CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Plus nombreux (notamment dans le secteur privé), plus qualifiés, plus féminisés... les métiers du social évoluent, comme en témoignent les enquêtes réalisées par les organismes de recherche. Cependant, l’approche par professions ou par familles de métiers ne rend pas compte de la transformation majeure du secteur : l’apparition de nouveaux cadres d’emploi à la marge et non répertoriés.

2Hors aide à domicile, 600 000 personnes travaillaient, en 2002, dans les métiers de l’intervention sociale [1]. Cependant, il existe un ensemble d’accords et de désaccords qui rend toute définition de ce champ professionnel insatisfaisante et difficilement opérationnelle dans le cadre d’études ou de recherches. Accords sur le fait que ce que l’on dénomme “travail social” est composé de métiers [2] avec des histoires et des pratiques professionnelles divergentes, qu’il existe des lignes de contact mouvantes mais permanentes avec les champs de l’économie, de la santé, du logement, de la culture, de l’éducation et du domestique. Désaccords sur la définition du champ, tant au niveau de l’inclusion de professions que de leur agrégation dans des catégories d’analyse. Ces divergences font suite aux évolutions à l’œuvre dans la société depuis les années quatre-vingt. D’une part, la décentralisation qui amène une nouvelle organisation territoriale ; d’autre part, une nouvelle donne sociale, économique et démographique qui favorise l’apparition de nouveaux besoins. Deux aspects dynamiques permettent de mieux comprendre les mutations du travail social : l’apparition de nouveaux acteurs du social sur un fond de redistribution des compétences territoriales, et l’émergence de nouveaux besoins d’intervention aux frontières du champ, auprès de publics nouveaux dans un contexte de crise de l’emploi. Les mutations du champ s’accompagnent d’une rhétorique de crise du travail social qui revient de manière récurrente tout au long de l’histoire de ces professions. Dès le début du XXe siècle ces dernières sont dites trop proches de la classe dominante, dans les années soixante-dix, trop normatives, puis, dans les années quatre-vingt-dix, peu efficaces face aux nouveaux problèmes.

Un repérage difficile

3Recenser le nombre de travailleurs sociaux est donc un exercice particulièrement délicat. Une définition communément acceptée de la mission d’un travailleur social est “qu’il assure une présence quotidienne auprès de personnes qui rencontrent des difficultés et ont besoin d’une aide en raison de leur situation sociale ou familiale, de leur handicap, de leur âge ou encore de leur état de santé[3]”. Le travail social est donc composé de différents métiers avec des histoires et avec des pratiques professionnelles variées pouvant relever des champs de l’économie, de la santé, du logement, de la culture, de l’éducation ou du domestique [4]. Il en résulte qu’un certain nombre de métiers du nouveau champ social sont mal repérés par les outils habituels, soit parce qu’ils s’exercent dans des structures non suivies par les enquêtes statistiques, soit parce qu’ils ne sont pas encore bien identifiés dans les nomenclatures en usage. Pour palier ces difficultés, les résultats présentés dans cette étude s’appuient sur l’enquête “Emploi” de l’INSEE, qui a l’avantage d’être une source unique en population générale, répétée annuellement. Le dénombrement est établi sur la base d’une analyse des libellés en clair de la profession principale déclarée par chaque individu, en sélectionnant les intitulés d’emploi se rapportant aux métiers canoniques de l’intervention sociale. Il reste cependant nécessaire de préciser le champ de notre étude, tant au niveau de l’inclusion de professions que de leur agrégation dans les catégories d’analyse.

Évolution des profession sociales entre 1993 et 2002

tableau im1
Familles Métiers 1993 1998 2002 Accroissement annuel moyen entre 1993 et 2002 Aide et assistance Assistant de service social 31 300 35 900 40 400 + 3 % Conseiller en économie sociale et familiale 4 100 5 800 4 600 + 1 % Délégué à la tutelle 300 1 600 3 100 + 30 % Conseiller et assistant socio-éducatif 1 800 3 700 3 300 + 7 % Total aide et assistance 37 500 47 000 51 500 + 4 % Éducation Chef de service 2 100 3 200 3 300 + 5 % Éducateur spécialisé 59 700 70 100 99 100 + 6 % Éducateur de jeunes enfants 5 600 8 400 12 800 + 10 % Éducateur technique, éducateur technique spécialisé 9 700 4 200 10 100 + 0 % Jardinière 1 200 1 700 0 - Moniteur éducateur 7 800 16 900 17 700 + 10 % Moniteur d’atelier 4 400 4 000 9 500 + 9 % Aide médico-psychologique 8 100 12 600 24 700 + 13 % Total Éducation 98 600 121 100 177 100 + 7 % Animation Animateur 46 700 54 000 59 600 + 3 % Accueil d’enfants Ensemble 183 200* 261 400 308 300 + 6 % au domicile Dont assistantes maternelles du professionnel non permanentes 118 000 198 500 250 100 + 9 % hors crèches familiales Travailleur social 1 000 600 2 300 + 10 % (sans autre indication) TOTAL   367 000 484 100 598 800 + 6 % * Le repérage des gardes d’enfants à domicile étant incomplet pour l’année 1993 dans l’enquête “Emploi”, il nous a fallu estimer cet effectif en faisant l’hypothèse que la proportion de gardes d’enfants était stable entre 1993 et 1994. Source : données INSEE, enquêtes “Emploi” 1993-2002, calculs DREES.

Évolution des profession sociales entre 1993 et 2002

Un champ professionnel structuré en quatre domaines

4Quatre grands domaines du travail social sont habituellement utilisés pour décrire le travail social : celui de l’aide et de l’assistance, celui de l’éducation spécialisée, celui de l’animation et celui de l’accueil à domicile. Ces quatre domaines sont apparus à des moments distincts. Cette structuration du champ est renforcée par les administrations de tutelle et par celles productrices de données, via une codification administrative des titres plus que des postes. Cependant, la tutelle commune des métiers de l’aide, de l’éducation spécialisée et de l’animation, l’existence de passerelles entre les différentes qualifications et l’usage d’expressions qui participent de l’idéologie d’un milieu professionnel homogène ont contribué à donner une image d’unité à cet ensemble de métiers du travail social. Il est donc possible, d’une manière schématique, à partir des textes qui définissent les métiers, de caractériser chacun de ces quatre domaines (voir tableau ci-contre).

Évolution des statuts d’emplois de travailleurs sociaux entre 1993 et 2002

figure im2

Évolution des statuts d’emplois de travailleurs sociaux entre 1993 et 2002

Source : données INSEE, enquêtes “Emploi” 1993-2002.

5Appréhendés globalement, trois mouvements marquent le champ de l’intervention sociale.

6? Le vieillissement des intervenants sociaux est plus marqué que celui observé pour la population active occupée. En effet, cette dernière voit son âge moyen évoluer de 39 ans à 40 ans entre 1993 et 2002. En moyenne et à niveau de qualification identique, elle reste plus jeune que la population des intervenants sociaux. Ainsi, en 2002, un quart des intervenants sociaux ont plus de 50 ans ; alors qu’en 1993, les plus de 47 ans constituaient le quart le plus âgé de ces professionnels.

7? La diminution de la proportion de professionnels ayant un diplôme de niveau VI profite aux professionnels des niveaux V et IV. En effet, la part des intervenants ayant un niveau de formation égal au niveau V passe de 31 % à 36 % entre 1993 et 2002 ; celle de niveau IV, de 9 % à 12 %.

8? Concernant les statuts d’emploi, on observe, sur la période 1993-2002, une diminution nette de la proportion des emplois publics (30 % en 2002, contre 43 % en 1993) au profit des emplois privés, notamment pour les assistantes maternelles (voir graphique p. 41).

Des caractéristiques différenciées par familles de métiers

? Les métiers de l’aide et de l’assistance

9Cette famille regroupait environ 52 000 professionnels en 2002. Les femmes représentent 95 % d’entre eux. Ces professionnels travaillent essentiellement (68 %) auprès des collectivités territoriales ou des administrations. Ils sont les intervenants sociaux les plus qualifiés, avec plus de 9 salariés sur 10 ayant au moins un diplôme équivalent à bac+2 (niveaux I, II et III). Les assistants de service social (DEASS) représentent près de 80 % des métiers de la famille de l’aide et de l’assistance.

? Les métiers de l’éducation

10En 2002, les professionnels de l’éducation spécialisée étaient plus de 177 000, soit une croissance annuelle moyenne de 7 %. Cette famille recouvre plusieurs fonctions. En 2002, près de 100 000 éducateurs spécialisés et 18 000 moniteurs éducateurs aidaient à l’éducation des enfants, des adolescents ou encore d’adultes handicapés ou en difficulté d’insertion.

11Près de 25 000 aides médico-psychologiques accompagnaient des personnes handicapées, malades ou âgées. Environ 10 000 éducateurs techniques, éducateurs techniques spécialisés et 10 000 moniteurs d’ateliers favorisaient l’apprentissage professionnel. Enfin, 13 000 éducateurs de jeunes enfants tendaient à favoriser le développement des enfants âgés de 0 à 7 ans, afin de les préparer au mieux à leur entrée future à l’école.

12Cette famille est la moins féminisée, comptant 63 % de femmes. Les emplois sont majoritairement dans le secteur privé, avec 57 % en moyenne en 2000-2002 ; 40 % sont dans le public (hors contrats aidés).

13Sur la période d’observation, si la part des emplois repérés dans le secteur du handicap se maintient à 33 %, le secteur de l’enfance en difficulté augmente et atteint 15 % en moyenne sur 2000-2002.

? Les métiers de l’animation

14Les 60 000 animateurs dénombrés en 2002 occupaient des situations professionnelles diverses. Cette catégorie inclut les animateurs généralistes. En revanche, ceux spécialisés dans une technique (musique, peinture, multimédias…) sont exclus du dénombrement. Leurs effectifs n’augmentent en moyenne que de 3 % par an. Ils perdent donc un peu d’importance relativement aux autres professions : de 13 % en 1993, ils ne sont plus que 10 % en 2002. Cette population se féminise, puisque 71 % des animateurs étaient des femmes, en 2002, alors qu’elles n’étaient que 65 % en 1993. Cette profession est plus jeune que les autres intervenants sociaux (33 ans en moyenne), et ne semble pas affectée par le vieillissement, même si la proportion des moins de 30 ans passe de 55 % à 47 %. Les animateurs se partagent entre le secteur public (42 % d’entre eux) et le secteur privé (27 % sont en CDI et 12 % en CDD). La part des contrats aidés semble diminuer entre 1993 (22 %) et 2002 (19 %), mais elle reste importante.

? Les métiers de l’accueil au domicile des professionnels

15Les métiers de la garde d’enfant au domicile des professionnels augmentent de 6 % par an en moyenne, et comptaient plus de 300 000 emplois en 2002. Ces métiers représentent environ la moitié des intervenants sociaux. Cette population est essentiellement féminine et son âge moyen est passé de 43 ans à 45 ans entre 1993-1995 et 2000-2002 : c’est la famille de l’intervention sociale la plus âgée. Du point de vue des statuts d’emploi, on observe une augmentation des CDI du privé, passant de 64 % en moyenne, en 1993-1995, à 72 %, en 2000-2002. La proportion des salariés ayant un statut public diminue entre 1993-1995 et 2000-2002, passant de 33 % à 19 %, et les CDD du privé augmentent de 3 % à 9 % sur la même période.

16Les professionnels de la garde d’enfants voient le niveau général de qualification s’élever. En effet, ceux qui ont au moins le baccalauréat (niveaux IV, III, II et I) représentent désormais 11 % des intervenants de cette famille (contre 5 % en 1994).

? Les assistantes maternelles non permanentes hors crèches familiales (ASMAT)

17Elles représentent plus de 80 % des métiers de l’accueil au domicile des professionnels, et environ 42 % des intervenants sociaux (32 % en 1993). Les assistantes maternelles non permanentes accueillent à leur domicile, à la journée, des enfants ayant moins de 6 ans. Le nombre des assistantes maternelles repérées dans l’enquête “Emploi” augmente de plus de 9 % par an ; elles étaient 250 000 en 2002. Cet essor correspond aux modifications apportées au statut des assistantes maternelles et à l’institution de l’Aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) (loi du 12 juillet 1992) ; ce fort accroissement s’expliquant également par la régularisation du travail auparavant non déclaré. La population des assistantes maternelles vieillit, elle aussi, avec un âge moyen qui passe de 42 ans à 45 ans entre 1993 et 2002. Plus de deux tiers des assistantes maternelles travaillent à temps plein.

18Du point de vue de leurs statuts d’emploi, on observe une diminution des CDI, passant de 95 % en moyenne, en 1993-1995, à 89 % en 2000-2002.

19Le niveau de qualification des assistantes maternelles non permanentes s’élève aussi. En effet, celles qui ont au moins le baccalauréat représentaient 3 % en 2002, contre 1 % en 1994 [5].

Les limites de l’approche par famille

20Cette présentation du travail social en grandes familles et métiers, reposant sur le système de qualification, est pour partie mise à mal dès qu’elle est référée aux activités réellement effectuées. Du fait des évolutions, alors que les travailleurs sociaux et leurs formateurs pensaient avoir le privilège et le monopole de l’intervention auprès des publics en difficulté, de nouveaux intervenants apparaissent.

21Ils s’installent, au risque d’une déqualification du champ, en dehors du cadre établi. En fait, au-delà de leur formation, plus grand-chose n’oppose un éducateur de rue d’un animateur de prévention, ou, dans le champ du logement, une assistante sociale d’une conseillère en économie sociale et familiale. À l’inverse, presque tout peut opposer deux assistantes sociales qui se déclarent comme telles, sauf leur qualification. Quels rapports existe-t-il dans les tâches effectuées entre une assistante sociale chef de projet ville et celle qui travaille dans une circonscription d’action sociale ? Ce sont là les limites d’une approche par famille car les métiers ne sont pas réductibles à l’affectation d’un ensemble de tâches qui leur seraient propres.

22Le programme de recherche de la MiRe [6] explore les mutations et les permanences du travail social, en insistant sur un point : affirmer ces changements n’est pas qu’une affaire de mots mais aussi une manière d’engager une reconstruction du champ via une mobilisation de l’ensemble des acteurs.

23L’apport de cette recherche nous incite à observer autrement le champ du travail social et à changer de catégories d’enregistrement et d’analyse. Elle invite à refonder les catégories sur les activités plus que sur des intitulés de postes ou de qualifications et à revoir la méthode de suivi des professions sociales. Elle montre les limites à reconstruire le champ sur la base d’enquêtes sectorielles (éducation spécialisée, aide à domicile, personnes âgées) car les nouveaux cadres d’emploi se réalisent à la marge, ce qui empêche de suivre les évolutions en cours. ?

Notes

  • [1]
    D. Beynier, B. Tudoux, M. Momic, Les métiers du travail social - hors aide à domicile, DREES, Études et résultats, ministère de la Santé et des Solidarités, de la Cohésion sociale et du Logement, numéro 441, novembre 2005, 11 p.
  • [2]
    Dans ce texte, les termes profession, métier, emploi sont considérés comme synonymes, contrairement à l’usage dans la littérature sociologique. La différenciation du sens de ces mots aurait entraîné l’emploi de dénominations spécifiques en fonction des cas, ce qui aurait nécessité une justification strictement théorique du traitement lexical différencié qui s’en serait suivi.
  • [3]
    E. Woitrain, Les professions sociales en 1998, DREES, Études et résultats, n° 79, 2000,
  • [4]
    Ces champs ne sont en rien des frontières imperméables, certains métiers pouvant combiner plusieurs champs à la fois, comme l’illustrent les termes ou expression “médico-social”, “socioculturel”, “insertion par l’économique”.
  • [5]
    Une réforme de leur statut a été promulguée par la loi n° 2005-706 du 27 juin 2005, relative aux assistants maternels et aux assistants familiaux.
  • [6]
    D. Beynier, J.-N. Chopart, “Déconstruction et reconstruction du champ de l’intervention sociale sur la base des tâches accomplies”, in Les mutations du travail social, dynamique d’un champ professionnel, ouvrage collectif sous la direction de J.-N. Chopart, DRESS MiRe Dunod, mai 2000, p. 57-93. Dans ce chapitre qui ne présente qu’un des volets de l’enquête de la MiRe, nous insistions sur le fait qu’il était possible de reconstruire le travail social à partir des tâches effectuées, mais que c’était les logiques sociales et professionnelles qui, en donnant du sens à ces tâches, permettaient aux identités professionnelles et aux métiers voire aux professions d’advenir. Plus globalement, la recherche de la MiRe correspond au travail de sept équipes de recherche qui ont, pendant trois ans, chacune avec leur problématique, essayé de comprendre les logiques professionnelles à l’œuvre dans le travail social. Elle a été menée à bien sous la responsabilité de J.-N. Chopart, le conseil scientifique était présidé par C. Dubart. Les sept rapports de cette recherche sont disponibles à la MiRe.
Français

Résumé

Le recensement des travailleurs sociaux est une opération statistique complexe du fait de nouveaux champs d’intervention. Quatre grands domaines structurent les professions dites classiques par une codification des titres (différents des postes). Les évolutions en termes d’âge, de niveau de qualification, de statut et de féminisation dessinent un paysage professionnel en mutation. Une classification par famille de métiers n’est pas non plus totalement représentative, les métiers ne pouvant pas se résumer à un ensemble de tâches.

Dominique Beynier
Professeur de sociologie à l’Université de Caen Basse-Normandie, directeur de l’institut universitaire professionnalisé “Management du social et de la santé” de l’UCBN, co-responsable du pôle pluridisciplinaire “Les données sociales et leurs traitements” de la MRSH de Caen, a notamment publié sur le thème, avec J.-N. Chopart, “Déconstruction et reconstruction du champ de l’intervention sociale sur la base des tâches accomplies”, in Les mutations du travail social, dynamique d’un champ professionnel, ouvrage collectif, DREES MIRE Dunod, mai 2000, p. 57-93.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.133.0038
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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