1Par son histoire, sa taille et le mystère qui l’a entourée de longue date, la Chine a toujours inspiré aux Occidentaux une curiosité que les carnets de Marco Polo et les essais d’Alain Peyrefitte n’ont que partiellement assouvie. Ses mœurs sont aussi mal connues que sont nombreux les commentaires fantaisistes qui prétendent les révéler. Ainsi en est-il, en particulier, de la famille chinoise sur laquelle tout et son contraire a été dit et écrit.

2La lecture d’un numéro relativement récent du Quotidien du peuple [1] apporte d’intéressants éclairages sur les évolutions que l’institution familiale a connues au cours des dernières années. Le rédacteur de l’article sobrement intitulé “Le mariage et la famille en Chine” signale d’emblée à ses lecteurs que les standards de vie des zones rurales et urbaines de Chine présentent de grandes disparités mais il précise un peu plus loin que les changements, malgré la persistance de préjugés qui les rendent plus longs à intervenir chez les paysans, sont également perceptibles à la campagne.

3Pour autant, c’est quand même dans les villes que les transformations se produisent le plus vite : il y aurait actuellement une proportion de 60 % de familles nucléaires, que les démographes s’attendent à voir augmenter au cours des prochaines années. La famille traditionnelle s’est modifiée dans sa structure mais elle a aussi considérablement évolué dans sa nature car les attentes envers le mariage ont changé avec l’amélioration des conditions de vie et “pour beaucoup, le revenu, le ménage et la procréation ne sont plus les priorités premières, le plus important étant d’avoir une épouse aimante, loyale et compréhensive”. L’une des conséquences les plus préoccupantes de cette restriction de la taille de la famille est l’abandon de la traditionnelle prise en charge des personnes âgées par leurs enfants, qui entraîne le développement des maisons de retraite.

4Les jeunes Chinois vivent donc désormais davantage pour eux-mêmes et assignent au mariage des objectifs de satisfaction affective et sexuelle qui s’ajoutent aux pures conventions et aux stratégies sociales. Le mariage est considéré comme une affaire entièrement privée et quand les espérances dont il est le vecteur sont déçues, le recours au divorce n’est plus une solution de dernière extrémité, mais une issue rationnelle à une situation considérée comme sans issue.

5Autres signes d’évolution, selon le rédacteur du Quotidien du peuple : la généralisation d’une grande tolérance à l’égard de la cohabitation juvénile et des relations sexuelles pré-maritales, la moindre valeur qui est attachée à la virginité, l’indulgence vis-à-vis des relations extra-conjugales et de la prostitution, mais aussi l’acceptation de l’homosexualité.

6Derrière ces évolutions se profilerait un changement radical du statut des femmes. Mais il conviendrait, si l’on en croit cet article, de distinguer la situation de celles-ci en zone urbaine et en zone rurale. Dans les villes, les femmes mariées auraient acquis une certaine autonomie en accédant à une personnalité économique qui leur permet, par exemple, de disposer d’un compte bancaire séparé ou de préserver leurs biens grâce à la mise en place d’un régime de “séparation patrimoniale” lorsqu’elles se marient. À la campagne, souligne encore le journaliste, certains hommes ne pouvant pas, économiquement, supporter le coût d’un mariage, mais attachant une grande importance au fait d’avoir une famille et des enfants, “prennent le risque de choisir la solution la moins coûteuse et la plus pratique, qui est d’acheter une femme”.