Georges Vigarello, Le corps redressé, histoire d’un pouvoir pédagogique, Armand Colin, 2004, 2e éd ; Histoire de la beauté, corps et embellissement de la Renaissance à nos jours, Le Seuil, 2004
1Le livre de Georges Vigarello, Le corps redressé, propose, de la Renaissance à nos jours, une histoire des relations entre la culture, la manière de percevoir l’enfant et l’adolescent, et les principes qui régentent l’éducation des corps. Des facteurs étroitement associés dont la corrélation est mise en lumière avec une extrême rigueur. La culture est porteuse d’impératifs inculqués, même s’ils ne sont pas conscients. Du futur adulte, il s’agit de faire un être en harmonie avec la société et avec ses exigences. Pour cela, les exercices physiques sont d’une importance majeure si l’on admet que le corps est le véhicule privilégié des comportements souhaités.
2Sous l’Ancien Régime, le pouvoir autoritaire impose un maintien et une allure nobles, contrôlés, un peu théâtralisés. Il brime la liberté de mouvement. Dès la Renaissance, le corset induit des “attitudes correctives”. Cette méfiance face à une motricité redoutée comme exubérante, subsistera dans les siècles à venir. Le corps redressé restera le corps contraint, l’enfant un être soupçonné de débordements possibles, générateurs de désordre. La rectitude sera toujours l’objectif de la pédagogie. Rectitude diversement connotée : sa valeur moralisatrice cédera au XVIIIe siècle devant les exigences de la physiologie et de l’hygiène. Avec la montée de la classe bourgeoise, l’impératif économique vise à augmenter l’efficacité ouvrière. La gymnastique, la pédagogie de la posture obéissent à cette exigence de productivité. Cette maîtrise gestuelle dans des exercices collectifs aura aussi un rôle de socialisation. La coordination de mouvements identiques, la conscience de l’autre peuvent être considérées comme génératrices d’une morale citoyenne souhaitable. La culture des corps touche aussi au social. Elle doit prévenir, autant que faire se peut, une dégénérescence que les nouvelles conditions d’existence rendent menaçantes : développer la cage thoracique, par exemple, pour favoriser l’inhalation d’oxygène, facteur énergétique, répond à un souci hygiéniste. La visée autoritaire et mobilisatrice de l’école républicaine changera cependant un peu de visage à mesure que la bourgeoisie aura besoin d’acteurs, susceptibles de prendre des initiatives.
3À la fin du XIXe siècle, la liberté concédée à l’enfant demeure régentée, encadrée, mais le statut de ce dernier va changer. La prééminence accordée à l’adulte va faire place à la reconnaissance d’une égalité. Les différences interindividuelles sont reconnues, qui marquent la fin du modèle standard uniforme (sans abandonner pour autant la valeur de la norme et la crainte par rapport à ses déviations). La relation entre le somatique et le psychique est prise en compte. Le concept de schéma corporel suppose une attention plus intériorisée aux signaux émis par la sensorialité et par la cœnesthésie, aux tensions, aux conflits vécus par chacun et dont témoigne le corps. Sa maîtrise va s’exercer d’une manière plus sournoise. L’auto-surveillance prônée comme un gage de libération ne constitue-t-elle pas une autre figure de la contrainte ? Une pédagogie nouvelle, qui reste à inventer, arrivera-t-elle à concilier cet antagonisme, analysé par Georges Vigarello avec acuité, entre contrôle coercitif et revendication de l’autonomie ?