1Une mise en couple plus tardive, des deuxièmes unions plus fréquentes, des naissances hors mariage en progression (une naissance sur deux), un premier enfant plus tardif, des séparations en hausse, telles sont les principales données démographiques disponibles. Ce recul de l’âge à la première naissance fait baisser le nombre global d’enfants par femme. Quand le choix individuel rejoint des questions de société.
2À travers l’intitulé “Jeunes couples, jeunes parents”, le démographe reconnaît deux phénomènes observés de longue date : la mise en union et la fécondité. Jusque dans les années 1960, l’union prenait très majoritairement la forme du mariage, et rares étaient les naissances qui survenaient hors de celui-ci. Mais à partir des années 1970 les mœurs changent. L’union libre s’est peu à peu imposée pour devenir aujourd’hui la forme quasi exclusive des mises en couple, s’installant parfois dans la durée (Toulemon, 1996), et les premières naissances sont majoritairement enregistrées hors du mariage.
3La mise en couple et la parentalité sont deux des étapes de la trajectoire dans l’entrée dans la vie adulte. Elles sont partagées en France par une très forte majorité d’individus mais interviennent de plus en plus tard dans leur vie. Ce recul constitue, dans l’ensemble des pays européens, certainement l’une des évolutions les plus remarquables de l’histoire familiale des individus observée au cours des dernières années.
Méthode
4Dans cette contribution, le qualificatif “jeune” concerne moins l’âge qu’une antériorité récente de l’événement. Ainsi, “jeune couple” ne signifie pas forcément “couple de jeunes”, et les individus peuvent devenir de “jeunes parents” à un âge avancé (Bessin et al., 2005).
5À une époque où la quasi-totalité des unions durables faisait l’objet d’un mariage précédant presque toujours les naissances, l’exploitation des bulletins civils, couplée à celle des recensements de population, suffisait à l’analyse démographique de ces phénomènes. Qu’en est-il maintenant que l’union libre prend souvent un caractère durable et qu’aucun système d’enregistrement obligatoire des dates de début et de fin d’union n’existe ? L’analyse passe alors par l’exploitation de vastes enquêtes produites par l’INED et l’INSEE, telles que l’“enquête famille” réalisée à l’occasion des recensements généraux de la population. Ces enquêtes rétrospectives et biographiques permettent notamment de croiser les dates d’union des individus et les dates de naissance de leurs enfants. La dernière remonte à 1999, et présente l’avantage d’avoir enquêté à la fois des hommes et des femmes.
6Mais comment définir une union et dater son début ? La définition de la vie en couple dans l’enquête famille de 1999 [1] est “vivre ensemble sous le même toit, pendant six mois ou davantage, avec ou sans mariage”. Elle est restrictive du point de vue de la durée de l’union (six mois) et de sa forme (la cohabitation sous un même toit). La date de début de l’union est celle de l’emménagement avec son conjoint.
7L’entrée dans la parenté, c’est-à-dire la fécondité de rang 1, pourrait a priori s’étudier à partir des bulletins d’état civil ; mais dans les faits, la qualité de la déclaration est encore médiocre. Il y a une surestimation des naissances de rang 1, nombre d’officiers d’état civil considérant encore le rang dans l’union (mariage ou union libre), plutôt que le rang biologique pour les parents.
La mise en couple
Une première union de plus en plus tardive
8Deux articles récents retracent, à partir des données de l’enquête famille de 1999, l’évolution des histoires d’union en France (Delmeire, 2005 ; Prioux, 2005). Ils montrent d’abord qu’au fil des générations, la proportion de femmes et d’hommes ayant vécu au moins un épisode d’union est à peu près stable jusque dans les générations 1960 : autour de 92 % pour les hommes et de 95 % pour les femmes. Dans les générations suivantes, même si les estimations sont délicates, cette proportion devrait légèrement diminuer, tout particulièrement pour les hommes. L’union libre précède désormais quasiment toujours le mariage, quand il a lieu. Les deux auteurs montrent également qu’après une longue période de baisse de l’âge moyen à la mise en union (le minimum observé dans la génération née en 1960 est proche de 23 ans) s’est amorcé un phénomène durable de recul de l’âge à la première union : les hommes et les femmes commencent de plus en plus tard leur vie de couple cohabitant. L’âge moyen dans la génération 1971 sera proche de 26 ans pour les hommes et de 23,5 ans pour les femmes (niveaux proches de ceux observés dans la génération 1930), contre respectivement 24,6 ans et 22,5 ans dans la génération 1955 (niveaux les plus bas observés sur le siècle dernier).
9Parmi les hypothèses avancées pour expliquer ce recul, retenons l’allongement des études, la prudence socio-économique face au chômage des jeunes, la volonté de constituer un capital social et le difficile accès à un logement. La corrélation entre conjoncture économique et indicateurs conjoncturels de mise en union confirmerait ces hypothèses (Prioux, 2005). Mais des problèmes méthodologiques et de définition – comme le développement de nouvelles formes d’union déconnectées de la notion de cohabitation, ou de premières unions d’une durée inférieure à six mois pour les personnes les plus jeunes (Delmeire, 2005) – pourraient également expliquer ce recul.
De plus en plus d’unions de rang 2 et plus
10Intéressons-nous maintenant à l’évolution de la composition par rang d’union des cohortes annuelles de mises en couple et à ses effets sur l’âge moyen à la mise en couple. La majorité des premières unions sont de rang 1 mais la part des unions de rang 2 et plus est en constante progression, du fait du développement des ruptures et des remises en union. Ainsi, une union sur quatre formée à la fin de la décennie 1990 était de rang 2 ou plus, contre moins d’une sur dix en 1980 et une sur vingt en 1970 [2]. Le recul de l’âge moyen à la mise en union est donc la conséquence de deux évolutions : le recul de l’âge à la première mise en union et l’augmentation de la proportion des unions de rang supérieur à un. L’âge moyen des hommes et des femmes à la mise en union a augmenté de plus de quatre années en moins de 25 ans, passant de 22,7 ans en 1972 à 26,8 ans en 1997 pour les femmes, et respectivement de 24,5 ans à 28,8 ans pour les hommes. Sur la même période, l’augmentation est de 2,5 ans pour les premières unions (voir figure 1).
Évolution de l’âge moyen à la mise en union des hommes et des femmes en France – 1970-2000

Évolution de l’âge moyen à la mise en union des hommes et des femmes en France – 1970-2000
11En ce qui concerne les répartitions par âge au moment de l’union sur les périodes 1970-1972 et 1996-1998, une réprésentation en pyramide témoignerait du vieillissement des cohortes de mise en union. L’âge le plus fréquent à la mise en union se décale vers le haut de la “pyramide”, et l’écart entre les hommes et les femmes se maintient. Quelle que soit la cohorte, la proportion occupée par les premières unions décroît avec l’âge à la mise en union, et cette proportion augmente entre 1970-1972 et 1990-1998, quels que soient l’âge et le sexe. Elles sont même minoritaires au-delà de 35 ans.
12La saisonnalité des mises en union est différente de celle des mariages ou des PACS. Alors que la majorité des mariages sont célébrés au cours des deuxième et troisième trimestres (du fait notamment de la clémence du temps, du calendrier scolaire et des dispositions fiscales), les PACS sont prononcés en priorité au cours des premier et quatrième trimestres (sous l’influence probable du calendrier des demandes de mutation dans la fonction publique (Ruelland et al., 2003)). Les unions libres se concentrent pour leur part au troisième trimestre, et tout particulièrement au mois de septembre (voir figure 2). Des raisons pratiques d’emménagement au moment des rentrées scolaires et universitaires pourraient expliquer ce calendrier. L’allongement et la généralisation des études supérieures provoquent de nombreuses décohabitations de chez les parents avant la fin des études, amorçant ainsi le processus d’autonomisation des jeunes adultes. C’est alors l’occasion d’emménager avec son conjoint et de formaliser une relation amoureuse débutée quelques mois voire quelques années auparavant.
Répartition des unions déclarées par les femmes, suivant le mois de début d’union – France, 1995-1998

Répartition des unions déclarées par les femmes, suivant le mois de début d’union – France, 1995-1998
13La régularité de la saisonnalité observée est conforme à la définition adoptée pour la mise en couple dans l’enquête de 1999. La saisonnalité des rencontres, véritables événements fondateurs des couples, est certainement différente, mais aucune enquête récente et significative à l’échelle nationale n’existe sur ce thème. Elle serait pourtant essentielle pour comprendre l’évolution des logiques sociales des mises en couple ressortant des enquêtes plus anciennes qui font aujourd’hui référence (Bozon et al., 1987 ; Girard, 1974).
Devenir parent
14La parentalité est, en France, un phénomène encore partagé par la très grande majorité des hommes et des femmes. Moins de 15 % de la génération 1970 sera sans enfant, ce qui est exceptionnellement bas comparé à la situation en Allemagne, en Suisse ou en Belgique. Cette proportion est proche de celle des générations du début du XXe siècle (Devolder, 2005).
15Jusqu’au milieu des années 1960, les hommes et femmes devenaient parents au sein d’un mariage. Ce fut encore le cas durant une période transitoire d’à peine dix ans, même si les conceptions étaient souvent prénuptiales (plus d’un quart des femmes étaient enceintes au moment de se marier au début des années 1970). Ensuite, la proportion des premières naissances hors mariage n’a fait que croître, pour dépasser aujourd’hui le seuil d’une naissance sur deux (Munoz-Perez et al., 2005). Cette dissociation entre mariage et procréation ne doit pas remettre en cause celle existant encore aujourd’hui entre couple et parentalité. La très grande majorité des naissances en France ont lieu au sein de couples cohabitants (plus de plus de 90 % des naissances). Les situations de monoparentalité dès la naissance de l’enfant existent toutefois, elles représentent un peu moins de 10 % des naissances de la période 1990-1998. Cette proportion varie fortement avec l’âge de la mère au moment de la naissance. Elle est maximale aux très jeunes âges et aux âges plus avancés (voir figure 3). Ces proportions doivent être considérées comme des maximum compte tenu des sous-déclarations des unions dans l’enquête famille (Delmeire, 2005). De plus, la définition de l’union adoptée pour l’enquête sous-entend qu’une partie des 10 % des enfants nés hors de toute union déclarée par la mère est issue de couples stables mais non cohabitants au moment de la naissance.
Part des premières naissances associées à aucune union déclarée – France 1990-1998

Part des premières naissances associées à aucune union déclarée – France 1990-1998
16Le réel bouleversement de la parentalité ne tient donc ni dans le fait de devenir ou non parent ni dans la situation familiale à la naissance des enfants, mais plutôt dans le recul de l’âge à la première naissance. À l’instar de la mise en union, la parentalité survient de plus en plus tard. L’âge moyen à la naissance du premier enfant, stable de 1960 jusqu’au milieu de la décennie 1970, proche de 24 ans pour les femmes [3], n’a ensuite jamais cessé d’augmenter, pour atteindre 28 ans à la fin des années 2000. Ce recul se poursuit aujourd’hui. En revanche, la dispersion relative de la distribution des âges à la première naissance est stable, légèrement supérieure chez les hommes. En 1998, les hommes sont devenus pères pour la première fois à 29,9 ans en moyenne, contre 27,7 ans pour les femmes. L’écart entre les hommes et les femmes varie depuis plus de trente ans entre 2,2 ans et 2,9 ans. Il diminue en valeur relative (voir figure 4).
Évolution de l’âge moyen des parents à la naissance des enfants de rang 1 selon le sexe – France, 1963-1998

Évolution de l’âge moyen des parents à la naissance des enfants de rang 1 selon le sexe – France, 1963-1998
17L’expérience plus tardive de la parentalité devrait, pour des raisons pratiques (infertilité croissante avec l’âge) mais également psychosociologique (investissement important en temps pour l’enfant, coût d’une rupture dans une carrière professionnelle plus avancée, représentation collective de l’âge à la parentalité…), faire progressivement baisser la fécondité aux rangs supérieurs.
18Un autre bouleversement est l’augmentation des remises en couple qui conduit certains hommes et certaines femmes à renouveler une expérience de la parentalité avec un nouveau partenaire. La proportion des couples dont au moins un des membres a déjà un enfant au début de l’union est en constante augmentation (voir figure 5). Les enfants issus de ces nouveaux couples seront les premiers-nés de l’union sans être les premiers nés biologiques des deux parents. L’origine de l’augmentation est avant tout le changement de structure par âge des cohortes de mise en union puisque, à âge égal à la mise en union, les proportions de celles dont au moins un des couples est déjà parent varient très peu sur la période 1980-1996. De plus, certains des enfants nés avant le début de l’union sont en réalité des enfants du couple dont les conjoints ne cohabitaient pas au moment de la naissance de l’enfant. Les proportions sont des estimations hautes du phénomène, et une partie de l’augmentation peut être attribuée à la hausse du nombre de couples non cohabitants au moment d’avoir leur premier enfant.
Proportion des personnes avec au moins un enfant au moment de se mettre en union

Proportion des personnes avec au moins un enfant au moment de se mettre en union
Cinq ans après le début de l’union
19Si la grande majorité des enfants naît au sein d’un couple, le devenir des couples ne passe pas forcément par la naissance d’un enfant. Une partie d’entre eux se sépare avant de devenir parent, d’autres restent sans enfant. En l’absence de séparation, quelle proportion de couples aurait eu au moins un enfant ? Pour répondre à cette question, les démographes calculent classiquement des indicateurs en posant une hypothèse d’indépendance entre le phénomène étudié (ici, ce serait la naissance d’un enfant au sein d’une union) et celui qui l’empêche de se produire (ici, ce serait la séparation). Cette hypothèse n’étant certainement pas vérifiée, il est assez probable que les couples les moins solides sont également ceux pour lesquels la probabilité d’avoir un enfant est la plus faible. Par conséquent, nous nous contentons d’observer la situation des couples cinq ans après le début de l’union (voir figures 6-1 et 6-2). La stabilité du couple varie très peu avec l’âge à l’union (80 % des unions perdurent au-delà de cinq ans). Plus que le fait d’avoir ou non au moins un enfant lors de la mise en union, c’est l’âge au moment de débuter l’union qui semble déterminer la naissance d’un enfant au sein du couple.
Répartition des couples suivant leur situation 5 ans après le début de l’union selon l’âge au moment de l’union – Unions formées entre 1989 et 1993 dont la femme avait déjà au moins un enfant

Répartition des couples suivant leur situation 5 ans après le début de l’union selon l’âge au moment de l’union – Unions formées entre 1989 et 1993 dont la femme avait déjà au moins un enfant
Répartition des couples suivant leur situation 5 ans après le début de l’union selon l’âge au moment de l’union – Unions formées entre 1989 et 1993 dont la femme n’avait pas d’enfant

Répartition des couples suivant leur situation 5 ans après le début de l’union selon l’âge au moment de l’union – Unions formées entre 1989 et 1993 dont la femme n’avait pas d’enfant
Les séparations du point de vue des enfants
20La proportion d’enfants dont les parents biologiques se séparent est plus faible que celle des unions qui se défont, notamment parce qu’il existe au sein des cohortes d’union une corrélation entre la probabilité de se séparer et celle d’avoir un enfant (Toulemon, 1994).
21Afin de mesurer l’intensité des séparations du point de vue des enfants, nous avons calculé, pour des cohortes d’enfants nés une année donnée, au sein d’un couple cohabitant, deux indicateurs : d’une part, la proportion qui connaîtra une séparation durant l’enfance (les dix premières années de sa vie), et d’autre part, l’âge moyen des enfants au moment de la séparation de leurs parents. Les mesures obtenues à partir des données de l’enquête famille de 1999 montrent que 17 % des enfants nés en 1988 au sein d’un couple ont connu, durant les dix premières années de leur vie, une séparation de leurs parents biologiques, contre 13 % de ceux nés cinq ans plus tôt et 11 % de ceux nés dix ans plus tôt [4].
22En 1998, nous avons déterminé que les enfants mineurs des couples qui se sont séparés étaient âgés, en moyenne, de 8 ans, contre 8,2 ans en 1988. L’âge moyen des enfants à la séparation de leurs parents est donc quasiment stable. Néanmoins, davantage d’enfants sont concernés du fait de l’augmentation très importante du nombre de séparations. On notera enfin que la proportion des couples avec un ou des enfants mineurs, parmi l’ensemble des séparations, diminue de 59 % en 1988 à 44 % en 1998 : on se sépare davantage, quelle que soit la forme de l’union et la descendance atteinte (Prioux, 2005 b). ?
NOTES
-
[1]
Enquête famille de 1999, réalisée par l’INED, aussi appelée “Étude de l’histoire familiale” (EHF). Elle est la source des données utilisées pour les figures de cette contribution.
-
[2]
Une partie de cette évolution s’explique très certainement par un effet de mémoire. Les personnes les plus âgées oublient davantage, volontairement ou involontairement, de déclarer une première union passée.
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[3]
Âge calculé à partir de tables annuelles de primo-fécondité (Mazuy, Toulemon, 2001).
-
[4]
Ce nombre est cohérent avec celui obtenu lors d’une autre enquête menée en France en 1994, à partir de laquelle on montrait que 12,8 % des enfants nés en 1980-1983 au sein d’un couple avaient connu avant 10 ans une telle séparation (Breton, 2002).