à des familles en situation de fragilité ; de permettre à celles-ci d’exprimer la manière dont elles souhaitent collaborer afin de s’approprier également le projet.
9L’objectif consiste à faire de la parentalité un vecteur de la coopération entre les parents, un lieu tiers en marge des institutions animées par des professionnels, où les parents apprennent à se connaître, à dialoguer, à chercher ensemble des solutions, à s’épauler. Une des méthodes est la mise en place d’espaces et de temps où professionnels et parents puissent faire un travail en dehors de la présence des enfants, de façon à établir une distance entre le projet commun et les questions plus personnelles ; entre les problèmes que l’enfant pose par son comportement et son avenir propre. On s’ouvre pour les autres et on agit avec les autres. La reconnaissance mutuelle entre parents et professionnels est un des bienfaits qui résultent de ce processus, celui-là même qui est décrit dans les textes législatifs.
10Cependant, cette légitimité reconnue des familles continue de rencontrer des obstacles. À l’école, par exemple, nous le constatons dans ce dossier, parents et enseignants déplorent ensemble leur manque de contacts. Dans le bureau du juge, les parents ont rarement le sentiment d’être compris, même s’ils sont maintenant entendus. À l’hôpital, un diagnostic douloureux livré aux parents sans accompagnement peut être ressenti comme une violence supplémentaire. Et tel dossier administratif ou judiciaire consultable par les intéressés est rendu illisible du fait d’un langage lointain, étranger, inaccessible.
11En dépassant la plainte des parents, l’enjeu pour les professionnels est de recevoir leurs critiques sans se sentir menacés, de façon à les transformer en propositions ou en pistes de réflexion au sein d’une équipe ou d’un service afin d’améliorer le fonctionnement institutionnel. Comment développer chez les professionnels une capacité à entendre et à prendre en compte (au moins pour en discuter) ce qui leur parvient de la part des parents quant à leur pratique ? La formation a un rôle capital à jouer, non seulement en termes d’apports théoriques mais aussi sous la forme pratique de participation à des groupes de réflexion et de parole spécifiques, de dispositifs de régulation des conflits, et de temps pris pour l’évaluation. Cependant on peut repérer d’autres freins, d’ordre politique, administratif, bureaucratique et technique.
12Si les avancées existent, elles sont fragiles. Nous donnons dans ce nouveau numéro d’Informations sociales une grande place aux professionnels qui ont su analyser leur pratique, écouter les familles, créer avec elles un dispositif opérationnel. Dans ces espaces, les conditions d’un réel partenariat sont réunies : reconnaissance des compétences de l’autre, rapports d’égalité, élaboration commune du cadre et partage des décisions.
13Nos collègues québécois nous font part de leur réflexion déjà bien ancrée dans la pratique. En France, le Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) du Pas-de-Calais témoigne d’une dynamique où des partenaires institutionnels ont su engager avec les parents des actions concrètes et ciblées passant par un appel à l’implication des acteurs [3]. En ce qui concerne les personnes âgées, les familles et les directeurs d’établissement ont créé une association visant à porter des propositions à la collectivité. Dans le cadre scolaire, des exemples sont donnés d’une ouverture qui permet aux parents d’entrer dans l’école, aux enseignants de ne pas craindre cette rencontre, et aux enfants – tsiganes – de trouver des raisons d’apprendre à lire et à écrire.
14Le rapport parent/professionnel n’est pas une finalité en soi. Et si, aujourd’hui, ce champ est à ce point investi, c’est parce qu’il est porteur d’une problématique plus vaste encore : celle de l’avenir des futurs adultes et de la transmission des valeurs collectives. ?
Notes
-
[1]
Claude Martin, La parentalité en questions, perspectives sociologiques, rapport pour le Haut conseil de la population et de la famille, avril 2003.
-
[2]
Marine Boisson et Anne Verjus, “La parentalité, une action de citoyenneté, synthèse des travaux récents sur le lien familial et la fonction parentale (1993-2004)”, CNAF, Dossier d’études, n° 62, novembre 2004.
-
[3]
Fabienne Barthélémy, Benoît Bastard, Laura Cardia-Vonèche, “Peut-on décréter le partenariat entre les institutions en charge de la famille ? L’exemple des RAPP”, Recherches familiales, n° 1, 2004. En ligne