CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Jacques Donzelot, La police des familles, Minuit, 1977

1Isaac Joseph, Philippe Fritsch, Disciplines à domicile, Recherches, n? 28, 1977.

2Il y a près de trente ans étaient publiés, à quelques mois d’intervalle, deux ouvrages consacrées à l’histoire de l’institution familiale dans ses rapports avec la nouvelle organisation économique et sociale de la France du milieu du XIXe siècle. Ces deux recherches avaient en commun un même projet : refuser le modèle naturaliste de la famille, tel qu’il était vécu à la fin des Trente Glorieuses, mettre au jour la généalogie des relations entre la famille et le pouvoir politique, montrer les étapes de la formation de ce que l’on nomme, de nos jours, la protection sanitaire, sociale et judiciaire.

3Les deux livres notent l’apparition, dans la première moitié du XIXe siècle, du philanthrope, personnage important, disparu aujourd’hui, mais dont l’influence fut déterminante dans la mise en place de la régulation sociale des familles. Le philanthrope symbolise l’intervention privée dans la sphère sociale. Sous couvert de conseil et de charité, son regard se charge aussi d’une mission de pacification et d’intégration sociale. Il perçoit le pauvre comme un enfant qu’il faut éduquer et à qui doivent être inculquées de bonnes habitudes.

4Il procède d’abord à un état des lieux du logis ouvrier qui est souvent un taudis insalubre. À partir du respect des règles de l’hygiène, qui assure notamment la bonne conservation des enfants, il incite, peu à peu, à un changement des styles de vie. Il va questionner l’équilibre interne de la famille et en recomposer la hiérarchie. Il s’appuie sur la femme, alliée utile, qui est censée introduire des règles de tempérance et d’épargne dans le foyer. L’économie familiale naissante, à laquelle des sociologues comme Le Play vont se consacrer à travers l’étude des budgets des familles ouvrières, permet de garantir la discipline. Un nouvel ordre judiciaire, qui se concrétisera à la toute fin du XIXe siècle, met progressivement fin à l’autorité patriarcale, avec la mise en place de la déchéance de l’autorité paternelle, puis de la fin du droit de correction. La famille quitte un ordre sacré, homologue à l’ordre royal, pour entrer dans une morale de la conjugalité.

5La police des familles connaît une logique interne mais elle comprend également une face externe qui va se matérialiser avec la mise en place des villes ouvrières. Dans ces lotissements bâtis aux alentours des usines métallurgiques ou textiles, le pavillon individuel est un lieu autorisant l’émergence d’une police des voisinages. Le plan de l’habitat et l’aménagement des logements créent une visibilité qui permet à chacun de vérifier le bon ordre de l’hygiène et des mœurs des autres. Ces cités ouvrières sont l’un des terrains d’exercice favoris du philanthrope qui, avec le renfort de la mère de famille, va tenter de transformer les classes laborieuses et dangereuses en familles travailleuses et dociles.

Alain Vulbeau
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.133.0033
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