CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les uns se plaignent de ne pas les rencontrer, les autres de ne pas être reçus... La liste des insatisfactions, des méfiances et des incompréhensions entre parents et enseignants perdure. Pourtant, il est possible de surmonter les peurs, au plus grand bénéfice des élèves. Témoignage et analyse d’un enseignant directeur d’école.

2La nécessité d’établir et d’entretenir des relations suivies entre parents et enseignants fait aujourd’hui largement consensus. Pourtant, les enseignants se plaignent de voir peu les parents et sont demandeurs de rencontres, y compris au collège. Et de leur côté, les fédérations de parents d’élèves dénoncent la pauvreté de la communication et la non-prise en compte des parents dans le fonctionnement quotidien de l’école. Par exemple, la nouvelle loi d’orientation sur l’école du 23 avril 2005 revoit à la baisse la participation statutaire des parents délégués élus au sein des conseils de discipline, ou dans le cadre de la création des EPLE (Établissements publics locaux d’enseignement pouvant concerner un groupement d’écoles). D’autres exemples ne manqueraient pas pour illustrer le piétinement des relations entre les parents et l’école. Qu’est par exemple devenue la maigre “Semaine des parents à l’école”, mise en place en grande pompe par Ségolène Royal, en 1999 ?

3Mais parlent-ils de la même chose, ces parents et ces enseignants, quand ils déplorent ensemble leur manque de contacts dans un troublant accord ? Rien n’est moins sûr. À partir de mon expérience d’enseignant et de directeur dans deux départements et de nombreux établissements, je propose d’analyser ici des pratiques qui me semblent refléter une tendance forte dans les établissements d’enseignement. Deux logiques se croisent sans se rencontrer : celle des enseignants et celle des parents.

La relation vue par les enseignants

4Que souhaitent les enseignants ? Au-delà des questions pratiques pour lesquelles ceux-ci communiquent avec la famille (les goûters, les devoirs, l’inscription à la cantine…), les enseignants sont demandeurs de relations suivies relatives au travail scolaire avec les parents des enfants dont ils ont la charge. Mais qu’attendent-ils de cette rencontre ? Voici quelques traits communs repérables :

  • les enseignants souhaitent avant tout rencontrer les parents d’enfants en difficulté ; pour ceux qui travaillent bien, ces relations ne leur semblent pas nécessaires, faute de temps. D’une façon générale, une majorité d’enseignants jugent inutile la présence des parents dans l’école, et considèrent cette présence, le plus souvent, comme intrusive ;
  • l’initiative des rencontres est presque toujours prise par les enseignants ; s’il arrive en effet aux parents inquiets de demander un rendez-vous, leur demande n’est pas considérée comme prioritaire par les enseignants. D’ailleurs, le vocabulaire est significatif : les enseignants “convoquent”, les parents, quant à eux, “sollicitent” un rendez-vous ;
  • dans l’esprit des enseignants, rencontrer les parents des élèves en difficulté serait nécessaire pour rétablir une forme de “vérité” concernant le comportement de l’enfant. Il semble aux enseignants que les parents se nourrissent d’illusions à ce propos. Ceux-ci ne seraient pas suffisamment réceptifs aux avertissements concernant le travail scolaire ou l’attitude des enfants dans la classe. Ils ne seraient pas assez vigilants. Ce n’est que secondairement qu’est avancé l’objectif d’une amélioration du travail de l’enfant en établissant un suivi avec les parents ;
  • l’objectif essentiel est donc de prévenir le parent, comme cela se pratique souvent en fin d’année scolaire (“Votre enfant passe, mais vous devez savoir qu’il n’a pas le niveau”, etc.), et une seule rencontre suffit alors à l’enseignant. En revanche, si l’enfant manifeste des difficultés raisonnables ou perturbe les cours, l’enseignant propose en général aux parents un suivi ou des rencontres régulières. Il espère provoquer un contrôle parental renforcé entre les rencontres. D’une certaine façon, on pourrait dire que le suivi des relations enseignants/parents consiste souvent en un contrôle enseignant du contrôle parental ;
  • les enseignants préfèrent les rencontres individuelles, le groupe de parents apparaissant menaçant. Bien souvent, ce rendez-vous [1] se joue dans une organisation collective : matinées banalisées pour remettre les bulletins, entretiens à la file, à l’issue des réunions de début d’année [2]. La confidentialité de ces rencontres est alors souvent négligée : on voit des parents se présenter au bureau des professeurs, les uns derrière les autres, laissant, comme au guichet des banques, un “espace de courtoisie”. Plus fréquemment, la file d’attente se tient dans le couloir, et l’entretien dans une salle de classe qui laisse en général filtrer les conversations. Cette organisation témoigne également de la peur des enseignants qui évitent toujours de recevoir les parents “sans témoins”, mais sans mesurer que ces précautions jouent un rôle non négligeable dans la difficulté des relations.
Bien entendu, l’exposé des pratiques esquissées ci-dessus pourrait sembler caricatural si l’on ne mentionnait les nombreuses exceptions émanant de personnes ou d’équipes mobilisées sur le thème des relations avec les familles. Pour autant, ces pratiques pleines de réticence sont connues de tous, et nombre de parents d’élèves peuvent attester de leur fréquence. Comment expliquer cette constante dans le comportement des enseignants ? Ce n’est bien souvent qu’un effet de leur travail solitaire. D’une part, ils envisagent les relations avec les parents sous l’angle d’un certain utilitarisme (“Comment ces relations vont-elles m’aider dans mon travail d’enseignant ?”) ; et, d’autre part, ils craignent d’être l’objet de plaintes, voire de représailles, au moment des passages dans la classe supérieure et lors de sanctions. Avoir suffisamment prévenu les parents est censé éviter qu’ils soient amenés à demander des comptes à l’institution scolaire en cas d’échec de l’enfant.

La relation vue par les parents

5Contrairement à ce que croient beaucoup d’enseignants, la demande de participation des parents à l’école ne se focalise pas nécessairement sur la réussite scolaire de leurs enfants (sauf exception), ou du moins pas directement. L’attente des parents concernant la réussite de leur enfant à l’école est, selon mon expérience, généralement modeste et apaisée ; fort peu cherchent absolument à ce que celui-ci soit “dans les premiers”, selon une terminologie dont le caractère vieillot dénote l’anachronisme. En réalité, la plupart des parents attendent une réussite moyenne, c’est-à-dire une réussite suffisante pour pouvoir continuer d’étudier. De fait, la présence des parents à l’extérieur de l’école (à défaut d’être admise à l’intérieur) n’a pas pour objectif d’influencer les résultats actuels de l’enfant mais de favoriser la bonne intégration de celui-ci à l’école.

6Car l’école est très importante pour les parents, et ce, bien au-delà de l’attente des résultats et des performances. Si les préoccupations des enseignants sont souvent limitées aux apprentissages en cours, pour de nombreux parents, l’école est parfois la dernière institution qui leur permette de se présenter comme citoyens. Dans de nombreux quartiers, l’école est l’ultime point de vie qui provoque ou entretient des rencontres quotidiennes entre les gens, au moins sur son seuil. Cela est évidemment plus visible dans les écoles maternelles, mais peut l’être tout autant dans les écoles élémentaires qui ont choisi de travailler avec les parents, comme en témoigne, par exemple, le succès de la quasi-totalité des expériences de relations parents/enseignants financées et examinées par la Fondation de France, entre les années 2000 et 2004 [3].

7Or ces rassemblements de parents à l’entrée des écoles sont souvent mal vus des enseignants. À ce propos, on parle fréquemment dans les salles des maîtres de “radio-trottoir”. Une chose est sûre, la présence massive des parents à la sortie des écoles inquiète tout autant les enseignants que leur dramatique absence.

8Pourtant, les parents, si on les y autorise, trouvent facilement une place dans les écoles, ne serait-ce que pour compenser le désinvestissement des moyens publics, comme après la disparition des aides éducateurs. Leur participation fait aussi consensus à l’occasion des traditionnelles fêtes, où ils sont invités à venir acheter les gâteaux qu’ils ont préalablement composés. Or, malgré, leur caractère un peu artificiel et si limité, ces rares occasions d’ouverture de l’école connaissent en général un franc succès. Cette entrée des parents dans l’école joue un rôle social et éducatif bien plus important que le renflouement des caisses de la coopérative ou les notes des enfants : les parents témoignent ainsi de leur attachement à une institution dans laquelle ils ont foi et qui génère des relations sociales, aujourd’hui de plus en plus rares.

9Les écoles et les équipes qui ont fait l’expérience de l’ouverture aux parents découvrent souvent avec étonnement que cette présence parentale, contrairement à ce qui était craint, est rarement intrusive ; plus encore, quand les parents sont très présents dans les écoles, il semble s’exercer entre eux une forme de limitation spontanée à la tendance supposée naturelle de se préoccuper avant tout de son seul enfant. On rencontre dans les écoles ouvertes des parents engagés dans de multiples accompagnements et co-animation d’ateliers (en lien avec l’enseignant) en dehors de la classe de leur enfant. Cela ne pose pas de problème et semble d’ailleurs convenir davantage à leurs enfants qui, s’ils se sentent valorisés de la présence de leurs parents à l’école, ne souhaitent pas que cette présence se mue en surveillance, dans le domaine de leur vie sociale.

10Ces parents qui peuvent ainsi participer à la vie de l’école regroupent une fraction d’entre eux, ceux capables de se mouvoir avec aisance dans l’institution ; toutefois, cette présence même limitée occupe la place du tiers dans le face-à-face parents/enseignants. À ce groupe actif, et avec le temps, peuvent venir se joindre certains parents beaucoup plus réservés, qui ne se seraient jamais aventurés dans l’école s’il n’y avait pas eu, pour les y encourager, ce “collectif tiers”.

11Par ailleurs, cette présence fréquente des parents dans l’école est à même de constituer un “esprit d’école”, au-delà des différences de pratiques et de personnalités entre les enseignants eux-mêmes. L’école semble acquérir une épaisseur en tant que telle au moment où les enfants et les parents commencent à être considérés avant tout comme étant “de l’école”. Sans développer davantage, on peut aisément admettre que c’est justement ce sentiment d’appartenance à une école plutôt qu’à une classe ou à une situation de face-à-face avec un enseignant isolé qui est à même de faciliter le suivi et la connaissance des enfants tout au long du cursus, avec des bénéfices éducatifs évidents.

12Comment expliquer alors, si cette présence des parents à l’école est tellement salutaire, qu’elle soit quasi unanimement rejetée par les établissements scolaires et découragée par l’administration ? Difficile de comprendre autant de résistances sans interroger évidemment la formation des enseignants, qui fait une impasse complète sur les questions de relations et de communication. Le rapport aux familles y est toujours envisagé d’un point de vue procédurier, voire sécuritaire, où ne sont avancées que des mises en garde, des attitudes de refus, de repli et de réserve.

13Pourquoi l’administration multiplie-t-elle les obstacles réglementaires [4] à cette présence des parents à l’école ? Il faudrait normalement remplir longtemps à l’avance des formulaires d’autorisations obligatoires avant que tout parent puisse faire quoi que ce soit dans l’enceinte de l’établissement scolaire. Les plans Vigie-pirate à l’entrée des écoles ont largement contribué à agrandir ce fossé de communication entre parents et enseignants [5].

14Pourquoi chaque échelon hiérarchique ne manifeste-t-il son existence qu’en multipliant les interdictions et les empêchements, en allant souvent plus loin encore que les textes ne le prévoient ? Certains directeurs d’école interdisent aux parents d’apporter à l’école des gâteaux faits à la maison sous couvert de principes de précaution alimentaire, ce qu’aucun texte, pourtant, n’a encore imposé.

15Les sorties scolaires sont globalement en diminution, tant en nombre qu’en durée. Les pratiques sportives elles-mêmes souffrent à l’école d’une multiplication d’obstacles et de précautions qui aboutissent à l’abandon de toute spontanéité et créativité en la matière. La pratique du roller est ainsi tellement encadrée qu’elle est quasiment devenue impossible en milieu défavorisé. Que dire alors du cyclotourisme, qui représentait une pratique fréquente des années soixante-dix ?

Quelques pistes…

16La méfiance et l’incompréhension vis-à-vis des parents, pour asymétriques qu’elles soient encore (pour combien de temps ?), risquent d’avoir de beaux jours devant elles. Et il est difficile de croire que les programmes de “réussite éducative” prévus par le plan Borloo viennent y changer quelque chose. La logique reste en effet la même : des parents d’enfants repérés en difficulté seront sollicités de plus en plus tôt, en dehors même de l’école. Encore une fois, il s’agit de séparer, de distinguer, au risque de stigmatiser, alors qu’il faudrait agir sur une réalité globale qui est le défaut de participation et le manque de prise en compte de la parole des parents à l’école. Dans cette affaire, il conviendrait de faire valoir cette vérité souvent occultée que les parents attendent de l’école d’abord de pouvoir être reçus et considérés comme des citoyens actifs et compétents. Or l’école ne propose que de les renvoyer d’autant plus durement au seul statut de parent, alors que celui-ci pose problème.

17Dans l’école dont je suis le directeur – une école élémentaire de la banlieue sud de Paris, associée à un collège REP (appartenant à un Réseau d’éducation prioritaire) et recevant 200 élèves –, les relations enseignants/parents ont pu, en quelques années, évoluer et s’apaiser, à partir de quelques actions simples. Tout en ménageant la crainte des enseignants de voir les parents interférer dans leur travail pédagogique, il est apparu possible de développer dans l’enceinte scolaire de nombreux moments de convivialité entre enfants, parents et enseignants. Les occasions se sont multipliées, allant des expositions ou “rallyes lecture” préparés par les enfants, à des brocantes de jouets des enfants, en passant par de nombreux pots, préparations de carnaval, etc.

18En deux ans, la gestion de ces événements a pu être prise en charge par une association d’école qui réunit paritairement les enfants, les enseignants et les parents. Les parents se sont montrés extrêmement participants et créatifs, au point que leur image s’en est trouvée modifiée auprès des enseignants. Une plus grande tolérance de ces derniers vis-à-vis des petits manquements parentaux de la vie quotidienne peut se développer quand l’image des parents ne dépend plus de ces micro-événements mais se trouve singulièrement enrichie par la démonstration de leurs talents et de leur générosité vis-à-vis de la collectivité entière.

19Paradoxalement, les enseignants a priori les plus hostiles à la communication avec les familles ont sans doute été les premiers bénéficiaires de ces avancées, sans que cela soit voulu. En participant à la vie de l’école, les parents ont, semble-t-il, développé collectivement une sorte d’autocensure, bien plus efficace que quand ils étaient retenus derrière la grille, vis-à-vis de tout jugement porté sur les “particularités” de tel ou tel enseignant. Mais quoi d’étonnant ? On sait, depuis Freud, que ce que l’on refoule fait plus de bruit que ce que l’on intègre. ?

Notes

  • [1]
    Quand les rendez-vous avec les familles sont organisés collectivement, le temps imparti à chaque entretien est souvent limité à 10-15 minutes. Si on tient compte du temps d’installation et de présentation, on voit qu’un tel planning ne permet pas vraiment le dialogue ; seul paraît être pris en compte le temps nécessaire pour l’enseignant de faire un exposé de la situation.
  • [2]
    Les réunions de début d’année, par leur fréquence, constituent une exception importante au primat de la réception individuelle des parents. Moins redoutées en raison de leur position dans le calendrier scolaire, ces réunions consistent souvent en un monologue de l’enseignant, suivi d’une série de questions/réponses, les parents assis sur les pupitres des élèves levant le doigt pour demander la parole. Il n’y a donc pas beaucoup de dépaysement par rapport au vécu de la classe. Par ailleurs, les enseignants ont très majoritairement observé que ces réunions de début d’année étaient fructueuses car elles réduisent considérablement le nombre de demandes de rendez-vous par la suite, et particulièrement celles, généralement peu appréciées, des parents qui demandent des éclaircissements sur les méthodes employées. Pour mieux comprendre le phénomène, il pourrait être intéressant de le renverser : combien existe-t-il dans les écoles de réunions de parents de fin d’année pour faire le point collectivement sur l’année écoulée ? Fort peu, car leur contenu et leur déroulement seraient tout autres, évidemment.
  • [3]
    Pour consulter la présentation synthétique des expériences que la Fondation de France a connues dans le cadre de son programme “Prix école coopération parents/enseignants”, voir le site : wwww. fdf. org
  • [4]
    Ceux-ci sont en effet très nombreux, dans la ligne des directives données par S. Royal, alors ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire et de la Famille (directives datées du 16 mars 1999 qui portaient sur le renforcement des mesures de sécurité des transports en car).
  • [5]
    Si les grilles fermées de 1,20 mètres de haut peuvent malheureusement faire preuve d’une contre-productivité redoutable en renvoyant un enfant retardataire seul chez lui, elles ne constitueraient, on s’en doute, qu’une faible protection face à des terroristes déterminés.
Français

Résumé

Les enseignants sont demandeurs de relations avec les parents, bien qu’ils les craignent. Les parents n’osent pas toujours être présents mais quand ils y sont préparés et que les portes s’ouvrent, c’est toute l’école qui en bénéficie. L’auteur analyse de manière concrète les stratégies d’évitement des uns et des autres, et aussi les résultats positifs quand l’institution s’implique.

Laurent Ott
Éducateur, enseignant, formateur, docteur en philosophie, il est auteur de Travailler avec les familles (Érès, 2004) et de Les enfants seuls (Dunod, 2003).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.133.0058
Pour citer cet article
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