1Dorénavant, un grand nombre d’hommes s’engagent dans le ”devenir père” dès la naissance de leur bébé. Un père présent, impliqué, ni ”frangin” ni ”pote”, capable d’apporter une contribution spécifique dans l’éducation et dans la socialisation de l’enfant se dessine. Toutefois, la paternité, à l’égal de la maternité, n’est pas un long fleuve tranquille…
2Tôt ou tard, la grande majorité des hommes et des femmes menant une vie de couple en viennent à désirer que leur relation se prolonge dans l’aventure de la procréation et s’ouvre ainsi à la vie familiale (en France, on estime que 90 % des femmes et 85 % des hommes ont un ou des enfants ; 10 % des femmes et 15 % des hommes pouvant être dits “sans enfant”). La banalité des faits pourrait laisser croire que l’expansion du conjugal vers le parental s’explique tout simplement par la biologie (transmission de la vie) ou par la sociologie (pression à la conformité). Il n’en est rien et les “psy” estiment au contraire que, lors de ce grand passage, les aspirations, les attitudes et les conduites des deux futurs parents sont le siège de remaniements complexes (on parle du devenir mère et du devenir père). Dans le cas de l’homme, on a surtout mis l’accent jusqu’ici sur les aspects positifs du processus, sur l’enrichissement que procure la promotion de l’état de fils à l’état de père, sans trop se soucier des éventuels accidents de parcours. Or la “paternalisation” [1] ne se déroule pas toujours comme un long fleuve tranquille : le devenir père peut être émaillé de ratés, de moments de désarroi et, à un degré de plus, conduire à la crise du couple conjugal et à la rupture. En prenant appui sur des questionnaires d’enquête et sur des entretiens menés auprès de pères rencontrés au cours des dernières années [2], je voudrais dire comment on peut rendre compte de cette apparente antinomie.
Signification et dynamique du devenir père
3Si la “paternalisation” est en général bien vécue par les hommes d’aujourd’hui, c’est sans doute parce que, depuis un quart de siècle, les chercheurs et les cliniciens – et à leur suite les médias – ont abondamment fait savoir que l’implication précoce du père pouvait s’avérer bénéfique pour les deux parents et pour le bébé, mais aussi parce que les pères eux-mêmes, stimulés par les incitations de leurs conjointes, abordent ce processus comme une série d’étapes structurantes et valorisantes. Un pas vers l’accomplissement de l’identité masculine. L’acquisition d’un supplément… d’homme. En effet, l’homme ancien n’était pas invité à participer à l’odyssée exclusivement féminine du portage, du nourrissage et du “pouponnage”. Il n’avait du reste ni l’envie ni le loisir de s’en mêler : ce n’était vraiment pas son affaire et il devait trouver suffisamment d’occupations et de satisfactions dans les travaux des champs, à l’usine ou au café. Son entrée en paternité se faisait plus tard, beaucoup plus tard, quand l’enfant avait atteint “l’âge de raison”, au terme d’une mise à l’épreuve à valeur initiatique. En résumé, quand l’enfant était arrivé à bon terme, l’homme était d’emblée désigné comme père géniteur et père légal ; par la suite, il s’imposait comme père social, mais sans jamais passer véritablement par les stades du devenir parent.
4Les temps ont bien changé et, au moins dans les milieux économiquement et culturellement dotés, les hommes savent maintenant que sans paraître “efféminés”, ils peuvent s’engager aux côtés de leur partenaire dans ce long processus d’accompagnement relationnel qui concerne l’enfant à naître, puis le nouveau-né, enfin le jeune enfant. Quelles sont les phases essentielles de ce co-cheminement [3] ?
L’attente
5Classiquement, on considérait que le désir d’enfant existait surtout chez celle qui faisait fonction de génitrice et de nourrice : la mère. Un désir longtemps soumis du reste aux aléas de la fécondation. Désormais, le contrôle des naissances permet que la décision de “faire” un enfant puisse venir après un temps de maturation, de réflexion, de choix et, nouveauté considérable, le projet de procréation résulte de plus en plus couramment de la volonté du couple. “Cet enfant, on l’a voulu à deux”, entend-on dire souvent. Il n’est pas rare d’ailleurs que des pères avouent qu’ils ont souhaité devenir parent avec autant – voire plus – d’intensité que leur amie ou épouse.
6Il est devenu habituel que l’adhésion du futur père se concrétise dans la participation aux visites d’échographie et, plus rarement, aux séances de préparation à la naissance. Un certain nombre de pères – trop peu à coup sûr – ont bénéficié, au cours des dernières décennies, de deux innovations particulièrement bénéfiques dans ce domaine. D’une part, la possibilité d’entrer en communication affective avec l’enfant à naître grâce à un toucher enveloppant : c’est l’objectif poursuivi par le promoteur de l’haptonomie, F. Veldman, et, à sa suite, par C. Dolto. D’autre part, l’invitation à s’affilier à un groupe de parole où, dans l’échange avec d’autres hommes en attente de paternité eux aussi et grâce à la présence d’un animateur, ils ont l’occasion d’exprimer leurs émotions, leurs interrogations, leurs inquiétudes éventuelles et de se préparer, à leur façon, à assumer leur nouvelle responsabilité : c’est ce qu’ont mis en place des praticiens français comme A. Benoit, G. Strouk, etc.
L’accueil
7Les femmes qui jadis se pressaient au chevet de la parturiente (les matrones) ont été remplacées par les sages-femmes, on reste toujours entre femmes, mais il est acquis maintenant que le père doit, si possible, entourer sa compagne lors des derniers moments de la gestation et même, à condition de garantir la discrétion, être présent pendant la période de l’accouchement. La quasi-unanimité des pères est désormais invitée à entrer dans la salle de naissance et à être témoin de la venue au monde de leur fils ou de leur fille. C’est seulement en cas de refus explicite de l’un des deux parents qu’on déroge à ce rituel. Les membres du personnel soignant sont presque toujours favorables à cet usage [4] et ils admettent que la proximité physique et affective du père, sa jubilation irradiante peuvent contribuer de façon significative à la sérénité et au confort de la mère [5].
La relation père-bébé et l’éducation première
8La “paternalisation” entre dans sa phase active quand le bébé est là, visible à l’œil nu (et non plus deviné sur un écran de contrôle !), faisant entendre sa voix, agitant bras et jambes… Le nouveau-né commence à prendre sa place de partenaire dans la communication et, aux côtés de la mère, le père va pouvoir se positionner comme troisième : on parle alors de triade [6].
9Le père va aussi pouvoir se charger d’une partie des activités de soins (caregiving), ce que jadis on appelait le maternage.
10C’est souvent la mère qui assure encore les tâches les plus ingrates mais, depuis trente ans, l’évolution des conditions et des conceptions de vie a été telle que désormais le partage avec le père est moins inégalitaire. Dans les dernières années, on estimait que le “temps parental”, à savoir le temps passé avec et pour l’enfant, se distribuait entre mère et père dans la proportion deux tiers – un tiers : vingt-cinq heures par semaine en moyenne contre douze heures [7]. On est encore loin d’un rapport équilibré mais qui aurait pu prévoir en 1900 que les pères du XXIe siècle seraient aussi manifestement engagés sur ce terrain ? Qui aurait pu prévoir il y a seulement vingt ans que 61 % des pères solliciteraient le congé de paternité (quatorze jours : onze plus trois) dès la première année de sa mise en place, en 2002 ? Assurément, les pères s’occupent plus volontiers et plus largement de leur(s) jeune(s) enfant(s).
11Par-delà le problème de la répartition du temps parental se pose la question beaucoup plus délicate du rôle des pères actuels : devenir père, cela veut dire quoi, au juste ? Comment être père aujourd’hui ? C’est le thème que j’ai abordé dans plusieurs ouvrages et sur lequel je voudrais revenir en évoquant les quatre types de pères que je distingue. Après avoir souligné l’intérêt et les limites du “père sévère”, le modèle socle, celui qui s’inspire de la tradition et qui a connu sa théorisation la plus achevée chez J. Lacan (plus récemment, chez P. Legendre, P. Julien, etc.), j’ai défini trois figures de paternité modernes. Le “papa-poule”, désignation un peu ironique du père au foyer (primary caregiver), modèle promu par le courant féministe américain, étayé par les travaux sur l’attachement et sur l’androgynie psychologique, mythifié enfin par le cinéma et par la littérature [8]. Le “père libéré”, modèle alternatif et pragmatique incarné de nos jours par des hommes qui s’affranchissent des normes anciennes de la biparentalité et de l’hétéroparentalité (les deux parents et les deux sexes) et assument leur position de “père recomposé” ou de “père homosexuel” [9]. Le “père présent”, que je considère comme le modèle le plus favorable, celui qui concrétiserait l’optimum de la fonction du père, dans la mesure où serait satisfaite une double exigence : la différenciation et l’implication. Pourquoi ce choix ? Tout simplement parce que c’est, à mon avis, le modèle qui prend le mieux en compte les besoins fondamentaux de l’enfant [10].
Des besoins depuis longtemps identifiés et reconnus comme essentiels
12Besoin de se repérer dans la différence des générations (le père n’est ni un “frangin” ni un “pote” : il a le droit et le devoir de poser des limites) ; besoin de se repérer dans la différence des sexes (le père n’a pas le même sexe que la mère et le fils n’a pas le même sexe que la fille). Comme l’ont fort justement énoncé les psychanalystes, l’enfant doit être au clair sur ces deux registres et le père ne peut pas se dérober à l’obligation d’exercer les sous-fonctions de séparation, de “sexuation” (rôle dans la construction de l’identité sexuée) et de transmission. Mais faut-il pour autant en rester à la conception d’un père uniquement réduit à dire toujours non et nécessairement tenu à distance du jeune enfant [11] ? Je ne le crois pas et j’estime que la sollicitude, la mise en confiance, la pratique du partage, le respect mutuel facilitent l’apprentissage des règles de vie et préparent beaucoup mieux que la froide autorité à l’accès aux valeurs d’égalité, de tolérance et de solidarité.
Des besoins nouveaux pas encore suffisamment repérés et pourtant basiques
13Besoin d’un père impliqué dès le commencement, le plus tôt possible et pas à un âge qui viendrait après “l’âge de la mère” : ce père-là sera rapidement perçu comme autre que la mère et son influence pourra se faire sentir au cours des six premiers mois de la vie (on a montré qu’à l’âge de 4 mois, un bébé était capable de montrer dans sa posture et sa gestualité qu’il différenciait visuellement sa mère et son père). Besoin d’un père impliqué directement, dans une relation qui ne passe pas nécessairement par la médiation de la mère : c’est dans le face-à-face, dans le dialogue verbal et non verbal, dans les échanges ludiques et non ludiques que l’influence du père prendra toute sa mesure (les travaux qui ont mis en évidence l’action précoce du père portent précisément sur ces situations d’interaction duelle). Besoin d’un père impliqué sur de multiples registres et pas seulement dans le contrôle et le maintien de l’ordre : on sait bien désormais que le père est en mesure d’apporter une contribution spécifique dans la socialisation, dans la construction du langage et de l’intelligence, dans l’ancrage et l’équilibrage affectif. Les travaux américains, ceux de M. Lamb en particulier [12], mais aussi des travaux allemands, helvétiques… et français [13] en ont apporté la preuve irréfutable.
Périodes critiques et accidents de parcours
14Je n’aborderai pas ici la psychopathologie de la “paternalisation”. D’abord parce cette question sort du domaine de mes compétences, ensuite parce que les troubles mentaux proprement liés à la paternalité semblent peu fréquents : c’est ce qui ressort des publications venues de psychiatres (comme R. Teboul), d’obstétriciens (tels que G. Strouk) ou de psychanalystes (à l’exemple de A. Bouregba).
15Dans le cadre des observations tirées de la vie quotidienne, on doit en revanche évoquer le cas des hommes qui, à tel ou tel moment du devenir père, éprouvent de vraies difficultés pour faire face aux événements et remplir leur office de parent. Avant d’envisager la place et les modalités existentielles de ces périodes sensibles, il faut s’interroger sur la cause de leur apparition. On serait tenté de rapporter ces “crises” au phénomène d’épuisement (burn-out) décrit à l’origine chez les soignants mais, après examen des faits, cette mise en relation se révèle peu pertinente : si la fatigue d’être parent peut temporairement affecter les mères qui subissent un excès de stress (la double journée), il est exceptionnel qu’un homme en arrive à être surmené du fait de sa participation aux activités de soin ! Je crois qu’il faut chercher ailleurs les déterminants du mal-être que connaissent certains hommes en instance de paternité ou déjà pères, et je suis enclin à penser que c’est prioritairement le saut de la conjugalité à la parentalité qui fait problème chez eux : tout se passe comme si procréation ne pouvait plus rimer avec récréation, reproduction avec affection ou passion, comme si la mise en harmonie des deux états n’avait pas pu s’opérer ; comme si, pour parler clair, l’homme butait sur l’opposition indépassable entre vie de couple et vie de famille. À la manière de ce personnage de Compartiment pour dames [14], l’homme semble alors s’écrier : “Nous sommes là l’un pour l’autre. Que demander de plus ?”, et on le voit qui refuse d’affronter les bouleversements liés à l’entrée en scène d’un nouveau personnage, l’enfant. En fait, la déconvenue peut surgir à différentes phases du processus. On identifiera quatre séries d’obstacles à surmonter [15].
Les transformations du corps et du caractère de la conjointe
16On a beau essayer de rassurer les hommes, les persuader que leur partenaire est restée aussi séduisante et aussi désirable qu’auparavant, que la relation amoureuse peut être poursuivie sans risque et sans diminution de plaisir… la réalité se révèle parfois plus terne, moins radieuse, surtout si la grossesse a entraîné une forte prise de poids, l’apparition d’épisodes de “déprime”, d’hypersensibilité ou d’irritabilité. À différents moments de la “gestation”, la femme peut se montrer moins disponible, plus indifférente au contact corporel, et l’homme peut être tenté de se détourner, d’aller “voir ailleurs” ou d’entrer de front dans un désaccord sexuel.
Le choc de l’enfantement
17On a beau attendre avec impatience l’instant où va prendre fin la vie cachée du monde intra-utérin ; on a beau magnifier le temps de la mise au monde, décrire l’accouchement comme une apothéose, célébrer les vertus de la communion entre celle qui souffre dans sa chair et celui qui l’assiste avec le plus possible d’empathie… le spectacle des dernières phases de la grossesse est parfois difficile à vivre et la violence irréductible des périodes du “travail” ou de l’“expulsion” (avec la douleur, la vue du sang) peut parfois heurter la sensibilité de l’homme-conjoint et provoquer chez lui un véritable traumatisme. Le couple risque alors d’être ébranlé et de s’effondrer.
La prévalence accordée au bébé
18On a beau admettre qu’un tout jeune enfant a un besoin vital d’être protégé et dorloté par une figure maternelle, qu’une mère est le plus souvent portée à entourer et câliner son enfant, que la “préoccupation maternelle primaire” est un état provisoire et que la fusion mère-nourrisson ne durera qu’un temps… l’attention que la mère accorde au bébé peut paraître démesurée, notamment lorsque la femme a décidé d’allaiter. Certains hommes ont alors l’impression que les seins de leur partenaire ont perdu leur fonction érotique habituelle et ils se vivent comme exclus d’une relation qui chez le nourrisson va, à l’évidence, au-delà de la simple satisfaction du besoin alimentaire. Il y a encore risque de tempête pour le couple.
Les contraintes du partage des tâches
19On a beau s’extasier devant les pères qui donnent le biberon, qui changent la couche et se lèvent la nuit, bref devant ceux qui s’investissent largement dans les soins et le jeu avec l’enfant… la nouvelle charge de travail domestique semble trop lourde à porter, triviale, répétitive et peu gratifiante. L’enthousiasme initial s’épuise au fil des jours et voilà que l’ennui commence à apparaître avant d’ouvrir la voie insidieusement à la lassitude, à l’abandon de toute participation aux activités de soin, au refus des responsabilités éducatives et… à la mésentente conjugale.
20C’est ainsi qu’au cours du devenir père, diverses perturbations peuvent venir s’interposer et exercer une influence déstabilisante. Il y a fort à parier que le phénomène n’a rien d’exceptionnel et qu’il explique une bonne part des divorces répertoriés au cours des cinq premières années de vie maritale (20 % du total en 2003).
21À défaut de données scientifiques fiables, on peut supposer que cette forme de décrochage survient parmi des hommes tout-venant (hors de toute pathologie avérée), mais que dans la majorité des cas, la fragilité émotionnelle, l’intolérance à la frustration, le manque de maturité affective et sociale, l’individualisme exacerbé apparaissent – isolément ou de façon cumulée – comme des inducteurs de l’incapacité à résoudre le conflit entre conjugalité et parentalité. Il est certain aussi que cet enchaînement causal se révèle encore plus difficile à dénouer quand la précarité économique et la précarité relationnelle viennent ajouter leurs funestes effets.
22À l’évidence, les professionnels de l’action sociale doivent se préoccuper des accidents de la “paternalisation”, notamment lorsque ceux-ci mettent en péril la vie de couple. En liaison avec les personnels spécialisés (obstétriciens, sages-femmes) et les thérapeutes (dont l’intervention est parfois indispensable), ils ont un rôle important à jouer dans l’écoute, le conseil et l’aide psychologique (à travers des groupes de parole pour les futurs pères, des séances de préparation à la naissance pour les couples, des rencontres de jeunes parents, etc.). Bref, un rôle de prévention et de soutien. ?
NOTES
-
[1]
Terme utilisé par S. Lebovici (en 1994, 1995…) pour désigner le processus psychique au cours duquel un homme devient père. Dans la même ligne de pensée et dès les années 1980, on avait créé les néologismes “paternage” (les soins assurés par le père) et “paternalité” (paternité psychique), trois expressions à mettre en correspondance avec “maternage”, “maternalité” et… “maternalisation” ; “parentage”, “parentalité” et… “parentalisation”. Le jargon psy est parfois inflationniste !
-
[2]
Ces études doivent beaucoup à mes anciens étudiants de doctorat à l’Université Toulouse-Le Mirail. La plupart de ces ex-coéquipiers sont aujourd’hui enseignants-chercheurs.
-
[3]
J’envisagerai seulement le cas de la procréation dite “naturelle”, mais il est bien évident que plusieurs des phases considérées se retrouvent dans une démarche de procréation médicalement assistée (IAD, FIV, etc.), et même dans une démarche d’adoption (on peut avec autant de pertinence parler dans ce cas de l’attente, de l’accueil, de la relation précoce…).
-
[4]
Seul ou presque l’obstétricien (pro-lacanien) B. Fonty émet des réserves. Il a récemment écrit Les pères n’ont rien à faire dans la maternité, Paris, First, 2003, mais c’est sans doute pour mettre en garde contre certaines dérives.
-
[5]
On sait que dans le bouillonnement culturel des années 1980 et sous l’impulsion notamment du psychanalyste B. This, on a aussi préconisé deux gestes à haute valeur symbolique : la ligature du cordon ombilical (séparation) et le bain (ouverture au monde).
-
[6]
En France, c’est surtout M. Lamour qui a travaillé sur la mise en place, la dynamique et les dysfonctionnements du “triangle primaire”, à savoir la “triade” père-mère-enfant. L’idée forte est que les deux parents se font parent mutuellement et que le bébé participe à la “parentalisation” de sa mère et de son père.
-
[7]
Résultat d’une enquête réalisée en mars 1999 par une unité de recherche du CNRS (équipe dirigée par M.-A. Barrère-Maurisson). Voir le compte rendu du journal Le Monde, 27 mai 2000.
-
[8]
Ce modèle immortalisé par le film de C. Serreau, Trois hommes et un couffin (1985), a été récemment illustré dans les portraits savoureux brossés par J. Garcin dans Théâtre intime, Paris, Gallimard, 2003, et par J.-P. Dubois dans Une vie française, L’Olivier, 2004.
-
[9]
Dans l’ouvrage de 2005, je rapporte deux entretiens accordés par des pères inscrits dans ce modèle : L., un homme qui a été père (par deux fois), puis beau-père (de deux enfants) et de nouveau père (encore à deux reprises) ; J.-P., un père homosexuel qui a adopté et élevé un petit garçon originaire d’Afrique.
-
[10]
Dans ce cadre, j’envisage le cas de J. et D., deux pères qui, au terme de la rencontre, m’ont semblé totaliser, c’est-à-dire articuler de façon harmonieuse, différenciation et implication.
-
[11]
Quelques psychanalystes estiment encore que les pères n’ont pas leur place dans la proximité du bébé. F. Dolto, pourtant acquise à l’idée très actuelle que la triangulation mère-père-bébé commence dès la conception de l’enfant, ne préconisait pas que les pères s’occupent des bébés : “pas avant 18 mois”, précisait-elle dans Quand les parents se séparent, Paris, Le Seuil, 1988, p. 53. Aujourd’hui, ce conseil est réitéré et renforcé par le pédiatre A. Naouri, théoricien fougueux de l’opposition radicale mère-père (logique de la grossesse face à la logique du coït ; logique du “oui à tout” face à la logique du “non à tout”).
-
[12]
M. Lamb (éd.), The Role of the Father in Child Development, New York, Wiley, 1997.
-
[13]
J. Le Camus, F. Labrell, C. Zaouche-Gaudron, Le rôle du père dans le développement du jeune enfant, Paris, Nathan, 1997.
-
[14]
A. Nair, Compartiment pour dames, Philippe Picquier, 2002.
-
[15]
Dans son dernier roman – Un heureux événement, Paris, Albin Michel, 2005 –, E. Abecassis nous convie avec humour et perspicacité à faire défiler le film des déconvenues de la “parentalisation” (on y retrouve du reste les principales périodes critiques que j’ai moi-même distinguées). L’auteur met son talent d’écrivain à défendre l’idée que l’enfant, “consécration de l’amour, est aussi son fossoyeur” (p. 186), et en tant que mère, “féminine et féministe”, elle va jusqu’à écrire à propos de sa fille Léa : “C’était elle, l’enfant de notre amour, le destructeur de notre couple” (p. 194).