CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans sa livraison du 15 janvier 2005, le supplément hebdomadaire d’un “grand quotidien national du soir” entretenait ses lecteurs de la vie d’une famille américaine vivant près de Denver (Colorado) dans une “ville-bulle”, c’est-à-dire une cité d’où l’on ne sort quasiment jamais, parce que la vie y est agréable et qu’on y trouve tout ce dont on peut avoir besoin. La motivation essentielle d’un tel choix ? Échapper aux dangers du monde extérieur, qui résident tout autant dans le risque d’être agressé que dans celui d’être obligé de cohabiter avec des personnes qui ne pensent pas comme vous et qui n’ont pas les mêmes valeurs.

2Fantaisie pour série télévisée satirique ou avatar marginal de l’American way of life ? Eh bien non, cette authentique expression d’un phénomène qui possède déjà son nom générique de gated community ne concerne plus seulement des Howard Hughes aux frontières de l’autisme, mais s’est étendu aux membres des classes moyennes-supérieures sur fond de traumatisme post 11 septembre et de méfiance un peu paranoïaque de l’autre, soit près de 10 % de la population étasunienne, selon la rédactrice de l’article.

3En France, à la fin de l’année 2002[1], un autre journal brossait le portrait d’un lotissement de la banlieue toulousaine, la résidence Belles Fontaines à Saint-Simon, clôturée de toutes parts, protégée par un portail télécommandé et par un réseau de caméras vidéo. Résidence “de rêve” selon son promoteur, le lieu est manifestement destiné à des cadres supérieurs qui acceptent, au nom de la sécurité que cet enfermement est censé leur apporter, les contraintes inhérentes au choix résidentiel qu’ils ont fait : un règlement intérieur implacable et un isolement à peu près total qui rendent assez difficiles les visites des personnes extérieures, même si elles sont souhaitées. La démarcation avec le très proche quartier populaire du Mirail est d’autant plus marquée que les habitants des Belles Fontaines disposent d’un supermarché auquel leurs voisins ne se rendent pas, et ne fréquentent pas celui où les habitants du grand ensemble font leurs courses.

4Si l’agglomération toulousaine n’a pas le monopole de ces enclaves protégées qui se créent désormais régulièrement dans d’autres grandes villes françaises, elle semble néanmoins posséder une certaine antériorité qui fait d’elle un terrain d’étude privilégié : les promoteurs et les banquiers font des comptes, les sociologues et les travailleurs sociaux observent, les élus gardent le silence… et la fracture sociale s’élargit.

Notes

  • [1]
    Hacène Belmessous, “Voyage à travers les forteresses des riches”, Le Monde diplomatique, nov. 2002, p. 5.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/inso.125.0011
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