CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Amaigrissement régulier et spectaculaire, mais tout aussi constant déni de sa maigreur et désir éperdu de maigrir toujours davantage : les jeunes anorexiques – des filles, dans 90 % des cas – se lancent à corps perdu dans une frénésie destructrice qui peut les conduire jusqu’à la mort, souligne le Pr Philippe Jeammet[1].

2Ces adolescentes, pourtant, ont souvent beaucoup d’atouts pour elles : un physique agréable, de bonnes capacités intellectuelles et une famille qui les entoure, appartenant généralement à un milieu favorisé. Pourquoi, alors, cette conduite d’auto-sabotage ? Elle révèle des appétits qui ne concernent pas la nourriture, développe le psychiatre : l’appétit d’être la première, la meilleure, la plus aimée et la plus admirée. Cette faim est si grande qu’elle engendre chez les intéressées “la peur de tout dévorer, d’occuper toute la place, au détriment des autres et en particulier de ceux qu’elles aiment avec toute l’ambivalence de ces liens : la mère, les frères et sœurs en tout premier lieu”.

3“Ce dont j’ai besoin est ce qui me menace” : voilà sans doute le paradoxe caractéristique de l’adolescence, qui se trouve au cœur des troubles du comportement alimentaire. Comme l’explique le Pr Jeammet : “Plus elles ont besoin des autres, moins les anorexiques peuvent s’en nourrir. Moins elles s’en nourrissent, plus elles demeurent dépendantes. C’est le cercle vicieux qui contribue à auto-entretenir et autorenforcer le comportement anorexique.” La puberté, en effet, rend conflictuelles les relations de ces adolescentes. Elle les contraint à prendre une distance nouvelle par rapport à leurs parents, ce qui les oblige à évaluer leurs ressources personnelles et les renvoie à la mauvaise image qu’elles ont d’elles-mêmes et à leur insécurité interne.

4Ces jeunes filles qui ont souvent été des enfants sages comme des images et qui s’étaient nourries, jusqu’alors, du plaisir de plaire et d’être approuvées, se trouvent totalement désorientées face à la violence et à l’ambivalence de leurs désirs nouveaux qui les mettent en conflit avec ceux qu’elles aiment. C’est pourquoi elles sont tentées de réprimer leurs propres aspirations pour retrouver une image positive d’elles-mêmes, tout en s’assurant un pouvoir sur leur entourage par l’inquiétude qu’elles suscitent, explique le psychiatre. “C’est la peur du pouvoir de l’autre sur soi qui rend si difficile l’abandon de la conduite anorexique, résume-t-il. Renoncer à ce comportement, c’est se priver de la barrière protectrice et de la limite qu’offre le refus, et se livrer sans défense au pouvoir de la personne investie.”

Notes

  • [1]
    In Anorexie boulimie. Les paradoxes de l’adolescence, Hachette Littératures, 2005, 242 p., 20 euros.
Caroline Helfter
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.126.0029
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...