CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Faire toujours mieux, de plus en plus vite et avec moins de moyens : dans la course au rendement et à la productivité, les salariés sont mis en demeure de se mobiliser. “Business is war”, explique le sociologue Vincent de Gaulejac[1], et “ceux qui ne participent pas au combat sont des fardeaux, sinon des traîtres”. Il ne s’agit plus, pour autant, de rendre les individus “utiles et dociles” selon des normes disciplinaires, comme c’était le cas dans les organisations – écoles, casernes, asiles, hôpitaux, prisons, ateliers d’usine, couvents – décrites par Michel Foucault dans Surveiller et punir. On recherche désormais des “battants” qui ont le goût de la performance et l’exercice du nouveau pouvoir managérial passe par une incitation à l’investissement illimité de soi. “Si, par certains aspects, la surveillance reste ininterrompue grâce aux badges magnétiques, aux portables, aux ordinateurs, aux bips, souligne Vincent de Gaulejac, elle n’est plus directe”, et porte davantage sur les résultats du travail que sur ses modalités. L’objectif est moins de réglementer l’emploi du temps que d’obtenir une disponibilité permanente pour que le maximum de temps soit consacré à la réalisation des objectifs fixés et, au-delà, à un engagement total dans la réussite de l’entreprise, développe le sociologue.

2Dans la mise en œuvre de cette “autonomie contrôlée” où chacun est incité à prendre des initiatives et à faire preuve de créativité dans le sens des orientations et des convictions de l’entreprise, on n’encadre plus les corps mais les esprits, sollicités à adhérer “librement, spontanément et avec enthousiasme” au projet commun. L’identification à l’entreprise et son idéalisation suscitent la mobilisation attendue – mais aussi la crainte d’échouer, la peur de ne pas être à la hauteur et de ne pas se voir reconnu comme un “bon élément”.

3“Là où l’entreprise progresse, c’est en définitive la part du sujet qui régresse”, estime Vincent de Gaulejac. Alors que celui-ci croit jouer “gagnant-gagnant”, selon l’expression consacrée, “le fait de gagner le mène à sa perte […] puisqu’il sera inéluctablement mis sur la touche à partir du moment où ses performances diminueront, mais aussi parce qu’il sera mis en tension psychique permanente.”

Notes

  • [1]
    In La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Le Seuil, 2005, 276 p., 19 euros.
Caroline Helfter
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.126.0087
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