1Au Québec, un réseau de recherche sur la famille a mis au point un processus pour parvenir à faire passer dans la réalité le ”partenariat” entre familles et professionnels, référence obligée des politiques publiques. Comment gérer les relations de pouvoir ? Comment communiquer ? Comment établir et maintenir une relation de confiance ? Comment s’appuyer sur les compétences de l’autre ? Propositions.
2Le terme partenariat est porteur d’une diversité de représentations individuelles ; il est chargé de théories implicites aussi différentes les unes que les autres. C’est pour cela qu’il importe, dans un premier temps, d’apporter des précisions en présentant une définition du partenariat ainsi que des approches théoriques qui précisent son contenu. Autrement dit, il faudrait tenter de clarifier la nature des enjeux de communication entre les familles et les professionnels et présenter un exemple qui éclaire ce qu’est la relation de partenariat au niveau professionnel et institutionnel.
3L’usage de ce terme de partenariat est dominé par un flou artistique. Comment alors en donner une définition cohérente ? Les éléments significatifs à retenir sont essentiellement ceux qui mettent l’accent sur la prise de décision, dans les domaines de la résolution des problèmes d’éducation ou de réadaptation. Le partenariat exige dès lors la reconnaissance des compétences de l’autre, vise le rapport d’égalité et repose sur le partage de décisions. Il s’accompagne d’actions de coopération, ainsi que d’opérations favorisant l’exercice du consensus dans nombre d’applications pratiques. La coopération se découvre plutôt via le partage des rôles et des tâches (Bouchard et al., 1998).
Le partenariat comme valeur de société
4Pour comprendre les systèmes de valeurs, d’attitudes et de croyances qui sous-tendent les interventions tant des parents que des professionnels, trois modèles éducatifs (Bouchard, 1991) peuvent aider à expliciter le contenu, en définissant les comportements des parents et des professionnels de différents secteurs d’activités (éducation, santé et affaires sociales) : le modèle rationnel, le modèle humaniste et le modèle “symbio-synergique”. Le modèle rationnel se caractérise par le fait que l’acteur principal, le professionnel ou le parent, dispose d’une expertise et gère un pouvoir. Comme ce pouvoir provient de son domaine de formation, de son ordre professionnel, de ses exigences de soumission ou de l’autorité familiale, il s’agit d’une gestion hiérarchique caractérisée par des décisions imposées et par une communication de nature pyramidale.
5Le modèle humaniste montre plutôt le parent ou le professionnel comme un guide qui conseille en laissant l’autre décider des choix et des décisions à prendre. Il se rapproche davantage de l’autogestion du pouvoir. Ce modèle fait intervenir des théories comme celles de Rogers (1961), pour insister sur l’idée d’être bien dans sa peau comme un des objectifs importants du développement de la personne et de l’intervention professionnelle.
6Le modèle “symbio-synergique” s’appuie sur une perspective de cogestion du pouvoir où parent et professionnel sont partenaires dans les activités qui les concernent. Il implique donc la mise en commun des ressources et des savoir-faire des deux parties. Il s’agit de favoriser le développement de chacun en interdépendance avec les autres et de développer un mieux-vivre ensemble. Selon les contextes, le professionnel est appelé à considérer le parent comme un partenaire, comme son égal et comme un acteur important dans le partage des décisions. Il reconnaît que le contact avec le parent est rentable, productif et enrichissant du point de vue des savoirs.
7Il faudrait pourtant apporter une nuance importante. Le modèle “symbio-synergique”, qui promeut le partenariat, n’est pas la panacée, mais plutôt un des moyens d’aider la famille et ses membres à acquérir une plus grande autonomie dans la gestion du développement. Dans l’évolution de l’intervention à partir de la demande d’aide initiale, le professionnel est appelé à utiliser différents modèles pour répondre le mieux aux situations critiques, marquées par l’attente de solutions de la part des parents. L’intervenant doit d’abord faire face à ces attentes en démontrant sa qualité d’expert. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il peut amorcer un apprentissage réciproque vers des pratiques de partenariat en valorisant les savoirs et les compétences des parents et en impliquant ces derniers dans la prise de décision, voire dans le partage des tâches et des responsabilités. Dans un troisième temps, il peut assumer le rôle de guide en laissant les parents prendre leurs propres décisions, dans un contexte de plus grande autonomie. Il apportera de l’information et des réponses à leurs questions.
8Ainsi, sous l’angle d’une pédagogie sociale, les trois modèles ci-dessus s’avèrent complémentaires. C’est le contexte d’usage qui définit leur pertinence dans les relations entre professionnels et familles, compte tenu des attentes exprimées par les parents.
Pédagogie sociale de l’intervention
9Le concept de partenariat réfère à l’actualisation des ressources et des compétences de chacun. Cet objectif recourt aux principes de complémentarité et de réciprocité dans l’apprentissage et dans le partage des ressources des différents acteurs (y compris ceux venant des familles). La majorité des travaux canadiens et américains justifient le concept de partenariat en invoquant un choix terminologique en rapport avec les questions de l’autodétermination et de l’appropriation dans le soutien aux familles.
10Aussi, l’autodétermination des familles dans la prise en charge et le soutien correspond-elle autant à l’habileté de se rendre capable (Dunst, Trivette et Deal, 1988) qu’à celle d’assumer la responsabilité de décider, de préciser ses besoins, ses objectifs ou son rôle. Les familles doivent être en mesure d’indiquer la façon dont elles entendent collaborer au développement de leurs membres concernés.
11Quant à l’appropriation (empowerment) (Dunst, Trivette et Deal, 1988), elle renvoie à l’acquisition du sentiment de compétence et de confiance en ses ressources. Cette acquisition s’avère nécessaire afin de faire participer adéquatement la famille au soutien de son proche, de coopérer avec les services professionnels et de devenir partenaire des différents intervenants professionnels.
12Si les principes de l’autodétermination et de l’appropriation expliquent bien les effets de réciprocité du partenariat pour chaque acteur ainsi que le modèle éducatif sous-jacent, leur adaptation aux contextes de l’intervention appelle quelques nuances.
Le partenariat, un passage obligé
13Ces dernières années, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, les législateurs prônent, dans leurs politiques publiques, le partenariat comme modèle en vue d’une meilleure qualité d’intervention dans les communications des professionnels avec les familles. Les établissements de services ont répondu à cette volonté de l’État en inscrivant dans leurs politiques institutionnelles cet objectif d’améliorer des relations de partenariat entre les professionnels et les familles. Notons que ces politiques restent de l’ordre de l’intention et qu’elles ne prédisent ni ne décrivent les pratiques. Ainsi, les études sur la communication entre les parents et les professionnels (Bouchard et al.,1998 ; Kalubi et al., 2003) démontrent que la relation de confiance demeurera longtemps un enjeu important pour chaque partie, vu le degré de compétition qui s’instaure petit à petit. Les uns et les autres craignent souvent d’être perçus comme incompétents dans leur rôle respectif. Chacun essaie le plus possible d’éviter de probables situations de confrontation. Dans cette opération, les fonctions des professionnels les placent dans un rôle paradoxal centré sur la défense de leurs prérogatives. De nombreuses études rappellent en effet que les rencontres entre parents et professionnels sont souvent influencées par plusieurs facteurs d’ordre informel, identifiés comme des non-dits, des jeux de coulisses, des implicites, des restrictions, etc. Il apparaît donc nécessaire de comprendre les différentes stratégies au cœur de l’alternance entre les manœuvres d’imposition et les jeux de résistance passive, de connivences et d’oppositions. Les aller et retour entre les intentions et les actions y prennent beaucoup de place.
14Même si chaque acteur semble rester sur des positions fragiles, tout en adoptant des attitudes qui permettent d’éviter des confrontations, les intervenants se retrouvent souvent dans une position de force grâce à diverses stratégies de gestion de pouvoir (le pouvoir de décider). On constate de plus en plus que nombre de parents ne s’impliquent pas dans des processus ad hoc. Certains évitent autant qu’ils peuvent les rencontres, surtout lorsque celles-ci ressemblent à un dialogue de sourds entre, d’un côté, des professionnels qui veulent faire passer leur message et, de l’autre, des parents qui souhaitent expliquer leur contexte de vie familiale, les besoins de leur enfant, leurs attentes, leurs ressources et leur vision de l’avenir. Ces difficultés de communication auraient, entre autres, des conséquences multiples sur l’épuisement des professionnels et des familles.
15Ainsi, il faut le reconnaître, les pratiques de partenariat ne vont pas de soi, même si des expériences très intéressantes sont mises en œuvre dans bien des milieux d’intervention et de formation. Est présentée dans la prochaine partie une expérience où les stratégies visent à développer le partenariat entre parents et professionnels dans le cadre de la gestion d’un établissement de services.
Stratégies institutionnelles favorisant le partenariat
16Les membres du Groupe inter-réseaux de recherche sur l’adaptation de la famille et de son environnement (GIRAFE) travaillent depuis plus de douze ans avec le centre de réadaptation Le Bouclier. Ce dernier place, dans ses politiques et dans ses pratiques de réadaptation, la personne et sa famille au cœur de l’intervention. Pour ce faire, les membres du conseil d’administration, les cadres et les professionnels se sont entendus sur une définition du processus de réadaptation qui répond à cet objectif de partenariat avec la personne et sa famille : “La réadaptation est, pour la personne ayant une déficience et des incapacités, pour la famille ou pour ses proches, un processus d’apprentissage et d’appropriation (empowerment) qui vise, au cours d’un projet de réadaptation, la réalisation des habitudes de vie de cette personne en vue d’une participation sociale optimale. Ce processus s’inscrit dans l’actualisation des projets de vie de la personne ayant des incapacités, de sa famille et de ses proches” (Le Bouclier, 2004).
17Pour réaliser ces objectifs, cet établissement a développé un document de référence servant à l’élaboration des plans d’intervention individualisés. Il présente, dans une première partie, le cadre conceptuel et les composantes principales (chapitres 1 et 2) ; une seconde partie consiste en un guide pratique (chapitres 3 et 4) (Le Bouclier, 2004). Le contenu de ce document a aussi été validé par les membres du conseil d’administration, par les cadres et par le personnel. Une stratégie de formation et de suivi, acceptée par tous, a été élaborée pour seconder le personnel dans cet objectif qui tient à placer la personne et sa famille au centre de l’intervention.
18Le processus de réadaptation s’inscrit dans la pédagogie sociale de l’intervention, où les relations entre les parents et les intervenants se développent par le co-apprentissage, l’apprentissage dans la réciprocité et l’interdisciplinarité.
19Si nous avons présenté, à titre d’exemple, la démarche institutionnelle de ce centre, c’est pour rappeler que, en ce qui concerne le partenariat, les volontés politiques des décideurs institutionnels tombent très souvent dans l’oubli parce qu’il n’y a ni cadre conceptuel précis ni stratégies de formation et de suivi. La pédagogie sociale de l’intervention exige une démarche institutionnelle collective pour arriver à placer la personne et sa famille au centre du processus.
En conclusion…
20Retenons qu’un programme qui apporte du soutien aux parents en vue d’une appropriation de savoirs et de savoir-faire doit absolument être accompagné d’un autre soutien institutionnel en direction des professionnels, sans quoi son efficacité se voit grandement compromise. En effet, les professionnels doivent eux aussi se sentir compétents et confiants dans ce mode de relation basé sur le partenariat. Ils peuvent être soutenus par un programme de formation continue : avoir accès aux savoirs théoriques, aux savoirs développés par les collègues ainsi qu’aux résultats des recherches dans le domaine. Les travaux de Schön (1994) indiquent que les savoirs reliés à la pratique (celle des intervenants tout comme celle des parents), à cause des effets de la routine et des automatismes qui se développent dans les situations répétitives, méritent d’être revus par des activités de réflexion.
21Afin de retrouver l’élément de surprise nécessaire au déclenchement d’une remise en question des savoirs pratiques ou d’expérience, nous avons développé des activités de “réflexion partagée” (Tochon, 1996) entre les différentes personnes concernées par un projet, de façon à favoriser une co-construction de savoirs. En effet, il s’avère important d’associer les parents et les gestionnaires à cette formation continue, puisqu’il s’agit, dans un premier temps, de réviser les représentations de chacun en ce qui concerne leurs rôles respectifs et leur complémentarité dans l’évaluation et la prise de décision. Ces sessions permettent d’apprendre ensemble les pratiques du partenariat dans les communications entre les familles et les professionnels, dans celles entre les professionnels et les gestionnaires, et entre les familles et les responsables des établissements. Tous doivent se sentir interpellés par cette question centrale du partenariat.
22Les sessions de réflexion partagée, portant sur les attentes, les peurs et les craintes, ainsi que sur les avantages relatifs au fait que les familles deviennent partenaires des professionnels et des gestionnaires, peuvent être organisées par les établissements de services dans le cadre de leur programme de formation continue. En ce sens, il est primordial de retenir que le partenariat est une question de co-apprentissage entre tous les acteurs, y compris les dirigeants des établissements. ?