1Comment fonder un foyer quand on n’a pas de logement ? Alors que croissent, simultanément, les difficultés d’insertion des jeunes adultes et les files d’attente aux guichets des bailleurs sociaux, l’association parisienne Aire de famille a inventé une réponse d’une simplicité lumineuse. Ce qui ne signifie pas qu’elle ait été aisée à concrétiser ni qu’elle sera facile à pérenniser.
2Pour permettre, dans de bonnes conditions, l’accueil d’un enfant par ses deux parents, l’association Aire de famille [1] procure un appartement à de jeunes couples en situation précaire qui attendent un enfant. Entourés de l’attention vigilante d’un travailleur social de l’équipe, ils peuvent ainsi vivre ensemble et accueillir plus sereinement leur bébé. Le temps est ensuite laissé aux familles de cheminer vers l’autonomie : elles continuent à bénéficier d’un accompagnement global – le cas échéant, jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Puis, le bail de l’appartement, dont l’association était jusque-là titulaire, “glisse” au nom de ses occupants quand ils sont prêts à voler de leurs propres ailes.
La recherche de financements
3Brigitte Chatoney, à l’origine de cette initiative, en a eu l’idée quand elle était chef de service dans un centre maternel. Accueillant des mamans, mais pas des parents, ces structures excluent, de fait, les pères de leur parentalité. Pour éviter qu’ils se retrouvent ainsi évincés et pour favoriser la construction précoce des liens de l’enfant avec chacun de ses deux parents, l’association Aire de famille voit le jour, à Paris, en avril 1997. Mais elle ne démarre son activité qu’en mars 2004 : il lui faut trouver les financements nécessaires à son fonctionnement, et les bailleurs sociaux prêts à lui fournir des logements.
4Touchés par le projet, ceux que rencontre Brigitte Chatoney ont envie de le soutenir. Début 2004, des conventions d’attribution d’appartements sont signées avec une résidence sociale située dans le 18e arrondissement de Paris, ainsi qu’avec deux bailleurs qui détiennent un important patrimoine immobilier dans le 19e arrondissement. Ces derniers, qui ont d’ores et déjà fourni quinze appartements à l’association, sont censés la réalimenter régulièrement en nouveaux logements, puisque les familles conservent le leur quand elles quittent le giron de la structure. Mais ils sont eux-mêmes confrontés à un très faible taux de rotation de leurs locataires, ce qui fragilise le développement de l’action.
5Les financements d’Aire de famille constituent son second talon d’Achille. Effectivement, aux termes de la convention conclue, en février 2004, avec l’État et le département de Paris, 40 % du budget de fonctionnement du centre parental est couvert par l’État, à travers l’octroi d’une subvention triennale – donc précaire – sur des lignes “pauvreté-précarité”… Le reste, en revanche, dépend d’une dotation (pérenne) établie selon un prix de journée [2], que le département verse à l’association au titre de la protection de l’enfance. C’est aussi un service du département – la cellule ADEMIE (Aide départementale envers les mères isolées avec enfant) [3] de la DASES (Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé) – qui centralise et transmet à Aire de famille les dossiers des candidats à l’accueil, puis qui étudie les demandes de prise en charge des familles admises, et leur renouvellement.
La vie, mode d’emploi
6Fin 2005, quinze couples et autant de bébés – puisqu’ils sont aujourd’hui tous nés – sont ainsi chaperonnés par Aire de famille. Comme Moussa et Bafouné, désormais chaudement installés dans le petit trois-pièces d’une rue au nom prédestiné – la rue de la Solidarité –, les jeunes accueillis ont souvent beaucoup “(gal)erré” avant de pouvoir, enfin, poser leurs valises. Cependant, pour signer un contrat de séjour avec la structure, les futurs parents ne doivent pas seulement être en mal d’hébergement. Bien sûr, grâce aux appartements dont dispose le centre parental, avec le droit de les sous-louer à leurs occupants, ces derniers court-circuitent les files d’attente de logements sociaux – si tant est qu’ils aient eu quelque chance d’en décrocher un. Compte tenu de leur précarité financière, c’est aussi l’association qui règle pour les résidents la caution requise à l’entrée dans les lieux : ils la lui rembourseront en plusieurs mensualités, ainsi que le prêt CAF à l’acquisition d’électroménager qu’elle leur propose de solliciter et dont elle avance les fonds. Pour autant, on l’aura compris : Aire de famille n’est pas une agence immobilière, même un peu particulière.
7Outre le désir de vivre ensemble et le besoin de trouver un toit pour nidifier, les futurs parents doivent remplir un certain nombre de conditions. Il faut que la jeune femme soit enceinte de son premier enfant, que l’un des membres du couple – tous deux majeurs – soit parisien et que les postulants disposent d’un minimum de ressources pour payer leur loyer et faire face aux dépenses de la vie quotidienne – même si, dans certains cas, il pourra s’avérer nécessaire de trouver des subsides exceptionnels pour les aider à joindre les deux bouts. Lors de leurs entretiens d’admission, les candidats à l’accueil doivent aussi et surtout manifester leur volonté de s’engager dans un travail de fond avec l’équipe de l’association [4]. La sécurisation des futurs parents sur le plan du logement est, en effet, liée à un projet d’appui global, formalisé dans un contrat d’accompagnement. D’une durée initiale de six mois, celui-ci est élaboré par la responsable d’Aire de famille avec les intéressés et leur référent professionnel – éducatrice spécialisée, éducatrice de jeunes enfants ou assistante sociale. Il prévoit des temps de rencontre obligatoires entre les protagonistes et précise les objectifs qu’ils se fixent et qu’ils réajusteront périodiquement.
8Cet apprentissage accompagné de la vie concerne toutes ses dimensions : l’accomplissement des formalités administratives et, le cas échéant, l’apurement d’anciennes dettes (au sens propre et figuré du terme), l’ouverture des droits sociaux (CAF, RMI, CMU, ASSEDIC…), la préparation de la naissance et de l’accueil du bébé, la découverte du métier de parent et des ressources du quartier pour faire garder et soigner le tout-petit, la tenue du budget familial et bien sûr, pour l’alimenter, l’insertion ou la réorientation professionnelle des jeunes accueillis, souvent par le biais d’une formation qualifiante.
Soutenir les bébés en difficulté de parents
9Un nouvel aspect du travail conduit avec les parents ne figurait pas, initialement, à l’agenda des professionnels d’Aire de famille. Il s’est imposé, chemin faisant, auprès d’un certain nombre de couples dont la relation s’est trouvée fragilisée, une fois passée la période entourant l’attente et l’arrivée du bébé. “Les disputes, les séparations (temporaires), les réactions impulsives de type «adolescentes», surgissent quand le bébé devient un petit enfant d’environ un an”, précise Sylvain Menasché, l’un des deux psychologues-psychanalystes de la structure. Il est vrai que compte tenu de leur âge – 23 ans en moyenne –, les couples n’avaient, dans leur grande majorité, jamais habité ensemble avant la naissance de l’enfant. Il leur faut donc, simultanément, apprendre à vivre comme des parents, comme des conjoints – “et un peu aussi comme des adultes”, ajoute Brigitte Chatoney. Ce programme chargé est probablement encore plus difficile à tenir pour les – nombreux – résidents qui ont eux-mêmes connu un parcours chaotique pendant leur enfance ou leur adolescence : mauvais traitements, succession de placements, jeunes femmes mises à la porte de chez elles quand elles étaient enceintes, errance… “Bien sûr, tout est réversible, affirme la directrice de l’association. Ce n’est pas parce qu’il y a eu rupture, violence, abandon, que les dés sont définitivement pipés.” Mais il faut, évidemment, soutenir les intéressés de façon appropriée. Les professionnels d’Aire de famille s’y emploient, au travers d’entretiens communs où les partenaires peuvent dire leurs difficultés et entendre celles de l’autre. Ils leur proposent aussi des espaces de parole individuels afin de permettre à chacun de redéfinir sa place dans le couple.
10Pour autant, le centre parental n’a pas vocation à se transformer en structure de médiation conjugale. Mais, précisément, les problèmes de couple de certains jeunes parents ne font que renforcer l’intérêt d’un dispositif expressément conçu autour de l’enfant et de sa protection : que le tout-petit soit en gestation ou déjà né, l’objectif est bien de contribuer à lui aménager un environnement – physique et psychologique – sécurisant. Autrement dit, “on prend acte des dissensions du couple en continuant à travailler le lien de chacun des deux parents avec l’enfant pour que, quelles que soient leurs difficultés personnelles, ils continuent à assumer leurs fonctions parentales”, explique Brigitte Chatoney. À cet effet, la responsable continue d’ailleurs à innover : elle a négocié avec un bailleur social pour pouvoir disposer d’un studio… de crise. Bien sûr, il faudra prendre son ticket pour se disputer, mais ce nouvel instrument de travail – d’ores et déjà utilisé – peut provisoirement permettre à l’un des parents de quitter le domicile familial, en ayant la possibilité de recevoir son enfant.
11Pour épauler les parents et les bébés, deux autres projets verront le jour d’ici à septembre 2006, grâce à un financement de la CAF. Tous deux seront accessibles aux familles tout-venant du 19e arrondissement, à la fois pour enrichir la palette des services proposés aux parents du quartier, et pour ne pas enfermer ceux qu’accueille l’association dans un cocon-ghetto. Ces derniers seront néanmoins prioritaires dans la première de ces deux nouvelles structures : une crèche familiale de trente berceaux. Elle devrait fonctionner selon une large amplitude horaire (entre 7 heures et 21 heures, par plages de dix heures maximum) et permettre, exceptionnellement, l’accueil des enfants 24 heures sur 24 en cas de difficultés particulières. Quinze assistantes maternelles encadrées par une nouvelle équipe d’Aire de famille – soit : une éducatrice de jeunes enfants, une psychologue et une infirmière – pourront se retrouver le matin, par petits groupes, dans le local dédié, l’après-midi, aux “Jardins de Sarah”. À l’instar de la Maison verte créée par Françoise Dolto, ce nouveau lieu d’accueil est à la fois un dispositif de prévention précoce des troubles du lien, fondé sur une écoute analytique des familles, et un espace de pré-socialisation des enfants. Douze accueillants s’y relaieront pour entourer d’une sollicitude avertie les tout-petits et leurs parents. ?
NOTES
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[1]
Aire de famille, 53, rue Riquet, 75019 Paris. Tél. : 01 40 38 11 08.
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[2]
En 2006, le montant total du prix de journée, qui est réparti entre l’État et le département, s’élève à 36,73 euros.
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[3]
ADEMIE, 76-78, rue de Reuilly, 75012 Paris. Tél. : 01 53 46 85 75.
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[4]
Fin 2005, l’équipe de la structure comptait (à temps partiel ou complet) : la directrice, deux psychologues-psychanalystes, deux éducatrices spécialisées, une éducatrice de jeunes enfants, une assistante sociale, une comptable et une secrétaire.