Jacques Ion (dir.), Le travail social en débat(s), Paris, La Découverte, coll. “Alternatives sociales”, 2005
1L’un des thèmes récurrents des débats sur le travail social, tout au long des années 1970 et même après, a été la question du contrôle social. Les termes en étaient simples. Dans un premier temps, l’approche fonctionnaliste permettait de poser la question : “À quoi sert le travail social ?” et, dans un second temps, différentes théories critiques, souvent sur une base freudo-marxiste, conduisaient à une réponse sans équivoque : le travail social est un instrument de contrôle social. L’argument se déclinait sur le versant de l’enfermement disciplinaire, sur celui de la normalisation des corps dans “les équipements du pouvoir”, sur celui de la gestion des âmes par des techniques manipulatrices, et enfin sur celui de la reproduction des habitus des dominants. Ce tableau dessinait les contours d’une société totalitaire dont le travail social s’avérait l’un des rouages d’autant plus pernicieux qu’il se parait du discours de la solidarité et de l’humanisme. Ce diagnostic était largement partagé par des chercheurs, par des essayistes et par une frange critique de travailleurs sociaux comme en témoignent, par exemple, plusieurs numéros de la revue Esprit et de nombreux ouvrages sociologiques de cette période.
2Cette interprétation du sens du travail social est remise en cause par un nouvel environnement marqué par des mutations sociales affectant les ordres économiques, politiques, familiaux, technologiques, etc.
3Le travail social ne représente pas une corporation unifiée : celle-ci est segmentée en professions distinctes, y compris en professions émergentes qui ne sont pas encore structurées. Ces dernières sont écartelées entre plusieurs niveaux qui comprennent de fortes spécialisations (les ingénieurs sociaux) et des niveaux infra-professionnels (bénévoles et emplois aidés).
4La question du lien social est devenue centrale, recomposant le regard sur l’État et s’interrogeant sur les contours d’une nouvelle idéologie. Les chercheurs sont passés d’une peur du “trop d’État” ou du “tout État” à la crainte d’un manque d’État. Au modèle solidariste se substitue peu à peu celui de la responsabilité. Dans ce contexte, chacun est un individu qui ne doit compter que sur lui-même.
5Il faut sans doute ajouter à ces conditions objectives des dimensions propres à la production des connaissances sur le travail social. Les regards des chercheurs sont moins surplombants et plus attentifs aux dimensions locales, du fait de l’emploi de méthodes privilégiant la compréhension des singularités des terrains. L’expertise s’est diffusée et n’appartient plus aux seuls chercheurs, puisque désormais, dans le travail social, des acteurs occupent aussi des positions d’expertise. Enfin, les nombreuses innovations qui composent une partie du paysage institutionnel sont souvent médiatisées, faciles d’accès ou engagées dans des dispositifs d’analyse.
6Les auteurs de cet ouvrage ont donc choisi les voies du questionnement plutôt que celles de l’évaluation. En démultipliant les angles d’approche, ils s’efforcent d’en montrer les multiples centres d’intérêt, rapports de forces et avatars relationnels.