CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Quatorze centres hospitaliers à Montréal et à Québec sont partenaires d’un programme visant à accompagner les parents à la naissance d’un enfant ayant une déficience. Les retombées positives sont multiples, elles se caractérisent par un renforcement des savoirs et de leur reconnaissance mutuelle, tant pour les parents que pour tous les intervenants concernés par ce partenariat.

2Donner naissance à un enfant avec une déficience génère un stress familial intense et a des conséquences importantes pour l’avenir de l’enfant et pour celui de la famille entière (Bouchard, Pelchat, Boudreault et Gratton-Lalonde, 1994 ; Bouchard et Pelchat, 1997 ; Pelchat, Lefebvre et Damiani, 2002 ; Pelchat, 1989, 1994). Les parents ont besoin de soutien pour les aider à cheminer dans cette épreuve (Pelchat, 1994). Cependant, il ressort des diverses études que l’intervention auprès de ces parents est souvent inadéquate car non systémique, tardive, et que les intervenants ne sont pas assez préparés à répondre aux besoins de ces familles (Bouchard et al., 1994).

Description du PRIFAM

3Afin de combler cette lacune, nous avons (Pelchat, 1989) développé un Programme d’intervention interdisciplinaire et familiale : le PRIFAM. Ce programme a été co-construit avec la collaboration de cinq couples de parents d’enfant ayant une déficience. Fondé sur une philosophie de soins à la famille et sur une approche qui réfère au courant de l’éducation pour la santé (Sandrine-Berthon, 2000), il a pour but l’autonomie de la famille, la valorisation et l’actualisation de ses ressources internes et externes, et l’appropriation de compétences utiles à son adaptation et à sa transformation, ainsi qu’à la prise en charge de l’enfant (Pelchat, 1989 ; Pelchat et Lefebvre, 2004, 2005). Son originalité tient à plusieurs éléments : son application dès la naissance de l’enfant ; l’engagement des deux parents ; le souci de répondre aux besoins de chaque membre de la famille ; une approche qui prend en compte la dynamique individuelle et familiale de même que les interactions avec l’environnement ; l’importance accordée aux compétences de chacun dans une approche de partenariat famille/professionnel qui favorise le bien-être des familles et la satisfaction des professionnels ; son déroulement dans une pratique réflexive sur et dans l’action, en regardant la famille comme un partenaire indispensable à la recherche de solutions.

4Le PRIFAM considère chaque parent avec son potentiel d’action et l’assiste dans son évolution. Les objectifs du programme tiennent compte du système d’adaptation de la famille au plan à la fois individuel, conjugal, parental et extra-familial. La famille est vue comme un système de relations qui comprend également des sous-systèmes (conjugal, parental, familial élargi). Les sous-systèmes sont en relation entre eux et chacun à son tour influence le fonctionnement du système. Cet ensemble dans chacun des sous-systèmes crée un impact et produit quelque chose d’inédit, une synergie qui facilite l’émergence d’un nouveau sens à l’événement.

? Implantation du programme d’intervention

5Une évaluation a eu lieu, impliquant quatorze centres hospitaliers de Montréal et de Québec. Le programme d’intervention a été implanté en formant une équipe d’infirmières spécialisées en périnatalité rattachées aux hôpitaux participants. Compte tenu du temps que l’infirmière passe auprès des parents et du rôle de liaison qu’elle est en mesure d’assumer entre les différents professionnels, elle est une personne clef dans le soutien aux familles. Sa présence assure également la continuité du suivi par les médecins après l’annonce de la déficience aux parents.

? Formation des intervenantes

6Les infirmières ont reçu une formation pour les rendre aptes à appliquer le PRIFAM (Pelchat, 1989). Outre l’aspect théorique couvert en cent heures, cette formation incluait des rencontres de rétroaction, collectives ou individuelles, hebdomadaires, puis mensuelles, au cours desquelles les intervenantes analysaient leurs pratiques, accompagnées du professeur-chercheur principal. Elle est fondée sur une approche de partenariat dont le but est l’appropriation du programme d’intervention “Infirmière systémique familiale précoce”.

? Déroulement de l’intervention

7L’intervention consiste en une série de six à huit rencontres de l’infirmière avec la famille. Deux ou trois rencontres sont effectuées à l’hôpital, la première quelques heures après la naissance de l’enfant, et les autres, selon les besoins des parents. L’infirmière accompagne le médecin au moment de l’annonce de la déficience de l’enfant aux parents ou elle rencontre ces derniers immédiatement après. Quatre à six rencontres ont lieu au domicile familial durant les six premiers mois de vie de l’enfant.

Retombées de la recherche pour la clinique

8Les résultats de cette étude ont d’importantes retombées pour la clinique. Les réflexions faites par les équipes médico-nursing des hôpitaux participant au programme les ont conduites à reconnaître l’importance du père dans le processus d’appropriation de la situation familiale et à l’impliquer davantage dans le processus de soin.

9La meilleure adaptation des parents, leur plus grande autonomie et leur meilleure perception de la déficience de l’enfant favorisent une utilisation plus éclairée et plus judicieuse des ressources de santé qui peut contribuer à réduire les coûts des services de soins. Les infirmières qui appliquent le programme sont mieux outillées pour intervenir auprès des familles en situation de stress intense, ainsi que pour reconnaître l’expertise des parents et leur faire confiance. La prise de décision par consensus en partenariat contribue à alléger leur fardeau d’infirmières, les protège de l’épuisement professionnel et leur permet d’évoluer au plan personnel et professionnel (Pelchat et Berthiaume, 1996). De plus, elles observent que leur crédibilité s’accroît auprès des médecins et des autres professionnelles de santé.

Acquisition de savoirs professionnels et de savoirs parentaux

10L’équipe de recherche a constaté que les intervenantes témoignaient, dans leur cahier de suivi, d’apprentissages réalisés par les membres de la famille mais aussi par elles-mêmes. L’équipe s’est rendue compte qu’elle disposait de données inestimables pour approfondir l’expérience des infirmières et des familles. Une étude a permis d’identifier les processus d’apprentissage chez les infirmières et chez les parents lors de l’intervention (Pelchat, Lefebvre, Proulx, Bouchard, Perreault et Bouchard, 2004). Les résultats montrent que les parents acquièrent des savoirs en vivant la situation de transition dans laquelle ils sont soudainement plongés et en réfléchissant après coup à cette expérience. Les infirmières se rendent compte qu’elles ont appris à s’utiliser elles-mêmes comme outil thérapeutique. Elles ont particulièrement développé le rôle de guide et de soutien émotif auprès des familles et l’adaptent maintenant à toutes leurs clientèles. Elles comprennent davantage l’importance pour les familles d’être en contact avec d’autres qui vivent les mêmes difficultés. Elles disent que les parents, par leurs attitudes, leur donnent une leçon de vie ainsi qu’aux membres de la famille élargie. Elles intègrent certains savoirs acquis lors de l’intervention à leur vie personnelle, ce qui les fait évoluer. Elles se disent plus à l’aise pour vivre la différence. Enfin, elles prennent conscience de l’effet positif dans leur vie personnelle et familiale du fait d’avoir suivi ces familles.

11Voici les propos d’une infirmière : “J’ai compris au contact des familles que les accompagner dans les étapes du processus de deuil, être témoin de leur souffrance, les accueillir avec toute leur peine, être présente pour eux leur permettraient de « survivre » à cette épreuve et même de grandir à travers celle-ci. Je me présentais tout simplement aux couples et je tentais de les aider à mieux comprendre ce qui leur arrivait, à démystifier le problème de l’enfant, à défaire les préjugés et à ouvrir la porte vers l’espoir. En tant qu’intervenante, je suis aussi bouleversée par la naissance d’un enfant avec une déficience, par la souffrance des parents et des grands-parents, et cette sensibilité se traduit par des mots et quelquefois par des pleurs pour établir une relation avec eux. Il faut se permettre d’avoir accès à nos sentiments, les vivre, les communiquer et être à l’aise pour partager ses émotions.

12Ceux d’un parent : “La première personne qui a été une étoile pour moi est sans contredit une infirmière qui nous a supportés, Jean et moi, à la naissance de Marie. Sa présence a été importante et salutaire. Elle est venue à moi pour panser mon âme, soulager mes angoisses et me permettre de dire ma douleur. Elle a entrepris des actions concrètes pour nous soulager (une démarche auprès du service de réadaptation pour débuter rapidement un programme de stimulation précoce) mais surtout, elle nous a fait voir l’enfant qui se cachait derrière la trisomie. Marie est bien plus qu’un chromosome supplémentaire, elle est notre fille, le fruit de notre amour, la fleur qui enjolive le jardin de notre famille. Suzanne est à la base de cette réflexion.

13Et ceux d’une gestionnaire : “Notre association à ce projet amène des retombées fort intéressantes au sein de notre personnel clinique et de nos médecins. La sensibilisation à ces problématiques, le développement d’outils d’intervention et l’esprit d’ouverture que prône votre approche sont autant d’enrichissement pour notre centre.

Retombées du PRIFAM

14Plusieurs milieux hospitaliers ont implanté le PRIFAM dans leurs unités périnatales, suite à l’évaluation des effets sur l’adaptation des familles et des apprentissages réalisés par les infirmières qui avaient appliqué le programme. À la demande des milieux cliniques et conjointement avec la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, le programme de formation “Soins à la famille suite à la naissance d’un enfant ayant un problème de santé” a été proposé aux étudiants du deuxième cycle universitaire avec soutien Internet (wwww. scinf. umontreal. ca/ famille). De plus, le PRIFAM est actuellement enseigné dans le cours sur la famille au niveau du baccalauréat en sciences infirmières. Cela assure la généralisation de son application auprès des familles aux différentes étapes de leur développement et dans différents milieux de soins.

15Par ailleurs, le PRIFAM a été adapté, avec la collaboration des professionnels, auprès de la clientèle traumatisée crânienne, des soins aigus à la réadaptation, dans une perspective interdisciplinaire (Lefebvre, Pelchat et Levert, 2006). Le programme de formation a été donné par un cours sur Internet. Les résultats montrent que les apprenants transforment leur manière d’être en relation avec les personnes souffrant d’un traumatisme crânien, avec les familles, avec leurs collègues et avec leur entourage. La formation amène les professionnels à développer ce lien avec la famille dans un rapport d’égalité entre les partenaires : leurs interventions reposent maintenant davantage sur des assises théoriques et techniques éprouvées. Le cours sur Internet en intervention familiale se révèle une excellente ressource pédagogique qui suscite une évolution de la pensée réflexive des participants, tant au plan professionnel que personnel et pour le travail en interdisciplinarité.

Conclusion

16Le PRIFAM a fait l’objet de plusieurs recherches évaluatives et entretient un lien de réciprocité étroit avec la recherche et la clinique. Cette nouvelle approche constitue une alternative aux interventions courantes, qui s’inspirent du modèle médical traditionnel. La formation au PRIFAM a pour principale retombée que les familles sont accompagnées par les intervenants dès l’annonce du diagnostic et bénéficient d’une intervention qui répond à l’ensemble de leurs besoins sur les plans individuel, parental, conjugal et extrafamilial. Le PRIFAM enseigne aux intervenants comment faire une lecture analytique de leur pratique et comment établir une relation de partenariat avec les familles ainsi qu’avec les autres intervenants de l’équipe de soins. ?

17Pour en connaître davantage sur le PRIFAM, veuillez consulter le livre Apprendre ensemble le PRIFAM, Programme d’intervention interdisciplinaire et familiale (2005), et le site “Soin à la famille suite à la naissance d’un enfant avec un problème de santé” : wwww. scinf. umontreal. ca/ famille

Français

Résumé

Cet article décrit le processus de développement d’un Programme d’intervention interdisciplinaire et familiale (le PRIFAM), son implantation dans les centres hospitaliers, la formation des intervenantes et le déroulement de l’intervention dans une approche de partenariat. Les apprentissages effectués par les parents et par les professionnels lors de son application, de même que les retombées dans les milieux et son adaptation à la clientèle adulte sont exposés. Pour en connaître davantage sur le PRIFAM, veuillez consulter le livre “Apprendre ensemble Le PRIFAM Programme d’intervention interdisciplinaire et familiale (2005)” et le site “Soin à la famille suite à la naissance d’un enfant avec un problème de santé”, www.sinf.unomtreal.ca/famille.

Bibliographie

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  • D. Pelchat, ”Annonce de la déficience et processus d’adaptation de la famille. Handicap, médecine, éthique”, Les cahiers de l’AFREE, Montpellier, 6, 1994, 81-88.
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  • D. Pelchat, H. Lefebvre, C. Damiani, ”Deuil-appropriation de compétences-transformation”, Pratiques psychologiques, numéro thématique sur la résilience, sous la dir. de Régine Scelles, 1, 2002, 41-52.
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  • B. Sandrine-Berthon, ”Pourquoi parler d’éducation dans le champ de la médecine ?”, L’éducation du patient au secours de la médecine. Éducation et formation. Biennales de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 7-40.
Diane Pelchat
Professeur titulaire à la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, elle est chercheur au Centre de recherche interdisciplinaire de réadaptation (CRIR) du Montréal Métropolitain et responsable de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur la famille (ERIFAM). Ses travaux, portant sur le partenariat professionnel/famille suite à la naissance d’un enfant avec un problème de santé, sont connus sur les plans national et international.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.133.0106
Pour citer cet article
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