1La constatation est quelque peu paradoxale : en l’absence de connaissances scientifiques fiables, l’homme cherche des réponses à ses interrogations dans la magie, le religieux ou la métaphysique ; mais quand la science fait des progrès et apporte des réponses, ses résultats sont souvent contestés par les tenants de croyances au statut incertain qui en appellent, à leur tour, à l’irrationnel.
2Le très cartésien XXe siècle a connu plusieurs illustrations de ce principe, dont l’une des plus fameuses reste l’histoire conjuguée de deux publications, un gros livre de 640 pages, Le matin des magiciens, publié chez Gallimard en 1960, puis une revue, Planète, diffusée à partir de 1961 jusqu’à la fin de la décennie.
3Le matin des magiciens et Planète sont les fruits de la rencontre entre deux hommes si différents l’un de l’autre qu’on s’étonne qu’ils aient pu coopérer, même provisoirement. L’un, Louis Pauwels (1920-1997), est écrivain et journaliste affichant des opinions anti-progressistes, l’autre, Jacques Bergier (1912-1978), est un personnage énigmatique mais authentique savant, dont la légende (entretenue par lui-même, il est vrai) affirme qu’il aurait rencontré le mystérieux Fulcanelli, auteur censé avoir trouvé la pierre philosophale et connu, de surcroît, pour avoir soutenu avec un certain succès, dans les années trente, que les chefs-d’œuvre de l’art gothique devaient être interprétés essentiellement comme l’expression d’une pensée alchimique dont quelques sociétés secrètes garderaient les mystères.
4À l’instar du Da Vinci Code, Le matin des magiciens constitue un phénomène sociologique non négligeable. Au fil des chapitres, il aborde des sujets aussi différents que la parapsychologie, les civilisations disparues, les racines occultes du nazisme et l’obscurantisme scientiste du XIXe siècle. Mélangeant sans retenue les discours scientifique, philosophique et religieux, l’ouvrage tente d’interpréter les connaissances issues de la recherche contemporaine en soutenant qu’“il y a peut-être un ou plusieurs univers parallèles au nôtre derrière entre l’univers visible et l’univers invisible”.
5Encouragés par la réussite de ce livre événement, Pauwels et Bergier, aidés principalement d’un maquettiste de grand talent, Pierre Chapelot, ont lancé la revue Planète, afin de répondre à la soif ésotérique des centaines de milliers de lecteurs du livre. Bergier l’alimentait principalement en articles sur les recherches parapsychologiques menées en URSS et aux États-Unis, ainsi qu’en études sur “l’histoire invisible”, c’est-à-dire sur les agissements et opérations plus ou moins secrètes de services gouvernementaux. On retrouve là des ingrédients désormais classiques mais qui pouvaient passer – au moins aux yeux du grand public – pour nouveaux en 1960.
6L’aventure du réalisme fantastique, commencée au temps de la Guerre froide et de la peur atomique, s’achèvera au début des années soixante-dix, les idées de 1968 ayant profondément divisé la rédaction de Planète, qui disparaîtra définitivement après une courte mais vaine tentative de reconquête de son lectorat.