Parents et professionnels à l’épreuve de la rencontre, sous la direction de Carlo Deana et Georges Greiner, Édition Érès, 2003
1Dans le triangle interactif constitué par les enfants, la famille et les intervenants sociaux, quand il s’agit de mesures de protection des jeunes contre toutes formes de maltraitance, les acteurs se trouvent confrontés à la difficulté de cerner les schèmes traditionnels de l’autorité, de dire la loi et de la faire appliquer. Pour les parents et pour les intervenants sociaux, il importe que leur statut et leur mode d’action soient clairement définis.
2En ce qui concerne la famille, le père et la mère, parce qu’ils sont les géniteurs, ont pour eux une légitimité. Le placement en familles d’accueil ou d’adoption, si légitime soit-il, brouille inévitablement, du point de vue de l’enfant, la perception de ses racines. Cette légitimité de la famille peut être mise à mal en cas de carences éducatives flagrantes. La solidité de son affection elle-même doit souvent être interrogée. Le biologique, qui fonde le lignage, ne fait pas de la famille une figure d’autorité fondamentale.
3Les intervenants constituent, quant à eux, une constellation polymorphe : assistantes sociales, assistantes maternelles, militants d’association, mais aussi juristes, médecins, etc. sont les médiateurs entre l’enfant et l’environnement. Ils détiennent un savoir, des pouvoirs. Comment vont-ils en user ? Il ne s’agit pas de se substituer aux parents, de les délégitimer pour cause d’incompétence, mais d’aider, d’éduquer. Cela peut certes se faire avec des mots, mais aussi avec des gestes. Intervenir, mais de manière non intrusive. Quelle est la motivation des intervenants ? Une jeunesse malheureuse peut être à l’origine de la volonté adulte de soutien, ce qui n’a rien de fâcheux, à condition de rester conscient de ce que cela peut induire en dérives et contre-transferts. Quelles que soient les bonnes volontés à l’œuvre, le travail social ne peut être neutre. L’agriculture et l’industrie produisent des résultats évaluables en termes de rendement. Il en va tout autrement pour le secteur tertiaire, celui des services, et plus particulièrement quant on touche à un problème sensible : la protection des enfants et la prévention des dangers qu’ils encourent. Personne aujourd’hui ne défendra la “pédagogie noire” d’il y a un siècle, basée sur des interdits rigides et sur des sévices de toute nature. Comment éviter le repli frileux sur les normes juridiques, la soumission à ”la violence des normes sociales d’une machine bien huilée”, le risque de privilégier les victimes pour se dédouaner de sa propre culpabilité ? Tout acteur est imprégné de son passé qui lui dicte ses convictions et ses comportements. Toutefois, on peut lui demander d’interroger ses motivations, d’être clair face à cette ”cacophonie du terrain” où tant de voix se font entendre, de repérer dans ses propos et dans ceux des autres les non-dits, les oublis, les brouillages, de traquer ses propres préjugés. À ces conditions, le partenariat aura un sens et une efficacité.