1Pendant longtemps, constate le sociologue Jean-Claude Kaufman dans L’invention de soi (2004), les individus n’ont pas manifesté de curiosité particulière à l’égard de ce que nous appelons maintenant l’identité, tant étaient puissants leur sentiment d’appartenance à la structure sociale dans laquelle ils étaient intégrés et leur dépendance vis-à-vis d’elle.
2Freud, le premier, s’était interrogé, dans les années 1920, sur le mécanisme d’identification par lequel le sujet humain se constitue. Mais son approche, presque uniquement centrée sur l’individu pensé comme un tout autonome par rapport à son environnement social, est restée théorique. Élargissant l’approche psychanalytique en l’intégrant dans une approche plus ouverte à la dimension sociale, le psychologue allemand Erik Erikson s’est ensuite intéressé à ce moment décisif dans la genèse de la personnalité qu’est l’adolescence (Enfance et société, 1950), définissant l’identité comme “le sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle et d’une continuité temporelle”. Mais le développement le plus convaincant de la connaissance sur le sujet semble être le fruit de travaux conduits et publiés à partir de 1970 par des philosophes (Lévinas, Ricœur, entre autres) et des sociologues, parmi lesquels Kaufman, déjà cité, ou Ehrenberg.
3L’ouvrage [1] que Philippe Pedrot et Michel Delage, respectivement juriste et psychiatre, ont dirigé et récemment publié traite des paradoxes de la construction et du développement de l’identité individuelle dans la société occidentale contemporaine. Trois types de liens, soulignent-ils, fondent la spécificité de l’homme : les liens d’appartenance (ce qui fait qu’on se sent membre d’un groupe), les liens d’alliance (les interactions volontairement engagées avec d’autres) et les liens de filiation, qui inscrivent le sujet dans la généalogie et déterminent sa place dans l’architecture sociale.
4Il faut savoir gré aux auteurs d’avoir réussi à rendre compréhensible la grande complexité du sujet en traitant celui-ci à la lumière d’exemples concrets qui parlent à l’expérience de (presque) chacun : les relations inter-familiales, la parentalité, l’attachement amoureux, le partage de la fonction éducative entre les parents et l’école… autant de situations où il paraît de plus en plus difficile de trouver le moyen d’être soi et, en même temps, de concilier cette autonomie avec les nécessaires appartenances familiales et sociales.
Notes
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[1]
Philippe Pedrot, Michel Delage, Identités, filiations, appartenances, Presses universitaires de Grenoble, 2005, 271 pages.