Les yeux dans les yeux
Estelle HANNEBERT, Le corps à corps dans l’entretien social., Mémoire pour l’obtention du DSTS. Université de Paris XII. Faculté des sciences de l’éducation et des sciences sociales. Créteil. Février 2005, 100 p. (Dir. Sabine Dupuy). Téléchargeable sur le site du CEDIAS : www.cedias.org
1Dès le premier moment du premier entretien, deux regards s’entrecroisent, s’évitent, se rencontrent, des yeux se lèvent ou se baissent, des mains se serrent. À la manière de s’asseoir, de se pencher en avant ou de se reculer, l’assistante sociale va, elle aussi, s’insérer dans un jeu d’interactions physiques. Dans l’entretien, les personnes se parlent, mais les corps aussi s’expriment. Il n’y a là finalement que des interactions bien ordinaires dont Goffman et Hall ont livré depuis des années la grammaire et le vocabulaire. Dans les situations professionnelles qui font de la relation un outil de travail, ces interactions non verbales prennent une autre dimension. À partir d’entretiens avec une douzaine d’assistantes de service social de polyvalence, Estelle Hannebert montre que le discours de ces professionnelles s’organise autour de deux représentations du corps de l’autre, l’un en terme de souffrances et l’autre de bien-être. Ce décalage dans les représentations n’est pas anodin car il semble structurer des pratiques professionnelles et la conduite des entretiens. On aurait rêvé sur ce sujet non pas d’un écrit mais de comptes-rendus d’entretiens sociaux filmés. Le fait d’être en bonne compagnie théorique avec Elias, Vigarello, Brohm, Bourdieu, Ehrenberg, Goffman et quelques autres encore, et la finesse de l’analyse des entretiens font oublier ce regret du manque d’images. 1353
Un optimisme décapant
Patricia THOMASSE, Assistante sociale ? Avec plaisir..., Mémoire pour l’obtention du DSTS. Université de Caen Basse-Normandie. Novembre 2004, 116 p. + annexe (dir. G. Hartemann). Téléchargeable sur le site du CEDIAS. www.cedias.org
2“Tu gagneras ta vie à la sueur de ton front”. L’image est biblique mais les enquêtes de représentation montrent qu’elle est assez juste et que le travail est surtout vécu sur le mode de la contrainte même s’il procure parfois du plaisir lorsqu’il est source de contacts, d’utilité, de création et de découverte. Alors que les travaux s’accumulent sur le burn out et les souffrances au travail, Patricia Thomasse dans un joyeux contre-pied montre que le travail d’assistante sociale peut être aussi un réel plaisir. Aux sources de ce plaisir professionnel figure d’abord le fait d’exercer un métier que l’on a véritablement choisi, mais aussi la possibilité de ne pas mélanger vie professionnelle et vie personnelle. Le travail lui-même, c’est-à-dire principalement la possibilité d’agir pour soi par les autres, est un autre déterminant de ce plaisir profond décrit par ces professionnelles. Comme si le métier qu’elles exercent, au-delà des aléas du quotidien, permettait une réelle adéquation entre personnalité et activité. D’autres professionnelles mettent l’accent sur la dimension créatrice de l’intervention sociale lorsque l’action individuelle mais le plus souvent collective permet de faire bouger des lignes de force qui paraissaient indépassables. Le plaisir “quand ça marche”, le plaisir d’être reconnu, le plaisir des moments partagés avec les collègues, l’autonomie dans le métier constituent les thèmes les plus souvent mis en avant dans les entretiens. Cerise sur le gâteau, une annexe contient les souvenirs les plus savoureux racontés par les assistantes sociales rencontrées. 1354
Paroles croisées
Marc LAULANIE, Récit de vie sociale croisé de Monsieur Coulibaly, sa femme Tiguide et sa fille Sissako., Mémoire pour l’obtention du DSTS. Université de Paris-XII - Val-de-Marne, faculté des sciences de l’éducation et sciences sociales. Février 2005, 144 p. (Dir. B. Goussault). Téléchargeable sur le site du CÉDIAS. www.cedias.org
3Si quelque autorité décernait le prix du titre le plus original pour un mémoire de DSTS, Marc Laulanie serait sans doute un des mieux placés de ces dernières années. Le sous-titre est plus classique et présente l’avantage de décrire le sujet traité : “les représentations du retour au pays des immigrés vieillissants”. Marc Laulanie utilise les quarante premières pages de son mémoire pour dire des choses tout à fait intéressantes sur les récits de vie, la migration, les étrangers vieillissants, vous pouvez les lire, mais faites-vous plaisir, commencez le mémoire à la page quarante et écoutez Monsieur Coulibaly raconter sa vie. Dans la colonne de gauche, il parle de sa vie, du Mali dont il est originaire, de son travail, de sa famille, de ses joies, de ses plaisirs et de ses désirs. Il parle aussi de sa femme Tiguide et de sa fille Sissako. Dans la colonne de droite, Marc Laulanie, explicite, commente, analyse, donne la parole à tel ethnologue, laisse Tiguide et Sissako glisser un commentaire sur les mots de leur mari et père. Ce choix typographique particulièrement original permet de lire deux textes. Celui de gauche s’apparente à l’un de ces récits que l’on trouve parfois dans les ouvrages de la collection Terres Humaines chez Plon, lorsqu’un homme décrivant sa vie décrit en fait l’humanité tout entière. Celui de droite est un mémoire assez classique mais dont on comprendrait immédiatement le discours parce qu’il ne serait qu’un décryptage de faits devenus évidents. Le fond n’est pas à négliger car il traite d’un sujet dont nous allons parler de plus en plus fréquemment, celui des migrants devenus âgés, mais la forme est tellement originale qu’elle retient d’abord l’attention. 1355
Complément d’exclusion
Marie-Pierre HAMEL, Le non-recours aux prestations sociales chez les populations vivant en situation de précarité et d’exclusion., CEVIPOF, 98, rue de l’Université, 75007 Paris. Février 2006, 200 p. www.cevipof.msh-paris.fr
4Lorsqu’elle n’est pas simplement analysée comme un mécanisme de mise à l’écart, l’exclusion pour être comprise appelle un complément. Exclu, oui, mais de quoi ? Exclu du logement, du travail, de la ville, de la santé, de la culture ou de la justice, les thématiques de l’exclusion recoupent alors tous les possibles de la vie en société. À partir des années quatre-vingt-dix, les associations ont traduit cette question sous la forme de l’impossibilité d’accéder aux droits subjectifs appartenant en propre à chaque citoyen. Certaines associations se sont même créées sous cette appellation spécifique (pensons à un mouvement comme “Droit au logement”). La question de l’accès aux droits se pose aussi lorsqu’une personne se retrouve ne plus pouvoir accéder à des prestations qui lui sont désormais refusées car elle se situe en dehors des régimes d’assurances, ou lorsqu’elle ignore que certaines prestations lui seraient accessibles. Ce thème de l’accès au droit qui se traduit plutôt ici par le non-recours aux prestations a été abordé par les chercheurs et les gestionnaires d’organismes sociaux depuis les années 90. Un numéro de Recherches et Prévisions, une publication de la CNAF, traitait de cette question en mars 1996. Enfin, les questions du non-recours et de l’accès aux droits ont fait l’objet de nombreux programmes, souvent dans le cadre de la réforme de l’État, lorsque ce dernier s’avisait de se rapprocher des citoyens.
5Centrant ses analyses plutôt sur le non-recours aux prestations, Marie-Pierre Hamel, dans une étude réalisée à la demande de la Direction générale de l’action sociale, compare le traitement du non-recours en France avec la situation en Angleterre et aux Pays-Bas où ce thème est abordé depuis le début des années cinquante. Si ce rapport n’apporte pas d’éléments véritablement nouveaux, il constitue une synthèse utile du problème et, surtout, montre les marges de progrès qui sont à notre disposition. Accessoirement, mais ce n’est pas l’objet de ce travail, il pourrait être intéressant de confronter ce que nous disons de la fraude avec ce que nous savons du non-recours, cela améliorerait sans aucun doute les débats actuels. 1356
APA décentralisée
Anne LOONES, Élodie DAVID-ALBEROLA, Sonia EUGENE, Approche du coût de la dépendance des personnes âgées à domicile., CREDOC, 142 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Décembre 2005, 106 p. wwww. credoc. fr
6Même si les chiffres présentent une certaine variabilité en fonction des critères retenus, on peut estimer que 5 à 600 000 personnes de plus de 60 ans sont en situation de dépendance et résident à leur domicile. Par situation de dépendance, il faut entendre un classement en GIR de 1 à 4 selon la désormais fameuse grille AGGIR. La moitié d’entre elles souffrent d’une dépendance modérée et moins de 5 % sont dans une situation de dépendance physique et psychique lourde. Ces personnes bénéficient de l’apport des aidants dits naturels qui incluent les enfants et les proches, des aidants professionnels, aides ménagères, personnels soignants et personnels de service, ainsi que des aides techniques : déambulateur, lit médicalisé, téléalarme… La mesure du coût global de la dépendance s’élève selon cette étude à 8 milliards d’euros, 63 % étant pris en charge par les départements, 31 % par l’État et 6 % restant à la charge des personnes. Au-delà de cette description macro économique des flux financiers, l’intérêt de ce travail est de montrer les disparités qui peuvent exister entre les départements. Ces décalages entre territoires tiennent au fait que les communes et les conseils généraux peuvent proposer des tarifs préférentiels très en dessous du prix du marché à leurs habitants générant ainsi des inégalités de traitement. 1357
Jours de vacances à Bobigny
Franck VAN DAMME, Les séjours de vacances entre jeunes de la cité, facteurs de transformation., Mémoire pour l’obtention du DSTS. Université de Paris-III, Centre d’études et de recherches pour la petite enfance (CERPE), INFOP-CEMEA, décembre 2004, 132 p. (Dir F. ALFOLDI). Téléchargeable sur le site du Cedias. wwww. cedias. org
7A la fin des années quatre-vingt-dix, la presse et les journaux télévisés ont été friands de faits divers relatant des tensions et des altercations entre des jeunes venus des banlieues et des vacanciers ordinaires, dans les campings et sur les plages. Il arrivait même que les journalistes signalent que ces jeunes étaient subventionnés par les mairies de ces cités accusées ainsi de se débarrasser pendant quelques semaines de leurs éléments les plus perturbateurs. Le mémoire décrit l’autre face du décor. Il montre la construction de ces projets aux limites de l’éducation et de l’animation. Il analyse l’articulation entre des actions locales et des politiques en direction des jeunes mais il décrit surtout la transformation d’une politique locale vers plus de démocratie, de non-discrimination. Il y aurait déjà là une riche matière pour un mémoire de DSTS, mais Frank Van Damme va un peu plus loin et s’interroge sur les effets sur les jeunes de ces départs en vacances. Partis en vacances avec un lourd bagage, celui des codes et des usages de la cité, ils reviennent en ayant découvert que le monde extérieur n’est pas un territoire ennemi et que les compétences mobilisées pour l’organisation des vacances peuvent être transférables à d’autres moments de la vie. Les quelques notations personnelles et biographiques que l’auteur donne de lui-même laissent à penser que ce mémoire a sans doute été un moment de vacance, le temps d’un retour sur soi, un peu à la manière du livre d’Aurélie Filipetti sur les “derniers jours de la classe ouvrière” - Paris, Stock, 2003-, une raison de plus pour le lire. 1358
Sida, Antilles, Guyane, douze ans plus tard
Sandrine ALFEN, Karine FENIES, Isabelle GREMY, Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/Sida aux Antilles et en Guyane en 2004., Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales, Observatoire régional de la santé d’Ile-de-France, 21-23 rue Miollis, 75732 Paris cedex 15. Avril 2006, 289 p. wwww. ors-idf. org
8Depuis 1992, aucun travail d’envergure n’avait été mené sur la sexualité dans le contexte du Sida parmi la population des Antilles et de la Guyane. Les résultats de cette étude montrent une amélioration significative de la connaissance des modes de transmission et corrélativement une diminution du taux de personnes favorables à des mesures discriminatoires à l’encontre des personnes touchées par l’infection. En 1992, 20 % des personnes interrogées estimaient qu’il était légitime d’interdire l’accès à l’école à un enfant atteint du sida, elles ne sont plus – elles sont encore, pourrait-on aussi dire – que 8 % en 2004. S’agissant des rapports sexuels, le multipartenariat est en régression chez les hommes et, dans une moindre mesure, chez les femmes. L’usage du préservatif lors du premier rapport sexuel a fortement augmenté. Contrairement à la métropole, on ne constate pas de relâchement dans la vigilance et les efforts de prévention se maintiennent plus nettement. Aux Antilles et en Guyane, des populations sont plus vulnérables que d’autres. Comme bien souvent, les personnes les moins diplômées sont moins bien informées des moyens de se protéger de l’infection, c’est le cas aussi des personnes nées à l’étranger, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud. Plus étonnant, les prises de risques sont relativement plus fréquentes parmi la population âgée de 55 à 69 ans où le multipartenariat stable et les relations sexuelles hors mariage sont, à la fois, plus fréquentes qu’en métropole et mieux tolérées. 1359
Assistante sociale libérale
Laure DELAHAYE, L’hypothèse du travail social libéral, esquisse d’une étude d’impact sur un choix professionnel., Mémoire pour l’obtention du DSTS. Institut d’économie sociale et familiale, 5, rue de la Cité, 87000 Limoges. 2005, 123 p. (Dir. G. Monédiaire). Téléchargeable sur le site du CEDIAS. wwww. cedias. org
9Y a-t-il une place possible dans l’exercice professionnel du travail social pour un statut libéral ? La question n’est pas nouvelle et jusqu’alors les réponses apportées n’étaient pas très favorables à cette évolution en dehors de cheminements individuels et, somme toute, très marginaux. On ne sait pas le nombre de professionnels qui pratiquent sous forme libérale, il est sans doute assez faible. Des entreprises privées emploient des assistantes sociales dans le cadre de relations contractuelles, rémunérées à la mission. Le prix de l’autonomie se fait parfois au détriment d’une certaine sécurité. Quelques établissements du secteur médico-social, des tribunaux également font appel à des professionnelles exerçant sur un mode libéral mais dont on pourrait aussi dire qu’il est surtout un mode de travail intermittent à la vacation. La question des services rendus aux particuliers est la plus sensible car elle heurte de plein fouet le travail social classique. Les assistantes qui se revendiquent d’une pratique libérale prennent soin jusqu’alors de ne pas aborder de manière exclusive cette clientèle potentiellement très large. L’enquête de Laure Delahaye porte sur dix professionnelles exerçant en libéral. Toutes sont diplômées depuis plus de vingt-cinq ans. Elles ont effectué de nombreuses formations complémentaires et expliquent leur choix de mode d’exercice par la volonté de sortir d’un cadre institutionnel trop rigide. Unanimement, ces professionnelles font un bilan satisfaisant de leur exercice. Si l’auteur de ce mémoire ne dissimule pas son intérêt pour cette forme de pratique, elle en montre aussi les limites et les raisons de l’émergence dans un travail social parcellisé. 1360
Génération pivot à la manœuvre
Annie FOUQUET, La famille, espace de solidarité entre générations., Délégation interministérielle à la famille, Paris, avril 2006, 97 p. hhttp:// www. famille-enfance. gouv. fr
10Ce rapport constitue la synthèse, effectuée par Annie Fouquet, des réflexions et des auditions d’un groupe de travail dirigé par Alain Cordier, président de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Les résultats de ces travaux et les préconisations du groupe doivent alimenter les débats de la Conférence de la famille de 2006 dont le thème principal porte sur la solidarité entre générations. Un large consensus existe, au-delà même des membres du groupe de travail, sur les difficultés que rencontre et va rencontrer la génération dite “pivot”. Cette génération, dont les membres sont actuellement âgés de 50 à 60 ans, se trouve simultanément confrontée au vieillissement et souvent à la dépendance de parents et aux difficultés d’insertion dans la vie active de leurs enfants. Le rapport fait l’hypothèse que la solidarité entre les générations passe principalement par ce groupe d’âge, et préconise une meilleure reconnaissance et un plus grand soutien de ces aidants familiaux. De multiples mesures viennent concrétiser ces orientations. On regrettera sans doute un peu que le groupe ne se soit pas attaqué plus fortement aux dimensions professionnelles de la solidarité familiale et à un réexamen des mécanismes de la protection sociale. La dernière partie du rapport constitue une remarque synthèse démographique et juridique des enjeux de la solidarité familiale. 1361